- Chapitre 1.4 : Annonce surprenante -
Nelia prit l'objet de couleur marron dans ses bras et le posa sur la table. Son visage exprimait une immense joie. Pour elle, toutes les préoccupations de la journée s'envolèrent, elle pouvait enfin se concentrer sur son travail. Émue, elle enleva le couvercle de la boîte. À l'intérieur, se trouvait peu de choses : un épais agenda à la couverture en cuir brun caramel légèrement abîmé et deux journaux datant de l'époque où elle n'était encore qu'une jeune enfant.
De ses deux mains, elle s'empara de l'agenda à l'épaisseur inhabituelle et se mit à le fouiller. En feuilletant les pages, elle comprit rapidement que cet agenda était en réalité un journal de bord tenu par son père. Il y racontait jour après jour le déroulement de ses journées et de ses aventures pour atteindre son but. Après l'avoir feuilleté assez rapidement, elle s'attarda sur les premières pages. Sur celles-ci, il avait expliqué de manière assez claire tout ce qui se rapportait au système RPL. De plus, même si une vingtaine d'années s'étaient écoulées, le système ainsi que les règles de classement n'avaient presque pas changé. On pouvait lire :
Avril 2100
Il y a quelques mois de cela, après de nombreuses années douloureuses, on nous a enfin annoncé la fin de ces conflits barbares, nous promettant un avenir meilleur. Un nouvel État, un nouveau gouverneur, un tout nouveau système, tant de nouvelles choses pour reconstruire un monde où la paix n'existe plus.
J'avoue qu'au début, j'ai voulu croire en ces paroles prometteuses. Je pensais que l'on ne pouvait pas faire pire et que l'homme, ayant touché le fond, ne pouvait que remonter. D'ailleurs, en apprenant que notre dirigeant serait Parker Collin, je me suis senti soulagé, car il est de ma génération et ne fait donc pas partie de ces vieux conservateurs traditionnels qui auraient continué ces massacres de masse.
Avec enthousiasme, comme toutes les familles et toutes les personnes du monde, le 1er janvier 2100, je me suis installé devant la télévision pour écouter le tout premier discours de ce fameux Collin. J'étais impatient de connaître nos perspectives d'avenir, mais j'ai rapidement été déçu.
Au premier abord, j'ai été surpris par sa manière inattendue de vouloir apaiser les tensions nationalistes bouillonnantes. Quelle idée merveilleuse de chercher à unir la population en créant un nouveau système de classement basé sur notre utilisation des réseaux sociaux, appelé RPL !
L'idée grandiose de diviser notre population, qui compte près d'un milliard d'habitants, en trois classes sociales : les Roots, les Peons et les Lusers.
Tout d'abord, en haut de l'échelle se trouve l'élite, les Roots :
Seules 1 million de personnes ayant obtenu les plus hauts points ont le privilège d'appartenir à cette classe. Les règles de classement sont simples : il faut posséder le XZ1, passer énormément de temps sur les réseaux sociaux et partager du contenu en permanence. Plus vous avez de followers, plus vous accumulez des points qui vous permettent de monter dans le classement. Bien évidemment, l'argent facilite grandement cette ascension. Les membres de cette classe bénéficient de nombreux privilèges dans tous les secteurs de la société.
Au milieu de l'échelle se trouvent les personnes ordinaires, les Peons :
Ceux-ci rêvent peut-être un jour d'atteindre le sommet. Ils respectent toutes les normes de classement, c'est-à-dire qu'ils possèdent la puce et passent leur temps sur Internet. Même s'ils n'ont pas les ressources et les points nécessaires pour faire partie de l'élite, ils bénéficient de quelques avantages qui, en comparaison avec ceux des Roots, sont minimes mais leur permettent de mener une vie décente.
Enfin, en bas de l'échelle se trouvent les Lusers :
Autrement dit, la risée de la population. Ceux qui osent défier le gouvernement en refusant de porter la puce ou simplement les personnes les plus pauvres qui n'ont pas les moyens financiers de se conformer au système. Nous ne bénéficions d'aucun privilège et sommes discriminés en raison de notre appartenance à cette classe. Bien que cela ne fasse que quelques mois, j'ai déjà été témoin de nombreuses scènes où les gens justifient leurs actes barbares par leur rang social.
