- Chapitre 1.3 : Annonce surprenante -

À l'extérieur, sous un ciel légèrement nuageux, le brouillard s'était dissipé pour laisser place à un soleil éclatant. Elles traversèrent un parking plus rempli qu'au matin et rejoignirent leur voiture. La mère démarra le moteur et elles prirent la route du retour. Seule la radio emplissait l'habitacle, diffusant les derniers succès : "Bonjour chers auditeurs, vous écoutez la meilleure radio en direct. Voici sans plus tarder le dernier hit incontournable, extrait du nouvel album de la chanteuse la plus en vogue de l'État d'Eurasia, en tête des classements depuis un mois déjà,"Be Me"." Une douce mélodie combinant piano et violon se fit entendre, accompagnée d'une voix claire et puissante chantant en anglais. Cette musique, bien que teintée de nostalgie, parvint à détendre l'atmosphère pesante. Les deux femmes, plongées dans leurs pensées, ne prononcèrent pas un mot pendant le trajet. Elles étaient toutes les deux absorbées par les événements de la matinée et inquiètes pour l'avenir incertain qui les attendait.

Le véhicule pénétra dans la partie ouest de la ville, où le ciel s'était assombri sous un énorme nuage noir annonçant l'imminence d'un orage. Après avoir parcouru quelques rues, la voiture s'arrêta dans un quartier résidentiel, sur une place de parking devant une modeste demeure. La maison, bien que de taille moyenne, était idéale pour accueillir une petite famille. Avec ses formes cubiques et son toit plat, elle arborait un style plutôt moderne et étroit. Sa façade en crépi gris était dotée de grandes baies vitrées qui, en plein jour, offraient une merveilleuse luminosité à l'intérieur.

La mère ouvrit la portière et sortit de la voiture, stationnée à quelques pas de la maison. Quelques instants plus tard, Nelia la rejoignit à l'extérieur, alors que de fines gouttes de pluie commençaient à tomber. Les deux femmes se dépêchèrent de se diriger vers la porte d'entrée afin d'éviter d'être trempées. À l'aide d'un lecteur d'empreintes placé sur la porte, la mère déverrouilla celle-ci en posant simplement sa paume, et elle s'ouvrit instantanément. Elles traversèrent un long couloir pour accéder au salon, où une douce lumière artificielle émanait des lampes. Affalé sur le canapé, un téléphone à la main, un jeune homme ressemblant étrangement à Nelia porta son regard vers elles. Il lâcha brusquement son téléphone sur le fauteuil en cuir noir et se précipita vers sa sœur.

- Comment vas-tu ? Demanda l'adolescent, inquiet pour sa sœur. Même s'il avait été informé quelques heures auparavant par l'appel de leur mère, il voulait entendre de vive voix comment elle se sentait.

- Ne t'inquiète pas pour moi. Je vais bien ! Tu me connais, non ? Ce n'est pas cette annonce qui va m'achever. Je te promets que tout ira bien, dit-elle en souriant.

Sachant qu'il ne pouvait que croire en elle, le garçon lui rendit son sourire et lui fit un énorme câlin. Après cet échange rempli d'émotion, la jeune fille se retira du salon, laissant sa mère et son petit frère discuter ensemble. Faisant suite au salon, une grande salle épurée aux murs ternes et au mobilier monochrome, elle s'installa sous un luminaire en cuivre, sur l'une des chaises en cuir noir qui entourait l'immense table en chêne massif au centre de la pièce. Sortant son ordinateur, quelques feuilles et un joli plumier, elle alluma son portable et se lança enfin dans la rédaction de son travail. Parmi les feuilles posées sur le bois, se trouvait la page de consignes donnée par son professeur d'histoire. Nelia la lut attentivement pour la première fois et fut surprise par le thème choisi. Bien qu'il lui offre de nombreuses possibilités d'écriture, elle manquait d'inspiration. De plus, son esprit était ailleurs, toujours préoccupé par l'annonce du docteur.

