Chapitre 7


Yoongi regrettait amèrement.

Alors qu'il gravissait avec peine les 4 étages sans ascenseur qui menaient à l'appartement de Jimin, chargé d'une petite valise gorgée de livres et qui pesait donc une tonne, il regrettait d'avoir accepté de le laisser choisir.

Jamais il ne se serait attendu à ce que le lieu de rencontre de leur deuxième rendez-vous de travail soit au domicile même du YouTubeur. Et, alors qu'il butait sur une marche et devait s'agripper à la rampe pour ne pas s'étaler, Yoongi prenait soin de mettre tout le rejet qu'il pouvait dans ce mot, YouTubeur, pour compenser l'épreuve qu'il était en train de vivre.

Plus jamais.

Il le lui ferait savoir très clairement s'il réussissait à atteindre ce foutu quatrième étage.

Lorsqu'il avait accepté, jamais Yoongi n'aurait pensé que le gamin habitait dans un des ces appartement minable d'un quartier minable de Paris. Sinon, bien sûr, il se serait douté. Douté du manque d'ascenseur. Douté de la saleté sur les murs du hall d'entrée. Douté du bruit infernal de la circulation qui passait dans la rue juste en dessous. Il ne comprenait pas comment on n'entendait pas ce bruit de fond dans les vidéos.

Un simple 4 sur une simple petite pancarte blanche, de travers nota-t-il, lui fit savoir que le calvaire était terminé. Le calvaire physique, du moins, car la mauvaise humeur de Yoongi ne lui faisait pas attendre grand-chose des prochaines heures passées à supporter les péroraisons de Jimin.

Alors qu'il observait la cour en contrebas par la petite fenêtre, tentant de reprendre son souffle avant de sonner, Yoongi se remémorait les yeux de Jimin lorsqu'il avait commencé à réciter ses "droits du lecteur" l'autre jour au café. Un sourire lui vint malgré lui, au souvenir de son air outré lorsque Yoongi avait feint de ne pas les connaître, au souvenir de la passion qui habitait ensuite son regard lorsqu'il les énumérait.

C'était assez amusant de titiller Jimin, il devait le reconnaître.

Son souffle était maintenant redevenu régulier, Yoongi délaissa la contemplation de la laideur de la cour pour s'approcher de la porte. "Première à droite" avait-il reçu par SMS juste avant de monter les marches. En même temps que "4e étage. Pas d'ascenseur, désolé".

Bien sûr, Jimin avait attendu le dernier moment pour l'informer.



Jimin attendait, le front collé au bois de la porte, l'œil vissé à l'œilleton. L'ongle du pouce dans la bouche. Mais qu'est-ce qu'il fabriquait ? Ça faisait bientôt 5 minutes que Yoongi était arrivé et qu'il restait planté devant la fenêtre du palier, à regarder je-ne-sais-quoi. Jimin ne comprenait pas.

Lorsque, enfin, Yoongi s'empara de sa valise à roulettes (une valise ? où allait-il ?) et se dirigea vers la porte de l'appartement, Jimin recula précipitamment, tentant de ne pas faire de bruit. Puis, au tintement de la sonnette, il lança un "j'arrive" qu'il tenta de faire sonner lointain.

Le sourire en coin de Yoongi, lorsqu'il ouvrit finalement la porte, l'amena à penser qu'il avait échoué et il s'en sentit ridicule.

Et en colère. Déjà.

Ce Min Yoongi était aussi désagréable que la fois dernière.

Il s'effaça pour le laisser passer, le visage fermé pour montrer son mécontentement, puis lui indiqua la direction du salon, dans lequel Yoongi pénétra en regardant soigneusement autour de lui.

C'était étrange, quand même, d'avoir Min Yoongi chez lui.

Il portait une chemise, bleue cette fois, légèrement ouverte au col, un pantalon à pinces noir et une veste de la même couleur qu'il posa sur le dossier du canapé.

Canapé devant lequel il resta planté, un sourire énigmatique aux lèvres.