Bien sûr, pour ajouter encore plus de compétition, il a annoncé que chaque année, le 1er janvier serait désormais connu sous le nom de "Update Day", un événement diffusé en direct depuis le GreenLoft, qui dévoilera la mise à jour du classement . Les gens feront tout leur possible pour voir leur nom apparaître en tête de liste. Toutefois, pour éviter de paraître extrêmement cruel, le classement ne s'applique qu'à partir de la majorité. Les enfants bénéficient d'un statut provisoire.
Je m'étais vraiment préparé à tout, mais pas à ce système. Ce classement qui je suis maintenant convaincu n'apportera rien de bon et ne fera qu'accentuer les discriminations, la corruption, l'esprit de compétition, le "moi d'abord" et les autres on s'en fout . Il poussera les individus à faire usage de ses plus mauvais côtés et, tôt ou tard, nous replongerons dans d'affreux combats. Malheureusement, les conséquences de ce système se font déjà ressentir. Je n'ai jamais vu autant de gens se précipiter, se trahir pour obtenir une simple puce. Une puce que la plupart pensent servir uniquement à cette catégorisation, mais ils se trompent tous. Elle sert à bien d'autres choses... Il faut changer ce système ici et maintenant. Si nous ne faisons rien aujourd'hui, il risque de voler à l'homme toute once d'humanité et toutes ses libertés...
Plongée dans son récit, elle ne parvenait pas à détacher son attention de celui-ci. À vrai dire, depuis la disparition de son père, tout ce qu'il lui restait n'étaient que des bribes de souvenirs assez brumeux. En ayant ce carnet entre les mains, elle avait en quelque sorte l'impression de se rapprocher de lui et d'en apprendre un peu plus à son sujet.
Arrivée à la dernière page annotée, elle fut intriguée par la date ainsi que par la brièveté du texte qui l'accompagnait. En effet, écrit au bic noir en haut de la feuille, le 25 octobre 2111, la veille de sa disparition. Poursuivant la lecture, elle fut chamboulée par ce qu'il avait écrit. Ses derniers mots étaient les suivants : "Aujourd'hui, j'ai un rendez-vous important. Si ça ne tenait qu'à moi, je ne m'y rendrais pas seul. Mais il le faut, c'est tout ce que je peux faire pour elle. J'espère qu'il tiendra parole !" Une multitude de questions lui vinrent à l'esprit. Qui était cette "elle" et qui était cet "il" qu'il avait mentionnés ? Avaient-ils un rapport avec sa disparition ? Quoi qu'il en soit, elle savait que ce n'était pas le moment de se préoccuper de cela.
Afin de compléter les informations qu'elle avait déjà en sa possession, elle se mit, grâce aux liens donnés par son professeur, à chercher un site qui pourrait l'aider à mieux construire son opinion.
En effectuant ces quelques recherches, elle découvrit des sites intéressants. L'un expliquait et fournissait des informations sur la puce XZ1. D'autres relataient les témoignages horribles de nombreuses victimes de discrimination et de maltraitance subies en raison de leur appartenance à la caste des Lusers. Enfin, un dernier site mentionnait les soulèvements urbains et les disparitions mystérieuses de plusieurs manifestants. Ces disparitions étaient-elles liées à celle de son père ? Peut-être bien ! Cependant, elle n'avait pas suffisamment de preuves pour en parler à sa mère. De plus, elle ne voulait en aucun cas lui donner de faux espoirs.
