Partie 8.2 - Par Myfanwi
*********
Sur la place de la ville, Théo comptait les minutes avec avidité. Trente-deux minutes. Plus que cent quarante-huit et il pourrait lancer l'assaut et tuer des choses. Assis sur des caisses, le paladin faisait défiler les secondes sur ses doigts, inlassablement, son épée impeccablement lustrée étendue soigneusement à côté de lui.
Il perdit le compte quand du mouvement attira son attention du côté de la maison où les soldats avaient emmené plus tôt Sir Delenor. Dans la fraction de secondes où la porte s'entrouvrit sur le médecin, il remarqua que l'homme, qu'ils avaient étendu sur la table, ne s'y trouvait plus.
Distrait, il hésita entre continuer son décompte macabre ou aller inspecter pendant une seconde, avant de décider que, quand même, il se faisait vachement chier et que c'était peut-être l'occasion de frapper sur quelque chose, ce qu'il ne manquerait pour rien au monde. Il avança vers l'habitation d'un pas militaire, mais, au moment de pousser la porte, un garde lui bloqua l'accès.
— Eh, qu'est-ce que vous faites ?
— Laisse-moi entrer, bouffon, ou je te mets en première ligne au moment de l'attaque !
— J'ai reçu des ordres, s'entêta le soldat. Vous ne passez pas.
— Les ordres de quoi ? C'est moi qui commande ici. Sors de là !
L'homme refusa. Théo poussa un long grognement de colère, alors que son visage prenait une teinte plus rouge. Il serra les poings, contrarié.
— C'est moi qui prépare l'attaque, et j'ai besoin de rentrer dans cette maison.
— Sir Delenor se repose et ne peut vous recevoir.
— Non, il se repose pas ! C'est urgent, j'ai quelque chose à lui dire.
— Il se repose, je vous dis !
— Et quoi ? Tu vas me tuer si j'essaie de rentrer ? se moqua le paladin, le regard de plus en plus mauvais.
— Je ne fais que mon travail. Circulez maintenant.
Théo tenta une approche beaucoup moins amicale d'un grand coup d'épaule. Le garde ne se laissa pas démonter pour autant et le força à reculer, son arbalète pointée sur son visage. Le paladin prit une inspiration.
— Espèce de crétin.
Il serra le poing et brisa la fenêtre d'à côté d'un grand coup, avant de s'inviter lui-même à entrer. Un carreau d'arbalète se plante entre les interstices de son armure, au niveau de l'épaule, sans grand dommage. Théo se retourna pour regarder le morceau de bois qui dépassait de son dos, puis fixa l'arbalétrier d'un regard sombre, qui ne se sentit soudainement plus aussi courageux.
— Aidez-moi ! cria-t-il aux gardes les plus proches.
Les soldats se retournèrent vers eux, de plus en plus agités. Théo sentait qu'on lui cachait quelque chose, et il n'aimait pas ça. Décidé à découvrir ce qu'il se passait, il ignora le soldat qui appelait à l'aide et entra de force par la fenêtre qu'il venait de briser.
L'intérieur était vide. Sir Delenor ne se trouvait plus sur les lieux. Il ne restait au sol que quelques bandages tâchés de sang. Des bruits dans la cour attirèrent son attention. Il se dirigea vers l'une des fenêtres qui menait derrière la maison et ne put qu'assister, impuissant, à la fuite d'un cheval déjà lancé au galop, Sir Delenor sur son dos. Il jura. Il était évident qu'il prenait le même chemin que ses camarades.
Il sortit de la maison, et souffla lorsqu'il s'aperçut que plusieurs gardes le braquaient à présent.
— Baissez vos armes, bande de troufions. Sir Delenor s'est barré.
— Quoi ? Comment ça il est parti ? demanda l'arbalétrier qui lui avait tiré dessus.
— Oui, il s'est barré, qu'est-ce que tu veux que je te dise ? Il a pris son cheval et il s'est cassé. Bravo, tu seras peut-être élu garde de l'année au prochain concours ! T'as tout gagné, tu seras en première ligne. Appelle le capitaine maintenant, crétin !
L'homme sursauta et bafouilla des excuses, avant d'obéir. Il hêla son supérieur hiérarchique, occupé à donner des ordres un peu plus loin.
— Je pars après Sir Delenor. N'attaquez pas sans mon signal, je serai de retour avant. Mettez-vous en route et postez-vous le plus près possible.
— Très bien, salua le capitaine. Nous comptons sur vous. Merci pour tous vos conseils, même s'il faut bien reconnaître que nous ne sommes pas partis du bon pied, chevalier.
— Ouais, c'est ça. Trahis-moi et je te crève.
Sur ces mots, Théo sauta sur le dos de Lumière et se lança au galop sur les traces de Sir Delenor, bien décidé à l'arrêter.
**********
Grunlek débattait de si oui ou non il devait prévenir le mage de l'eau que quelque chose se passait.
Derrière lui, Balthazar s'était stoppé, les pouces frottant frénétiquement ses tempes. Son démon s'agitait de plus en plus, et une voix ne tarda pas à se faire entendre dans son esprit. Une voix beaucoup trop familière.
— S'il te plaît, viens me parler. Laisse-les avancer. Laisse le mage, rejoins moi. Juste quelques minutes.
Le demi-diable se laissa distancer par ses compagnons et grogna, avant de répondre mentalement à son tour.
— Je t'écoute. Qu'est-ce que tu veux ?
— Viens, rejoins moi.
