Dans le centre de Network City

Un peu plus tard dans la même soirée, dans un quartier privé, au 5ème étage d'un immeuble très luxueux, un jeune homme au teint de porcelaine avait les yeux rivés sur la seule source lumineuse qui éclairait sa chambre, plongée dans une grande obscurité. Cette lumière artificielle illuminait son visage fatigué, où les dessous de ses yeux bridés étaient marqués par de grands cernes marron, témoins de nombreuses nuits blanches passées devant son ordinateur à jouer à des jeux vidéo ou à traîner sur son téléphone en faisant défiler les réseaux sociaux. Le garçon, vêtu de manière décontractée, portait un bonnet en laine blanc sur la tête, laissant dépasser quelques mèches de ses cheveux noirs corbeau. Cette frange, devenue grasse ces derniers jours, descendait le long de son front, accentuant encore davantage son teint pâle.

Il devait sûrement être aux alentours de 4 heures du matin. À l'extérieur, il faisait froid et il commençait à pleuvoir abondamment. Les rues étaient désertes, dépourvues d'animation puisque tout le monde était plongé dans un sommeil profond. À l'exception de ce jeune homme, enfermé dans sa chambre, assis confortablement sur une chaise de gaming noire, ultra rembourrée, avec des coutures et un dossier rouges. Cette chaise dégageait l'odeur du cuir neuf, semblable à celle que l'on respire lorsqu'on achète une nouvelle voiture et qu'on s'assoit à l'intérieur pour la première fois. En face de lui, se trouvaient deux bureaux. Sur l'un d'eux se dressait un écran d'ordinateur large, mesurant 1,2 mètre de largeur et 60 centimètres de hauteur, offrant une netteté impeccable et un traitement antireflet. À côté de l'écran, se trouvaient un clavier et une souris à LED bleue. Sur l'autre bureau, il y avait un ordinateur portable, ainsi qu'un PC gamer équipé d'un processeur, d'une carte graphique dédiée de 12 Go, d'une mémoire de 128 Go et d'une vitesse de rafraîchissement de 5 ms, accompagné d'un système de refroidissement. Les murs gris de sa chambre étaient presque entièrement recouverts de posters et d'étagères contenant des figurines minutieusement disposées, représentant des personnages de jeux vidéo connus.

Concentré sur sa partie, dans cette pièce où seuls régnaient de légers murmures provenant de son casque gaming, le jeune homme ne semblait pas vouloir discuter avec les autres de la stratégie à adopter pour remporter la victoire. Malgré la fatigue qui commençait à se faire ressentir, comme si sa vie en dépendait, son regard restait en permanence fixé sur les deux écrans, situés en dessous de sa fenêtre occultée par un rideau noir. Une souris dans sa main gauche et l'autre posée sur son clavier, la partie était sous son contrôle et rien ni personne ne pouvait le détourner de sa concentration.

Ce jeu, sur lequel il était tellement préoccupé depuis des heures, était le fameux "Skywall", un jeu à la mode et extrêmement populaire. Il lui était impossible de se coucher avec une bonne conscience s'il ne jouait pas au moins une "petite" partie. Il était tellement absorbé et obsédé par les graphismes, les nouvelles mises à jour fréquentes, le peu de contact humain qu'il pouvait y avoir et l'adrénaline qu'il ressentait pour éviter de perdre, qu'il pouvait y passer des heures et des heures, occupant ainsi la quasi-totalité de sa nuit. Bien évidemment, sinon comment expliquerait-on les cernes prononcées qui marquaient ses yeux? Non, ce n'était pas par magie, et oui, peut-être pour une fois, on pouvait accuser les écrans, comme le disent si souvent les parents, c'est cela qui rendrait les adolescents de nos jours tellement vide de vie et qui le rendrait malade.

Avec la nouvelle mise à jour, il dut patienter un court laps de temps, exactement 3,18 secondes, avant de pouvoir se lancer dans l'action, que ce soit en attaquant ses ennemis pour les pulvériser avec une quelconque arme, ou en appuyant avec force et rapidité sur les touches de son clavier, tel Usain Bolt.

Une fois connecté, il décida de rejoindre un groupe déjà formé. Ils étaient 4, et il en fallait 6 pour démarrer la partie. Les règles étaient simples, du moins pour un gamer. Comme cela était si bien affiché sur les panneaux publicitaires : "10 équipes, 1 seul gagnant, un prix si vous gagnez et un autre si vous perdez aussi... Donc, qui sera prêt à perdre, bande de loosers ?".

Le but était de former une équipe pour affronter d'autres dans un décor hors norme, celui d'un labyrinthe animé et en mouvement dans toutes les directions. Avec cette dynamique imprévisible, il était difficile de créer un plan pour mieux éliminer ses adversaires, d'autant plus que des PNJ* étaient présents tout au long de la partie pour vous anéantir. Rien n'était plus frustrant que d'être éliminé par des personnages fictifs qui n'avaient même pas le plaisir de vous éliminer. À la fin de la partie, les joueurs restants de la dernière équipe devaient se battre entre eux, car comme cela était si clairement indiqué : "10 équipes pour un seul gagnant !". Bien évidemment, si ce dernier se faisait éliminer par un PNJ, la partie se terminait et aucun prix n'était distribué, ce qui était d'ailleurs assez fréquent.