Absorbée par toutes ces lectures, elle ne vit pas le temps passer. En regardant par la baie vitrée, elle réalisa que la nuit était tombée. Elle vérifia l'heure sur son téléphone et écrit au-dessus de la date du lundi 13 septembre 2121, 18h15. Il ne lui restait plus qu'une heure et demie avant l'échéance. Elle commença à réfléchir à ce qu'elle allait pouvoir écrire. Une fois de plus, la discussion avec son médecin lui revint en mémoire. Après avoir lu tous ces écrits, elle ressentait encore plus l'envie de ne pas se rendre à cette convocation et son sentiment d'injustice s'était renforcé. Malgré sa maladie, elle était consciente des problèmes qui l'entouraient et de la haine croissante entre les différentes classes. Chaque fois qu'elle sortait de chez elle, elle était témoin du même spectacle qui se déroulait devant ses yeux. Les Lusers étaient toujours assignés aux tâches les plus difficiles et étaient l'objet de moqueries de la part des classes supérieures.
Elle se mit immédiatement à taper sur son ordinateur. Bizarrement, les mots lui venaient facilement et en très peu de temps, elle eut fini.
Avant de l'envoyer, pour s'assurer qu'elle était satisfaite, elle relut son devoir et vérifia la cohérence de son texte.
Société actuelle : soumission destructrice ou liberté salvatrice ?
« Avec XZ1, votre vie sera meilleure ! » « Pourquoi se contenter d'être Peon quand on peut, le jour de l'Update, avoir la possibilité de devenir Root ? » « Le système RPL nous a sauvés d'une fin certaine ! Vive le système, vive Collin ! » Ce sont les phrases que l'on entend au quotidien.
Selon moi, nous ne vivons ni plus ni moins dans une société destructrice dans laquelle nous sommes soumis.
Pour ce qui est du côté destructeur, nous en sommes bien servis. Dans notre société, nous ne vivons que pour notre apparence et pour ce que nous postons ou non. Si par malheur, nous ne voulons pas adhérer ou ne possédons pas le gadget tant convoité, nous sommes en proie aux moqueries. Plus les jours passent, plus les discriminations grandissent. Nous sommes confrontés tous les jours à la haine et au sentiment de puissance des Roots envers nous, les Peons et les Lusers.
Quant à la soumission, certains pourraient dire qu'elle n'existe pas, car il est plus facile de faire comme si de rien n'était ou de se persuader que nous ne sommes pas soumis et que nous agissons en toute conscience.
Pour ma part, je le considère tout autrement ! Nous sommes contraints de nous soumettre au gouvernement. Prenons mon exemple, aujourd'hui, j'ai appris que si je veux vivre, je vais devoir, dans deux mois, accepter l'implantation de XZ1. Je dirais même qu'on va plutôt me forcer à le faire, car je n'en ai pas vraiment l'envie. Comme moi, chaque personne ayant atteint la majorité doit faire le choix de suivre cette voie ou de risquer de devenir un paria. Bien évidemment, peu de gens partagent mon avis, car ils croient aux belles paroles de notre gouverneur. Pourquoi prendre des risques, s'il suffit de croire que cette puce nous « facilite la vie » et que ce classement est la meilleure chose qui puisse nous arriver ? Évidemment, il est encore plus facile de faire croire cela à des gens qui n'ont connu que cela.
En conclusion, nous sommes soumis à cette société dans laquelle nos droits sont bafoués. Le système RPL a donné à l'homme la possibilité et la capacité de s'autodétruire et de détruire ses semblables.
À long terme, si nous laissons les choses telles qu'elles le sont, ce classement détruira toute once d'humanité.
La lecture terminée, elle se rendit dans ses e-mails, cliqua sur le bouton "Nouveau message" et écrivit l'adresse e-mail de son enseignant dans le champ approprié. Après une courte phrase de politesse, elle joignit le texte qu'elle venait de rédiger sous format PDF. Une fois le devoir envoyé, Nelia laissa ses affaires en l'état, se leva et rejoignit sa mère qui cuisinait dans la pièce adjacente au salon. Elle l'aida à préparer le repas.
Une fois le repas prêt et la table dressée, ils s'installèrent et profitèrent d'un agréable moment en famille. Malgré l'annonce dévastatrice du matin, l'ambiance dans la pièce était détendue et joyeuse. Les rires résonnaient et les sourires illuminaient les visages. Il était difficile de croire, en observant cette scène, qu'ils venaient d'apprendre une nouvelle aussi bouleversante.