En relisant le sujet du travail et en repensant au rendez-vous, l'étrange conversation qu'elle avait eue avec son médecin lui revint. Pourquoi avait-il tant insisté ? Pourquoi ses paroles lui avaient-elles fait ressentir une sorte d'obligation ? À ce moment précis, elle ne comprenait pas pourquoi sa vie devait dépendre d'une simple puce. Pourquoi était-ce si important maintenant et pas avant ?

Depuis l'âge de douze ans, elle avait toujours pu être soignée et bénéficier des traitements nécessaires à sa survie. Maintenant, alors qu'elle entrait dans l'âge adulte, sa vie était mise en danger parce qu'elle ne possédait pas cette puce. Elle n'était pas contre toutes ces technologies, mais elle ne voyait pas l'intérêt de l'avoir, car elle connaissait les inconvénients qui y étaient liés. Au fond d'elle, depuis longtemps, elle savait que cette puce était l'une des conditions sine qua non pour être acceptée dans cette société. Cependant, elle ne pensait pas qu'elle viendrait compromettre sa santé, sa vie et son avenir à ce point. Elle décida de peser le pour et le contre. Bien qu'elle ait constaté un nombre légèrement supérieur d'inconvénients par rapport aux avantages, l'un d'entre eux se démarquait incontestablement ! Si elle voulait vivre, elle n'avait pas le choix. Dans deux mois, même si cela devait se faire à contrecœur, elle se rendrait à la convocation pour se faire implanter le XZ1.

Après cette longue réflexion, elle se résolut à faire son devoir pour le rendre à temps. Que pouvait-elle écrire ? Elle n'en avait pas la moindre idée ! Elle relut pour la troisième fois les consignes et se demanda par où commencer. Elle se mit à réfléchir et se remémora ses cours d'histoire. Ce n'était pas sa matière préférée, loin de là. Année après année, que ce soit à l'école primaire ou en secondaire, on leur répétait sans cesse le même récit. L'histoire de la création de l'État Eurasia et du sauvetage de l'humanité grâce au système RPL. À force d'entendre ce cours répétitif, dès la troisième année secondaire, elle avait perdu tout intérêt et n'assistait plus à aucune leçon. Mais cette année scolaire avait été différente des autres. Quelques semaines auparavant, en entendant ses camarades discuter de ce cours avec beaucoup d'enthousiasme, sa curiosité avait été piquée. Elle avait donc participé à l'un des cours et avait été surprise de trouver cette matière intéressante et percutante. Ce revirement soudain avait été provoqué par l'arrivée d'un nouvel enseignant, dont la prestance laissait deviner qu'il avait au moins quinze ans d'expérience. Bien qu'il ait fière allure, ce n'était pas cet atout qui rendait ses cours captivants, mais plutôt sa manière peu conventionnelle de raconter le passé. Contrairement à la version idéalisée et quasi-parfaite donnée par l'État, son professeur, qui ne se conformait guère à cette version, avait construit son propre cours en invitant des victimes à partager leurs expériences et en encourageant ses élèves à interagir avec elles. Il avait aussi cette étrange habitude de conclure toutes ses leçons par cette phrase : "Le futur est une histoire qui n'est pas encore écrite, il est donc encore temps de le changer."

Lors de la dernière leçon, il leur avait donné un cours sur la guerre des 50 ans et la création de Network City. En l'écoutant retracer ces événements, elle avait appris de nouvelles choses sur ce que le monde avait été autrefois.

Il y a environ septante ans, en 2050, la planète Terre connut l'une des crises les plus graves de son histoire. Une catastrophe environnementale, sociale et humanitaire que nul n'aurait pu prévoir en son temps. Un phénomène climatologique extrême provoqua la submersion de 60 % des terres habitables et anéantit plus de la moitié de la population mondiale, épargnant uniquement le continent eurasien. Les jours, les semaines, les mois et les années qui suivirent ne furent pas des plus joyeux. Le monde était au bord de l'explosion, mêlant la famine, la peur, les tensions et les crises politiques. Des conflits émergèrent entre les différents pays de l'Asie et de l'Europe. Durant cinq décennies, la guerre fit rage, entraînant des pertes humaines considérables. L'homme causa d'effroyables génocides, propulsant les familles dans la terreur. S'ajoutant aux combats militaires, les hauts dirigeants se disputèrent également sur le champ de l'économie et plus particulièrement dans l'innovation de nouvelles technologies. Malgré ces années de barbarie, le monde connut la plus incroyable révolution technologique de toute son existence.

