Partie 3 - Par Myfanwi
Partie 3
Par Myfanwi
— Shin, espèce d'enculé ! hurla Balthazar. Je te jure que si on survit à ça, je fais un collier avec tes tripes ! Plus jamais tu choisis les vacances !
Paniqués, les aventuriers tentaient tant bien que mal de prendre de la hauteur. Une vague d'eau monstrueuse déferlait plus loin sur la forêt et ne prendrait plus que quelques secondes à les emporter, eux aussi. Si les autres avaient relativement réussi à trouver de quoi se mettre à l'abri, Balthazar s'était lui réfugié dans un arbre bien plus petit, bien trop petit, comprit-il à mesure que le tsunami se rapprochait.
La vague se fracassa contre les arbres, secoués comme s'ils ne pesaient rien sous sa force. Les aventuriers, terrifiés, se cramponnèrent tant bien que mal en priant pour que le bois ne cède pas. Le pyromage fut le plus durement touché, ballotté par le courant. Il but plusieurs fois la tasse, mais ne lâcha pas sa prise, bien conscient qu'un geste malheureux signerait sa fin.
Une fois le plus gros passé, Shin se tourna vers l'horizon et écarquilla les yeux. Tout affilié à l'eau qu'il était, il avait à peine réussi à tenir face à ce premier déchaînement des événements. Mais la deuxième vague qui se pointait devant lui était deux fois plus grande que la première. Il sentit son sang se glacer. Il commençait à douter sérieusement que leurs cachettes soient assez hautes pour survivre à ça.
Théo, qui retenait d'une main le cheval et, de l'autre, Shaydan, la femme qu'ils venaient de sauver, commençait à se demander si tout ça n'était pas une punition divine. Peut-être la femme était-elle maudite ? Peut-être fallait-il tout simplement la sacrifier à la vague géante ? La jeune marchande n'apprécia pas beaucoup le regard blanc qu'il lui lança et resserra un peu plus sa prise sur l'énorme branche à laquelle elle se tenait.
Balthazar fronça les sourcils quand il aperçut sur la vague qui approchait une charrette qui flottait difficilement. Un minuscule chaton s'y agrippait de toutes ses forces, miaulant à fendre l'âme pour demander de l'aide. Le mage considéra ses options. Il était clair qu'il ne survivrait pas à la deuxième vague. Cependant, s'il profitait de ce radeau impromptu, il aurait assez de marge de manœuvre pour rejoindre Grunlek, en plus de sauver le minuscule animal d'un sort funeste. Et s'il ratait... Au moins serait-il mort en tentant de faire une bonne action.
Il lança une boule de feu vers le radeau, puis projeta sa psyché pour se téléporter dans sa course. Cela ne se fit pas sans mal, puisqu'il fut contraint de puiser dans son essence vitale, mais il se retrouva affalé sur le morceau de bois, épuisé et vidé de sa magie, face à un chaton terrifié, et au-dessus d'une vague de plusieurs mètres de haut. Et maintenant ? Il put lire la même question dans les yeux de Théo, plus loin, qui le regardait comme s'il était le plus grand crétin qu'il n'avait jamais rencontré. Shin tenta bien de mobiliser sa magie pour lui sauver la vie, tout comme Grunlek, mais bien trop tard. La deuxième vague frappa l'arbre avant qu'il ne puisse faire quoi que ce soit, et Balthazar disparut de son champ de vision, emporté par les flots avec la charrette et le chaton.
— Mais c'est pas possible d'être aussi con ! hurla Théo, qui retenait la bride de Lumière d'une main et l'arbre de l'autre. Putain d'hérésie !
La vague s'éloigna à l'horizon, laissant derrière elle un paysage dévasté. Les aventuriers patientèrent le temps que le niveau de l'eau baisse suffisamment pour y voir plus clair. À leur grand désespoir, ils ne virent ni Balthazar, ni le chaton, nulle part. Les aventuriers quittèrent leurs refuges pour rejoindre la terre ferme. Épuisé, le cheval de Théo était couché au sol, haletant. Le paladin s'assura qu'il n'avait rien de grave et le laissa se reposer pour rejoindre les autres.
