- CHAPITRE 9.2 : Deux insomniaques face à Morphée -

- Ah, au fait, pourquoi tu te retrouves ici ? Je ne comprends pas... t'as quand même la vie que tout le monde rêverait d'avoir ! fit remarquer le jeune homme.

- Je devrais te retourner la question, Yamato Peeters ! Toi aussi, tu as une belle vie, non ?

Le visage du jeune homme se crispa et il signala d'une voix austère :

- Ne prononce plus jamais ce nom ! - Sa gorge était serrée et les traits marqués sur sa face montraient une énorme colère. Puis il rajouta - J'y ai déjà répondu contrairement à toi, et je ne compte pas me répéter. Quelle est la raison qui pousse une célébrité comme toi à rentrer dans un mouvement qui pourrait détruire tout ce qu'elle est et tout ce qu'elle a ?

- Franchement... Je pense qu'il vaudrait mieux pour toi de ne pas le savoir, confia-t-elle, la tête baissée et les yeux rivés vers ses jambes qui se balançaient.

- Je vois... Donc, il y a bien une raison.

- Bien vu, génie ! Je ne suis pas assez stupide pour faire ça sur un coup de tête. C'est juste que... Quand j'y réfléchis, je me dit que ma raison était probablement débile contrairement à quelqu'un d'autre qui a pu vivre bien pire.

- Ah ! Je pense avoir compris, t'avais peur de ne plus avoir la côte auprès des gens, c'est ça ? C'est vrai, quand on a l'habitude d'être au centre de l'attention, ce n'est pas évident, dit-il ironiquement.

- Oui, en quelque sorte... - Elle se tut, puis ajouta maladroitement - Enfin... Non, ce n'est pas vraiment ça... Expliquer ma raison reviendrait à dévoiler que je suis Millesia, et comment te dire, que je n'arrive plus à être elle, ou plutôt je ne veux plus l'être. Enfin, j'adore la musique et j'adore mon public, mais ce personnage, ce n'est pas moi ! J'en ai marre qu'on s'approche et qu'on veuille devenir amis avec moi uniquement pour ma célébrité et pour une personne qui ne me représente même pas... Je pense que tu peux comprendre ça toi aussi ?

- Pas vraiment, je m'en fous des gens. S'attacher ? Se faire des amis ? Ça sert à quoi dans ce monde si superficiel ? À rien, juste à s'attirer des problèmes et devoir se casser la tête pour maintenir un semblant de relation... Ce n'est pas pour moi ça ! D'ailleurs, n'essaie pas d'esquiver la question ? Qu'est-ce qui t'a poussé à rejoindre Kae ?

- Pourquoi venant de toi ça ne m'étonne même pas... Et j'esquive pas la question, c'est juste que ce n'est rien d'incroyable, assura-t-elle en guise de réponse.

- Bah, si un peu quand même... Crache le morceau ! Je veux savoir ce qui pousse la "Princesse des réseaux sociaux" à quitter sa petite vie luxueuse.

- C'est vraiment pas ouf... je t'assure. Je préfère t'éviter ça, dit-elle avec un sourire aux lèvres.

- T'as pas à t'inquiéter pour moi. Si je demande, c'est que je veux savoir ! Allez, c'est pas dur, il suffit juste de parler ! Ou alors tu préfères que je révèle à tout le monde qui nous fait l'honneur d'être des nôtres ?

- T'es vraiment chiant comme gars, dit-elle en le fusillant à nouveau du regard.

- Oh, tiens, encore ce regard. Décidément, tu adores m'incendier de tes yeux, répliqua Yamato en lui rendant un sourire.

- Ouais, puisque tu ne me laisses pas le choix, je vais te le dire, mais avant, promets-moi de ne révéler mon identité à personne !

- Ouais, ouais, si tu veux. Allez, accouche !

- T'as intérêt à tenir parole !

- T'inquiète, je suis peut-être désagréable comme tu le dis, mais je suis loin d'être hypocrite.

- Ça va être long, je te préviens.

- J'ai tout mon temps, c'est pas comme si j'avais quelque chose de plus intéressant à faire...

- Hummm... OK. Alors par où commencer...

- Par le début ?

- Non vraiment ? J'avais prévu d'introduire le sujet par la fin.

- Je te taquine, continue ce que tu voulais dire.