Jimin s'inquiéta. Avait-il mal fait le ménage ? Mal rangé ? Laissé traîner quoi que ce soit de compromettant ? Pourtant il avait passé sa matinée à rendre l'appartement parfait, étudiant soigneusement la position de chaque coussin, de chaque livre presque. Et, il en était sûr, il n'y avait rien à trouver de compromettant concernant sa passion pour la voix de Min Yoongi.

Tout était dans son téléphone.

À cette pensée, Jimin rougit légèrement, se demandant ce que Yoongi penserait s'il savait qu'il avait fait un montage de ses instants préférés des podcasts, que Jimin se passait en boucle lorsqu'il était stressé.

Oui, malgré leurs rencontres réelles désastreuses, il continuait à écouter la voix de Min Yoongi.

Et ça fonctionnait, comme la veille avant une discussion en direct avec une autrice sur Instagram. La voix de Yoongi était parvenue à le calmer, à rendre sa respiration régulière à nouveau.

Jimin sourit, reconnaissant malgré lui à cet homme du pouvoir que sa voix avait sur lui.

— Asseyez-vous. Vous voulez boire quelque chose ?

— Un verre d'eau, merci.

— Rien d'autre ? Un café ? Un... thé ?

Il avait mis un peu trop d'espoir dans sa voix, c'était ridicule.

— Un thé alors.

Et la joie qu'il ressentit à savoir que Min Yoongi était plus thé que café, lui aussi, était tout autant ridicule.



L'appartement de Jimin était à la fois exactement comme il l'imaginait et complètement différent.

Tout aussi coloré, tout aussi confortable que ce que les vidéos laissaient à penser, avec tous ces coussins et ces plaids un peu partout. Le fameux canapé gris, lui, était plus petit qu'il ne l'aurait crû, mais c'était sympathique de le voir enfin, de pouvoir passer sa main sur le tissu du dossier.

Par contre, Yoongi ne pouvait s'empêcher d'être surpris par l'ordre qui régnait dans l'appartement. Il aurait cru Jimin bordélique, il le découvrait méticuleux et organisé. Une maison rangée à la va-vite ne ressemble pas à ça, comme si chaque chose était exactement à sa place. Yoongi s'aperçut qu'il aimait ça. Il avait eu peur de se sentir oppressé par le désordre d'un appartement trop petit, mais c'était exactement le contraire qui était en train d'arriver : Yoongi se sentait bien, étrangement bien avec ces grandes fenêtres qui laissaient le soleil de mai inonder la pièce.

Et cette bibliothèque... Il était impressionné de la taille de la bibliothèque derrière le canapé : les vidéos ne lui rendaient pas justice, elle était vraiment gigantesque. Pas autant que les siennes, qui couvraient littéralement 3 murs sur 4 de son salon, et presque autant de sa chambre, mais c'était déjà une belle bibliothèque, que Yoongi prit plaisir à aller découvrir pendant que Jimin s'affairait en cuisine.

Il entendit le sifflement de la bouilloire, se demanda quel choix de thé Jimin aurait. Fruits rouges, menthe et orange, peut-être, les plus classiques ? Cela ferait l'affaire, c'était déjà surprenant, là encore, qu'il n'y ait pas que du Coca en ces lieux.

Quoique du Coca n'allait pas du tout avec le cadre. Peut-être y avait-il une certaine logique en Jimin, après tout, une certaine sincérité derrière ses sourires trop grands et ses rires trop sonores. Peut-être livrait-il réellement un peu de lui dans ses vidéos.

Yoongi se retourna, jeta un coup d'œil vers la porte alors que la voix de Jimin retentissait.

— Vous voulez quoi comme thé ? Ah, attendez, je vais tout emmener, ça sera plus facile.

Un bruit de placard qu'on ouvrait, Yoongi sourit.

Il aperçut la pile de livres, placée juste derrière la porte, sourit plus grand encore.

En fait, il y avait une multitude de piles, placées en échafaudages un peu partout. Jimin aussi avait ce problème de place, devait se résoudre à faire des piles. Pour Yoongi c'était un crève-cœur : la place d'un livre était d'être mis en valeur dans une bibliothèque, pas collé au sol comme un vulgaire journal.