— Vous avez vu les montagnes là-bas ? demanda Grunlek, en pointant le nord. On dirait que c'est de là que vient l'eau.
Il avait aperçu, derrière les pics, l'eau qui luisait à la lumière de la lune naissante, comme un réservoir gigantesque. Il n'osa pas parler de la ville, Lyzandr, dont il avait vu les premières constructions au loin s'affaisser sous le passage des deux immenses vagues, comme le reste des aventuriers.
— On devrait suivre la vague pour rechercher les cadavres de Bob et Shin, dit Théo.
— C'est sympa, répondit Shin, qui les rejoignait, les vêtements trempés, mais je ne suis pas mort.
— Ah, bah juste le cadavre de Bob du coup, répondit le guerrier, presque déçu, ce qui arracha un hoquet de mécontentement au demi-élémentaire d'eau.
Théo hésita, mais décida de laisser Lumière se reposer encore un peu. Il décrocha la selle et le laissa reprendre ses esprits sur le sol détrempé. Toujours près de lui, Shaydan ne put s'empêcher de lui partager ses inquiétudes quand à la chaîne de montagnes aperçue plus tôt, ce à quoi Théo répondit un magnifique :
— Hein, quoi ?
— L'eau semble venir de là-bas, reprit la jeune femme, légèrement agacée par son manque d'attention. Je connais un peu la région parce que je suis venue régulièrement voir ma sœur ces dernières années. Elle habite dans les environs. Et jamais... Jamais, il n'y a eu ce genre d'événement. Il y a sans doute une réserve naturelle dans ces montagnes, mais ce qui a provoqué ça n'est pas naturel.
— Une chose à la fois, répondit le guerrier. On va d'abord aller enter.... retrouver Balthazar, et ensuite on ira voir.
Et ce fut ce qu'ils firent, des heures durant. Une fois Lumière suffisamment reposé pour tenir sur ses jambes, les aventuriers commencèrent à éplucher les environs, avec l'infime espoir de retrouver le mage en vie. Ils s'éloignèrent vite de plusieurs lieues de l'endroit où ils avaient été frappés par la vague, constatant à chaque instant les dégâts titanesques qu'elle avait causés dans les environs. Des terriers regorgeaient d'eau, des arbres avaient été brisés net, sans trace visible des parties qui avaient été arrachées, emportées par l'eau.
L'aube approchait quand ils atteignirent enfin un endroit où l'eau n'avait pas réussi à s'infiltrer, du fait de la densité de la couverture des arbres au-dessus de leurs têtes. Shin avait été le premier à s'y aventurer, persuadé d'y avoir entendu de faibles miaulements de chaton. Il ne s'attendait certainement pas à y trouver l'immense dragon qu'ils avaient affronté plus tôt, endormi. Le mage était couché sur le ventre quelques mètres plus loin, la tête enfoncée dans la boue et un minuscule chaton juché sur son dos, jouant avec ses cheveux détrempés. À en juger par les traces au sol, le mage avait été traîné ici par l'immense créature, avec les restes d'une araignée géante. La clairière ressemblait fortement à un garde-manger.
Étant le plus discret d'entre tous, Shin fut contraint de se porter volontaire pour s'assurer qu'il était toujours en vie, sous le regard de ses compagnons, prêts à attaquer si quelque chose se passait mal. À pas de loup, l'archer contourna l'immense créature et s'accroupit au chevet du pyromage endormi. Shin récupéra d'abord le chaton et lui caressa la tête pour le faire taire, terrifié à l'idée que ses miaulements ne sortent le reptile de son sommeil. Il fit ensuite de son mieux pour éviter l'haleine fétide de la créature pour tenter d'hisser Balthazar sur son épaule et le tirer de ce mauvais pas. Il traîna tant bien que mal le mage hors de portée et rejoignit les autres qui attendaient plus loin. Théo récupéra le corps du mage et ensemble, les aventuriers s'éloignèrent dans la forêt pour éviter d'être attaqués par surprise par un dragon mal réveillé.