- Je dirais que... depuis mes douze ans, quand ma carrière a décollé, j'ai du mal à me reconnaître. C'est bizarre à dire, mais j'ai vraiment l'impression de ne plus savoir qui je suis. C'est comme si je m'étais perdue dans le rôle qu'on m'a attribué et que je dois agir comme quelqu'un que je ne suis pas - elle s'interrompit et reprit - Enfin, quelqu'un qui n'est pas moi... Qui est tout le contraire de moi. Je dois sourire en permanence et faire bonne figure même quand rien ne va... C'est parfois tellement suffoquant que je rêve de disparaître, ou plutôt de devenir une inconnue qui se fond dans la masse. - Elle prit quelques secondes et continua - J'ai de plus en plus de mal à suivre... avec mon planning surchargé entre les shootings, les concerts, les répétitions, les interviews, les lives, les storys,... Je n'ai pas le droit à une seconde pour faire ce qui me plaît. Je ne peux pas sortir sans être interpellée et avoir un garde du corps collé à moi 24h/24... Tu dois savoir à quel point c'est suffocant, non ? Tout ce manque de liberté.

- Non, je t'avoue que je ne suis pas trop en manque de liberté... Moi, s'il y a un truc que je veux faire, je le fais. Si je veux sortir, j'enfile ma capuche, je passe par la porte et le tour est joué ! Mais du coup, tu veux en venir où ?

- Ah, j'oubliais à qui j'avais affaire... T'as une solution à tous les problèmes. Bah écoute, même moi, je ne sais pas trop... J'ai juste l'impression d'être submergée par une pression immense et de mentir à ceux qui me soutiennent, y compris moi-même, en étalant aux yeux de tous cette vie fabriquée de toutes pièces par mes managers, ou je devrais dire mes parents. Mais je pense que ce n'est pas ça le pire... Le pire, c'est la culpabilité que j'ai de me sentir ainsi alors que j'ai tout...

- Si je résume, tu t'en veux de te sentir mal pour des caprices de starlettes ?

- Tu peux appeler ça comme tu veux... Je regrette juste de me sentir mal alors que je n'en ai pas le droit ! Beaucoup d'Eurasiens vivent des moments bien plus atroces que les miens... et moi, j'ai l'impression de me plaindre pour des absurdités...

Cécilia garda le silence pendant un long instant, regardant ses mains avec lesquelles elle était en train de jouer. La pièce était toujours aussi sombre, et on pouvait entendre de temps à autre l'écoulement des canalisations qui venait emplir l'atmosphère calme et reposante. Le garçon tourna la tête vers son interlocutrice et reprit la parole :

- J'arrive pas à te cerner. Tu sembles savoir ce que tu veux, alors pourquoi tu te prends la tête au lieu de foncer ? Si tu veux être toi-même, il te suffit d'avoir le cran de te rebeller un peu. C'est pas si compliqué que ça. Je ne vois pas ce qui t'en empêche.

- Bah, c'est un peu pour ça que je suis ici... Et ce qui m'en empêche, c'est ma famille ! Mais laisse tomber, c'est trop complexe, tu ne comprendrais pas de toute façon.

- C'est vrai ! Je ne sais pas ce que signifie le mot "famille", et je déteste les gens qui m'ont adopté, mais au moins je reste fidèle à moi-même et je ne me mens pas pour plaire à des personnes qui pourraient me rejeter du jour au lendemain...

- C'est facile à dire, mais quand des millions de personnes m'admirent en tant que Millesia... Changer du tout au tout devient compliqué et ça fait peur...

- Si tu n'essaies pas, c'est sûr que rien ne changera...

- Je sais, et c'est aussi un peu pour ça que je suis ici... Mais bon, ce n'est pas toujours aussi facile qu'on le pense. Au fait, moi aussi je suis curieuse. Qu'est-ce que ça t'apporte d'insulter les gens gratuitement juste parce que tu n'acceptes pas tes origines ? Tu sais, ils n'y sont pour rien. Ce sont des gens comme les autres... Je ne vois vraiment pas ce que ça t'apporte.

- Mes origines ? D'où tu sors encore ces conneries ?

- La partie sur "Skywall", tu t'en souviens déjà plus ? Ou attends, tu ne m'as pas reconnue ?

- Skywall... C'était quel jour encore ?

- Ah, parce que insulter des gens fait partie de ton quotidien ?

- Bah écoute, si les gens sont énervants, je ne vois pas pourquoi je devrais me retenir et me sentir coupable pour leur faire plaisir... Alors, c'était quand exactement ?

- Tu as vraiment une mémoire courte... Peut-être que Princess007 te dit quelque chose ?

- Non, sérieusement, c'était toi ? Ah bon ?! Dit-il avec ironie.

- Non, c'était ma jumelle...

- Je suppose que vous avez tous perdu.

- Non, sans blague... Tu as déjà vu quelqu'un gagner à ce jeu ?

- Eh bien, ce jour-là, j'aurais gagné, mais le destin a voulu me la mettre à l'envers...