En attendant que les dernières équipes se forment et que la partie commence, les joueurs des différentes équipes discutaient entre eux.

- Waaaaaaah, salut Yamat01, j'espère que tu sais jouer au moins, pas comme Princess 007, dit l'un d'eux en se surnommant Ifuwinuaregay.

- Ne l'écoute pas, si quelqu'un parmi nous joue le plus comme un noob**, je pense que c'est lui bahahahaha, répliqua Uninconnuepeuconnu avec sarcasme.

- Ah bon, quelqu'un m'a parlé ? Étrange, je croyais que c'étaient mes oreilles qui sifflaient, rétorqua Yamato en esquissant un sourire en coin.

Et un assemblage de "ouuuuuh, j'aurais pas aimé ça" se fit entendre. Le dernier joueur nécessaire pour commencer la partie les rejoignit.

Yamato continua : Eh bien, Princess007, toujours toi à ce que je vois... Tu te fais aussi ramasser et tu ne réponds même pas ?

- Je n'ai pas besoin d'écouter les conneries d'un petit bambi*** qui se croit meilleur que les autres, c'est tout ! Ce qui compte pour moi, c'est de gagner, les gars, point final, répondit une voix féminine.

Suivis par ces derniers mots, de nombreux éclats de rire éclatèrent, accompagnés d'un léger grognement de la part de Ifuwinuaregay.

Par la suite, ils continuèrent à discuter de tout et de rien, abordant les différentes stratégies à adopter. Pour conclure leur discussion, un compte à rebours d'une minute envahit leurs écrans. Yamato se prépara, s'installa confortablement, prit une dernière gorgée de son café corsé, fit craquer ses doigts, s'étira, puis se recroquevilla devant sa souris et son clavier lumineux multicolore.

La partie venait à peine de commencer, et déjà un joueur de leur équipe fut éliminé par un PNJ caché dans une impasse.

- Quoi, déjà éliminé TheBest ? Tu devrais plutôt te faire appeler TheWorst... Et moi qui avais parié que ce serait la petite donzelle qui se ferait kick**** en premier, tu me dois 10 euros pour le coup, lâcha Ifuwinuaregay.

- Donzelle ?! Mdr, ça se voit que tu vis encore au 20e siècle, pas à cause de ton langage, mais plutôt de ta façon de penser qui m'écœure. Je ne veux pas débattre là-dessus, mais j'ai hâte qu'on se retrouve à la fin. On verra alors comment notre bambi sait jouer... Répondit Princess007 avec un ton empreint de sarcasme.

- Bon les gars, on réglera nos comptes après s'il le faut, et toi, calme-toi un peu. Tu ne vois pas qu'il fait exprès pour nous faire perdre, ce con de rageux. Allez, concentrons-nous, s'il vous plaît, leur dit Yamat05 d'une voix sage.

Ni une, ni deux, trois équipes au total étaient déjà hors course. Malchance pour les premiers éliminés qui devaient subir le "prix" des losers, celui de se faire rétrograder d'une place dans l'échelle des RPL ! Certes, c'était un risque à prendre, mais cela pouvait également constituer un avantage considérable d'arriver en tête, car cela lui permettrait d'augmenter son statut social d'un cran.

Le jeu se corsa légèrement, les cachettes se faisaient moins nombreuses et grâce aux algorithmes créés par la société de jeu, les PNJ, quant à eux, doublaient de minute en minute en fonction du nombre d'éliminations.

Cela devenait de plus en plus complexe, mais cela plaisait bien à Yamato. Il avait équipé son personnage d'un simple fusil, certes difficile à manier, mais d'une grande précision et d'une recharge rapide. C'était essentiel, surtout à ce stade de la partie, où la moindre petite erreur de cadrage pouvait lui être fatale.

Après quelques coups de fusil, lui et son équipe réussirent à éliminer une autre équipe. Il ne restait plus que deux groupes en lice pour la victoire. Ils étaient encore quatre gamers contre trois, mais il savait bien que ce n'était pas le moment de crier victoire. Les choses sérieuses allaient commencer.

En quelques secondes, le visage du jeune homme se crispa, et une expression de détermination apparut sur son visage. La partie devenait très intense, et le combat allait bientôt prendre fin, révélant ainsi l'équipe victorieuse. Cependant, ce n'était pas encore tout à fait terminé. À travers son casque, les voix s'entremêlaient et provoquaient une cacophonie désagréable. Des cris et des insultes fusaient de toutes parts, mais il était trop concentré sur sa volonté de gagner pour y prêter attention.

Vocabulaires : 

*pnj : personnages non joueur

**Noob : Joueur en ligne manquant d'expérience et commettant régulièrement des erreurs.

*** Bambi : Nom donné à un joueur qui se cache tout au long de la partie pour ne pas être trouvé. Il attend que tout le monde s'entre-tue et sort en dernier lieu de sa cachette, faisant partie des derniers joueurs encore actifs.

****Kick : Se faire tuer.