— Il pue le poisson, mais il est vivant, constata Théo, une fois en sécurité.
— Soigne-le dans ce cas, répondit Grunlek. Il n'a pas l'air en forme.
— Je ne sais pas si j'ai envie, grogna le paladin. Je pense que je vais le laisser dans les vapes encore quelques heures, au moins, il nous fera pas chier à chialer comme une princesse.
— Théo...
Le paladin souffla lourdement et, sans grande délicatesse, laissa tomber le mage au sol. Il invoqua la Lumière pour le réanimer, mais ne fit pas l'effort de le soigner davantage. Balthazar s'était mis dans la panade tout seul, il se démerderait tout seul pour se soigner. Le mage revint à lui difficilement, contorsionné, mais avec l'intense satisfaction de trouver, lové contre lui, la petite boule de poils pour laquelle il avait tout sacrifié plus tôt. Il décida d'appeler le chat Wilfried, et, au grand dam de Théo, de l'adopter définitivement.
— Shin... appela-t-il en se réveillant. Tu vas me payer une nouvelle robe et un bordel, ou j'te bute dans ton sommeil, enfoiré.
— Mais c'est pas moi ! s'offusqua l'archer.
— C'est qui le crétin qui a eu l'idée de ces vacances ? rappela le mage.
— Euh... Je vais aller chercher à manger, moi.
L'archer s'éloigna précipitamment pour aller observer les hauteurs d'un vieux pommier déraciné. Après avoir laissé quelques heures à Balthazar pour se remettre de ses émotions et lui expliquer qu'ils prenaient la route du village pour pouvoir se reposer un peu, les aventuriers se remirent en marche avec Shaydan, qui ne semblait pas réaliser qu'il y avait peu de chance que sa soeur s'en soit tirée vivante. Cette vague resterait dans les livres d'histoire, et le mage avait du mal à imaginer que quiconque autre qu'eux ait pu y survivre. Par acquis de conscience, cependant, ils décidèrent de s'y rendre.
Après une demi-journée de marche, sans surprise, ils tombèrent sur des ruines. Les abords du village avaient été touchés durement par la vague. Plusieurs maisons s'étaient écroulées sur elles-même, et quelques villageois hagards erraient entre elles pour tenter de sauver ce qui pouvait encore l'être. Cependant, la partie plus en hauteur, située sur la colline centrale, semblait avoir été relativement épargnée, même si quelques dégâts restaient visibles. Ici, la tension était vive et l'agitation grande. Des hommes, des femmes et des enfants couraient pour solidifier les constructions ou porter les blessés et les animaux qui avaient survécu en sécurité.
Les regards se posèrent à peine sur les aventuriers. Les villageois n'avaient pas le temps de s'occuper d'eux. À leurs côtés, seule Shaydan retenait ses larmes, et observait chaque visage, alors qu'elle réalisait peu à peu le terrible drame humain qui s'était joué dans ce petit village en contrebas de la montagne. Même si plusieurs personnes avaient survécu, les champs, les élevages et tout ce qui se trouvait à hauteur de la vague avait été anéanti ou emporté au loin.
Les aventuriers passèrent près d'une famille éplorée. Une femme et son fils pleuraient un homme étendu au sol et, d'un ton vengeur, réclamait justice.
— Mon mari ! hurla-t-elle à deux soldats qui observaient de manière désintéressée. Mon mari a donné sa vie pour nous protéger avant que la vague ne frappe. Et tant d'autres sont morts ! Et vous dans tout ça, qu'est-ce que vous avez fait ?
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