- Ouais, ouais, c'est beau de croire en ses rêves. Bon, je pense que je vais aller dormir un peu, sinon demain je ne vais pas tenir à l'entraînement. Sur ce, je te laisse.

La jeune fille se redressa lentement et se mit en route pour quitter la salle de déplacement. Yamato, qui s'était lui aussi relevé, suivit discrètement la jeune fille. Sentant qu'elle était suivie, elle s'arrêta de marcher et se retourna.

- Pourquoi tu me suis ?

- Bah, je vais aussi aller pioncer.

Elle ne répondit pas et reprit sa marche. Ils traversèrent à nouveau le long couloir qui les conduisit au Cloud. Les deux jeunes personnes avançaient côte à côte dans un silence complet, dans la salle 2 où la lumière du jour commençait à éclairer la pièce. Au loin, près d'une table près du saule, ils furent surpris de voir un visage familier qui semblait parler seul. Ils s'approchèrent de lui et Cécilia l'interpella :

- Nevio ? Tu parles à qui ?

- À un fantôme ? ajouta Yamato.

Le jeune garçon se leva, glissant sa main dans sa poche, puis répondit après quelques secondes :

- Euh... à personne. - Gêné, il ajouta en regardant les deux jeunes gens - À ce que je vois, tu ne perds pas ton temps, Yamato.

- Héhé, t'as vu ça ! Je n'y peux rien si mon charme est trop envoûtant.

- Quel charme, sérieusement... Vous êtes vraiment des abrutis en chaleur. Bon, je vous laisse entre amoureux, moi, je vais me coucher, dit-elle en s'en allant.

- Oh, arrête d'être rabat-joie ! Tu n'as pas d'humour... Je disais juste ça pour plaisanter, répliqua le jeune homme, sa capuche posée sur ses cheveux noirs.

- Ouais, et moi, c'était juste pour taquiner Yamato...

- Ouais, ouais, si vous le dites, dit-elle en quittant cet endroit, laissant les deux garçons seuls. Elle disparut dans l'obscurité du couloir qui menait aux dortoirs.

- Désolé, cette fois c'est moi qui ai gâché ton plan...

- Quel plan ? Tu n'as rien gâché du tout ! Tu as même détendu l'atmosphère. Entre elle et moi, ça ne marchera jamais. J'essaie d'être "sympa" avec elle, mais ça ne fonctionne pas... Elle me tape sur les nerfs

- Les contraires s'attirent, non ?

- Ouais, non... Je dirais plutôt que dans notre cas, ils se repoussent ! Et au fait, qu'est-ce que tu faisais là, à parler tout seul comme un schizo ?

- Euh, rien, enfin je ne parlais pas. Tu as dû rêver... Je devais... euh... aller aux toilettes.

- Aux toilettes ? Ce n'est pas de l'autre côté de Kae, ça ?

- Euh... oui, oui, j'y suis déjà allé. Je n'arrivais tout simplement pas à me rendormir... euh, parce que j'avais un peu faim... et je me suis dit que me promener m'aiderait à retrouver le sommeil. Enfin, je pensais plutôt trouver quelque chose à manger par ici.

- T'as l'air perdu dans tes explications... Bon, je retourne au dortoir. Si tu veux, il y a des pommes là-bas, dit-il en montrant le comptoir près de la cuisine.

- Je viens avec toi.

- Tu n'as plus faim ?

- Euh... Non, ça va, c'est passé. Et d'ailleurs, je ne suis pas fan des pommes...

- On est d'accord sur ce point !

Yamato et Nevio se mirent en route tout en discutant de tout et de rien. Sur le chemin du retour, ils croisèrent quelques personnes qui se baladaient tranquillement, entrant et sortant des différentes chambres. Après avoir passé une quinzaine de dortoirs, ils atteignirent le leur et entrèrent sans faire de bruit afin de ne réveiller personne. Tout le monde dormait profondément, y compris Cécilia qui s'était endormie rapidement. Yamato se jeta sur son lit, tandis que Nevio monta les trois marches de l'échelle pour se coucher délicatement sur le matelas. À peine deux heures s'étaient écoulées depuis qu'ils s'étaient endormis que retentit, à 7h du matin, l'annonce matinale dans tous les haut-parleurs de Kae :

" Bien le bonjour chers kaeiens/kaeiennes, un nouveau jour se lève sur Kae. Nous espérons que vous avez passé une bonne nuit et nous vous attendons à 8h dans le Cloud pour prendre le petit-déjeuner ! Veuillez revêtir les uniformes qui se trouvent dans les casiers des vestiaires. Nous ne pouvons pas garantir aux retardataires qu'il restera de quoi manger, donc soyez là à l'heure".

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top