À la fin du repas, alors que les assiettes étaient presque vides, un son de notification provenant de l'ordinateur interrompit leur moment de partage. Intriguée, la jeune fille étira le bras pour attraper son appareil posé un peu plus loin sur le solide meuble en bois et jeta un coup d'œil. Pensant recevoir une réponse de son professeur, elle ne vérifia pas l'expéditeur et cliqua directement sur l'e-mail. L'email était vide ! Rien qu'une page blanche sans même le nom de l'expéditeur. Elle voulut sortir de cette page, un texte apparut à l'écran. Elle se mit à le lire attentivement.
"Le monde tel qu'il est actuellement, vous convient-il ? Approuvez-vous ce système qui ne fait qu'amplifier la haine, la rancœur, les injustices et qui détruit peu à peu notre humanité et nos relations ?
Si l'on vous disait qu'ensemble, nous pourrions créer une toute nouvelle société où l'apparence ne serait pas le plus important et où les relations humaines redeviendraient authentiques plutôt que virtuelles. Un monde où vous ne seriez plus constamment contrôlé et où vous n'appartiendriez à aucune caste. Un endroit où votre temps passé devant les écrans ne serait plus jugé, où votre statut social ne serait plus un critère et où vous pourriez vous exprimer librement.
Si vous souhaitez participer au changement, si vous voulez vous battre pour vos valeurs et vos libertés, alors KAE est fait pour vous !
Rejoignez-nous en vous inscrivant !!!"
La jeune fille, qui trouva le message surprenant au premier abord, se demanda si cela n'était pas encore l'une de ces arnaques qui pourraient la pirater à tout moment. Mais après réflexion et intriguée par l'appel lancé, elle décida de tenter le diable en appuyant sur le petit bouton rouge où il était marqué "Rejoignez-nous". Le bouton pressé, la page fit s'afficher une sorte de fiche d'inscription avec une petite phrase d'introduction. Il n'y avait que très peu de cases à remplir et si elle voulait en savoir plus, elle devait absolument continuer. La question qu'elle se posa était la suivante : "Est-ce que je m'inscris ?" Peu de temps s'écoula et, sur un coup de tête, elle acheva l'inscription. La page se ferma brusquement, affichant à nouveau la page d'accueil de son compte e-mail. Sa boîte de réception en gras, elle venait de recevoir la confirmation de son enregistrement. Curieuse, munie d'une souris tactile, elle appuya pour découvrir ce que lui réservait cette nouvelle aventure. Dans ce courrier électronique, peu de renseignements y étaient écrits. Uniquement ces quelques phrases attrayantes :
"Bienvenue à tous et à toutes, êtes-vous prêt à entrer dans ce mouvement ? Votre inscription a bien été réalisée et nous vous attendons donc en date du 26 septembre à 9h30 précise. Le lieu vous sera communiqué le jour même quelques heures auparavant.
Information pratique : Nous ne pouvons pas vous mentionner une date de fin, car tout dépendra d'un tas de données trop complexes et lointaines. Sachez qu'une fois entré dans KAE, il vous sera interdit de le quitter jusqu'à l'obtention du but. D'autres règles suivront et vous seront communiquées une fois sur place. Il vous reste exactement deux semaines pour vous décider. Si l'aventure ne vous tente plus, vous avez toujours la possibilité, en cliquant sur le lien ci-dessous, d'annuler votre participation. Tout abandon de candidature sera définitif."
À cette lecture, Nelia songea à la bonne chose à faire. Allait-elle entrer dans cette aventure tout en sachant que cela pouvait être risqué pour sa santé ? Est-ce qu'en rejoignant KAE, elle aurait l'impression de se rapprocher encore un peu plus de son père ? Ce qui était certain en cet instant précis, c'était que cette cause lui tenait à cœur et que si grâce à cela, elle pouvait éviter d'entrer dans le système et s'assurer de sa guérison, tout était bon pour partir. Mais comme il lui restait deux bonnes semaines pour faire un choix, elle décida de ne pas se précipiter et de prendre son temps pour réfléchir à tête reposée.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top