En l'an 2100, voulant éviter une hécatombe, après de longues semaines de négociations, les différents dirigeants parvinrent à un armistice qui aboutit à la création d'un seul et unique État : Eurasia. À la tête du gouvernement, Parker Collin fut élu et inaugura au centre la capitale, Networkcity, tout en mettant en place le système RPL. Ainsi, depuis 21 ans, Parker Collin règne sur le monde en préservant le système de castes qui constitue encore aujourd'hui la base de notre société.

Un peu plus loin dans la pièce, tenant un bac de linge dans les bras, la mère de la jeune fille se dirigeait vers l'escalier. En passant derrière Nelia, elle remarqua que l'écran de l'ordinateur était vide et que sa fille semblait être ailleurs.

- Nelia, si tu n'as ni le courage ni l'envie de faire ce travail, tu peux toujours envoyer un mail à ton professeur. Je suis sûre qu'il comprendra, proposa-t-elle avec de bonnes intentions.

- Non, je vais le faire ! Insista-t-elle en haussant le ton. Sa mère avait touché un point sensible. Celui d'utiliser sa maladie pour bénéficier de privilèges. Que ce soit par compassion ou par simple amabilité, elle détestait se sentir avantagée et approchée par des personnes qui, avant sa maladie, s'en fichaient royalement d'elle.

Comprenant que sa fille ne changerait pas d'avis et voulant l'aider, elle lui demanda quel était le thème de la dissertation. Nelia lui exposa le sujet. Elle devait donner son avis sur la phrase suivante : "La société actuelle : soumission destructrice ou liberté salvatrice ?"

À ces mots, le visage de la mère se décomposa comme si la conversation, qui était auparavant détendue, allait devenir beaucoup plus sérieuse. Effectivement, elle s'installa à ses côtés et d'une voix pénétrante, commença à lui parler.

- Je ne pense pas que tu t'en souviennes, car cela remonte à très longtemps. Mais ton père... lui défendait avec beaucoup de fierté son opinion à ce sujet. Dès le début, il voyait d'un mauvais œil l'instauration du système. Pour lui, c'était plus qu'évident. Ce classement RPL ne serait pas une bouée de sauvetage, mais plutôt ce qui pourrait à long terme plonger le monde dans le chaos, faisant ressortir les côtés les plus obscurs de l'homme. - Elle s'arrêta de parler, plongea son regard éteint dans celui de sa fille et reprit ses explications - Dans un premier temps, ton père a mené des actions seul car peu de gens partageaient son point de vue. Avec le temps, voyant les inégalités et les discriminations croître, de nombreuses personnes se sont jointes à lui. Tous partageaient cette même envie d'abolir cette hiérarchisation et de créer une société plus humaine et plus juste- Elle se figea pendant environ 10 secondes, sans rien dire, puis ajouta d'une voix tendue qui reflétait sa tristesse - Malheureusement, comme tu le sais déjà, ton père a disparu soudainement.

Ayant disparu dans des circonstances mystérieuses, la police avait mené l'enquête pour trouver des pistes, et des groupes de recherche avaient organisé de nombreuses fouilles. Cependant, dix ans s'étaient écoulés et il n'avait toujours pas été retrouvé. Après sa disparition, les défenseurs de sa cause avaient peu à peu abandonné leurs préoccupations et fini par adhérer à la société.

La jeune fille écoutait avec une grande attention les paroles de sa mère. Elle n'avait presque aucun souvenir de son père, et il était rare que sa mère parle de lui. Elle était donc extrêmement heureuse d'en entendre un peu plus sur lui.

- J'ai peut-être quelque chose qui pourrait te donner de l'inspiration", ajouta la mère en se levant. Elle quitta la pièce, laissant sa fille seule, et revint quelques minutes plus tard avec une boîte en carton entre les mains - Elle la lui tendit en précisant - J'ai toujours voulu te la donner, mais l'occasion ne s'est jamais présentée. Je pense que c'est le bon moment à présent, et j'espère que cela pourra t'aider."

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