— Non ! Je reste avec mes amis.
Il n'eut pas le temps de poursuivre. Devant les aventuriers, le mage de l'eau tomba soudainement à genoux et hurla de douleur en se tenant la tête. Le cri dura de longues secondes, sous les yeux interloqués de ses trois accompagnateurs, puis il s'écroula sur le sol, inconscient.
— Je vous avais dit de venir ! s'exclama la voix qui provenait des buissons.
— Et toi, je t'avais dit de ne pas toucher à mes amis ou aux gens sous ma protection ! répondit Balthazar. Montre-toi, Papa !
Cependant, à sa grande confusion, ce ne fut pas son père qui sortit des buissons, mais Sir Delenor, un grand sourire aux lèvres. Le mage fronça les sourcils. L'homme semblait étrange. Ses dents étaient plus pointues et une étincelle rougeoyante brillait dans ses pupilles.
— C'est un plaisir de travailler avec vous. Si je l'avais su, je l'aurais fait avant, poursuivit-il. On fait un travail formidable. Ça va être la guerre, ça va être génial !
— Tu le connais, Bob ? demanda Shin, inquiet.
Balthazar secoua la tête. Les demi-démons étaient censés être rares. Si celui-là en était un comme il le suspectait, ils risquaient d'avoir de gros ennuis.
— C'est un démon ou un demi-démon qui s'est trop laissé aller dans sa partie élémentaire, répondit Balthazar, comme l'ont fait ces demi-élémentaires d'eau. Sauf que celui-ci semble avoir un objectif très précis : se nourrir de la guerre. Grunlek, chuchota-t-il, va voir le mage de l'eau, je m'occupe de lui.
Le nain hocha la tête et se dirigea avec Shinddha vers l'homme à terre, pour s'assurer qu'il était toujours en vie. Balthazar s'assura qu'ils soient hors de portée avant de s'adresser à Sir Delenor.
— Depuis combien de temps est-ce que tu planifies ça ? Qu'est-ce que tu vas tirer de cette guerre ?
— Du calme, ami mage. Je ne fais que faire ce pourquoi nous sommes faits. Je ne fais que redonner un peu d'énergie dans ce monde un peu trop lisse. Ce sera d'abord cette ville, puis ce sera une prochaine... J'avais aussi prévu de rentrer dans la guilde des intendants, provoquer un peu de chaos, ici et là... Je trompe l'ennui. Ça donnera un peu de vie à ce monde, qui, avouons-le, est d'une tristesse !
— Tu parles de répandre la vie, mais tu ne fais que semer la mort ! Qu'est-ce que tu cherches juste ? Me provoquer ?
— Je te sens presque vexé, mage. Ne sois pas aussi coincé, on fait un travail formidable ? Regarde, je n'avais encore jamais vu un nain taper le sol en créant une onde de choc pareil ! Et ce demi-élémentaire... Qui ne défend pas ses frères demi-élémentaires pour une quelconque raison, c'est fascinant ! Il provoque encore plus de conflits à lui tout seul. Vous êtes des modèles pour moi. Tous ces mortels dehors, ils vivent et ils meurent tristes. Mais regardez ce que nous, on peut faire. Leurs plaisirs sont puérils, un grain de sable dans l'éternel cycle du temps, mais le monde, lui, nous appartient. À nous et à nous seuls.
Des bruits de sabots se firent entendre non loin. Perché sur son cheval, l'épée au clair, Théo arrivait comme une furie. Il avait perdu plusieurs fois la trace de Sir Delenor, mais il était maintenant prêt à en découdre.
— Retournez dans votre lit ! rugit-il. Vous êtes en train de gâcher ma guerre !
Le demi-démon ne lui lança même pas un regard, et continua à s'adresser à Balthazar.
— Je suis sérieux, maître mage. Ne suivez pas ce mage de l'eau. Vous allez vous faire tuer, est-ce vraiment ce que vous voulez ? Ils vont ouvrir les Dents du ciel et balayer la région, envoyez l'armée les détruire !
— Il y a encore une chance que la diplomatie nous mène à la paix, et nous ne vous laisserons pas la gâcher.
— Mais puisque je vous dis que je suis en train de vous sauver la vie !
— Nous sauver la vie ? Avant de sombrer dans l'inconscience, vous avez ordonné notre mort !
— Oh, ça va, je rigolais ! Je vais lever l'ordre, voilà, ça vous va ? Enfin, s'il y a des survivants, bien sûr.
Shin serra les poings.
— Si tu veux la guerre, tu vas la trouver, menaça le demi-élémentaire d'eau. Mais ce sera pour tes petites fesses, d'accord ? Il est hors de question que je laisse des congénères ou des amis humains y laisser leur pomme à cause de toi. On a encore du temps pour aller au négociation, juste assez pour s'occuper de ton cas.
— Allons... Si vous vous attaquez à moi, vous allez perdre trop de temps.
— C'est ce qu'on va voir, répondit Balthazar, un grand sourire carnassier aux lèvres. Je nous donne vingt minutes.
Il fit un signe à Théo, pour lui dire de charger. Néanmoins, il n'était pas rassuré. Il savait qu'il était plus que vraisemblable que le mage de l'eau soit connecté avec son maître. La connexion avait dû être coupée lorsqu'il était tombé inconscient, et il craignait que Neptune le prenne comme une attaque contre les négociations. Ils n'avaient que quelques minutes pour renverser les événements avant qu'ils ne prennent une tournure dramatique.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top