Mais quand on n'avait pas le choix... Et Yoongi ne pouvait se résoudre à donner des livres, encore moins à les jeter. Les piles s'édifiaient donc dans son salon, l'une après l'autre, malgré lui.

Yoongi se demanda comment Jimin gérait cela. Faisait-il du tri, lui ? Refusait-il certains envois des services de presse ?

Peut-être un jour lui demanderait-il, pensa-t-il en prenant machinalement un livre en haut d'une pile.

Le chant d'Achille, de Madeline Miller.

— Vous l'avez lu ? demanda-t-il à Jimin qui revenait avec un plateau et le posait sur la table basse.

Jimin leva vers lui des yeux interrogateurs. Puis son visage s'illumina.

— Oui, bien sûr, j'adore ce livre !

L'esprit de Yoongi fut à nouveau perturbé par cet enthousiasme trop soudain.

— Pourquoi ?

— Pourquoi ?

— Oui, pourquoi aimez-vous ce livre ? Qu'est-ce que vous lui trouvez ?

— Le regard de Patrocle sur Achille. C'est magnifique, on sent l'amour dans chaque mot.

Il l'avait donc vraiment lu. Yoongi fut un instant déstabilisé.

— Et celui-là ? continua-t-il en prenant un autre livre sur une autre pile.

Amande ? C'est vraiment intéressant parce que j'ai fait comme le personnage : je suis passé de la froideur vis à vis de l'histoire à une totale empathie, vous voyez ce que je veux dire ? Vous avez lu le livre ?

Yoongi secoua la tête, reposa le livre, se saisit d'un autre.

La nuit où les étoiles se sont éteintes. Il se souvenait avoir vu le titre et la couverture en évidence en librairie, à une époque. Bien sûr, il ne s'y était pas intéressé.

— Celui-là, j'ai pas accroché.

Jimin s'était approché, regardait par-dessus l'épaule de Yoongi.

— Je crois que je suis le seul à ne pas avoir aimé parmi les influenceurs, et c'était hyper compliqué parce que j'étais en partenariat rémunéré pour le bouquin !

Il était déjà reparti, versait l'eau dans les tasses.

Yoongi reposa le livre, s'approcha du canapé. S'y assit avec circonspection.

— Pourquoi vous n'avez pas aimé ?

— Je me suis longtemps demandé. Quand tout le monde aime, on se dit qu'on a dû rater un truc. Mais en fait, je pense que c'était l'histoire d'amitié qui se développait en même temps que l'histoire d'amour.

L'amour, encore. On aurait dit qu'il n'y avait que ça dans les livres que Jimin chroniquait. Yoongi soupira.

— Et le style ? lança-t-il, un peu abruptement.

— Le style ? Je dois avouer que c'est pas ma priorité. Je suis pas sûr de savoir reconnaître un beau style d'un autre, c'est pas comme vous...

Jimin s'interrompit subitement, rougit un peu et s'empressa de déposer la tasse devant Yoongi.

— Dites-moi ce que vous préférez comme thé, je vais vous servir.

Yoongi s'abîma dans la contemplation de la grande boîte ouverte devant lui, où une multitude de sachets de thés et tisanes étaient rangés dans des compartiments. Sur le plateau se trouvaient aussi quelques boîtes métalliques de thé en vrac. Lapsang Souchong. Les yeux de Yoongi brillèrent. Le petit Jimin était un connaisseur.

— Mais j'aime Clémentine Beauvais, j'aime son style.

La voix de Jimin interrompit son ravissement.

— Pourquoi ? demanda Yoongi, tout en désignant la boîte de thé fumé.

Jimin s'en empara et commença à emplir une petite boule, sourcils froncés et perdu dans ses réflexions. Sa bouche se pinçait lorsqu'il réfléchissait, Yoongi l'avait déjà remarqué. C'était...

— Pourquoi vous aimez son style ? répéta-t-il abruptement, pour dévier le cours de ses pensées.

— Vous la connaissez ?

— Non, mentit-il.

— Je sais pas... C'est juste beau. Elle dit des choses simples mais avec des mots qui semblent justes. Plus justes que dans d'autres livres.

Yoongi hocha la tête et accepta la tasse que lui tendait Jimin.



C'était surréel.

Min Yoongi était là, chez lui, à boire du thé et à observer Jimin farfouiller dans la valise de livres qu'il avait apportée. Une vingtaine d'ouvrages de Victor Hugo et quelques analyses d'œuvre. Min Yoongi ne faisait pas les choses à moitié.

Jimin s'empara du Dernier Jour d'un condamné et commença à le feuilleter.

— Vous l'avez lu ? demanda Yoongi, sans trop d'animosité dans la voix. 

Le thé savait adoucir.

Jimin considéra un instant mentir mais cela lui sembla risqué.

— Non, mais ça a l'air très intéressant.

— Ça l'est. Il faudra le lire, c'est impossible de ne pas en parler à un moment ou à un autre dans l'émission.

Jimin hocha la tête puis se leva chercher son carnet fourre-tout. Il prit une nouvelle page qu'il intitula "Livres pour Un été avec Hugo" et nota soigneusement le livre que Yoongi venait de lui recommander.

Ce dernier l'observait faire et, lorsque Jimin souligna soigneusement le titre de la liste à la règle, il ne put retenir un petit rire.

— Soigneux, à ce que je vois.

— Toujours. Je me force à rester très organisé, sinon j'aurais vite fait de me perdre et de mal faire mon travail.

Yoongi hocha la tête, posa la tasse et attrapa lui aussi son carnet.

— Alors... Comment nous nous organisons ? On a 9 épisodes d'une heure.

Jimin se tritura la lèvre un instant, troublé que Min Yoongi semble lui demander son avis et n'arrive pas avec un plan déjà tout prêt.

Mais il devait déjà l'avoir, ce plan, il cherchait certainement juste à le piéger. Jimin ne pouvait pas rester sans rien proposer.

— Hugo, ce sont trois types d'écrits différents, n'est-ce pas ?

Jimin avait vérifié la veille sur Wikipédia, histoire de ne pas arriver totalement non préparé. Il continua :

— Roman, théâtre, poésie. Est-ce qu'on ne peut pas commencer par une présentation générale des œuvres de chaque genre, puis partir sur des thématiques qui transcendent les genres ?

— Et le romantisme ? demanda Yoongi, qui ne l'avait pas quitté des yeux.

Encore merci Wikipedia, bien plus que ses souvenirs d'école. Jimin savait que c'était le courant littéraire auquel appartenait Hugo, qu'il s'était battu pour l'imposer contre l'ancien style.

— Et bien... soit on en parle à chaque fois, puisque c'est propre à toute son œuvre...

Il vit Yoongi tiquer légèrement.

— Soit on fait un épisode consacré à ça. Un épisode complet sur le style.

— Mmm. Vos followers vont survivre ?

La chute était brutale.

Jimin vit rouge tout à coup, moins par la pique en elle-même que de colère envers lui-même. Il avait abaissé ses défenses, presque oublié comment était réellement Yoongi.

— Mes followers sont bien plus fins et ouverts que vous le pensez ! s'enflamma-t-il. Il ne tient qu'à vous de ne pas parler de manière obscure...

Jimin était fâché. Déçu. Tout semblait pourtant aller mieux que la dernière fois, et voilà que cet idiot recommençait à se la jouer vieil intellectuel de mes deux.

— D'accord.

Jimin releva la tête, incertain d'avoir bien entendu. Min Yoongi le contemplait, un léger sourire aux lèvres.

— D'accord Jimin, j'essaierai. Si je suis trop incompréhensible, dites le moi.

— Vous ne l'êtes pas.

Jimin soupira.

— Vous êtes très clair au contraire. Vous expliquez bien, on ressort toujours en ayant l'impression d'avoir appris quelque chose et...

Il s'interrompit, se mit subitement la main devant la bouche comme pour rattraper ses mots, avant de se lever et de filer dans la cuisine.

Tout pour fuir le regard surpris de Min Yoongi. Avait-il compris ce que Jimin venait de dire ? Avait-il compris que Jimin écoutait les podcasts de ses anciennes émissions ? Qu'il avait écouté tous les épisodes sans exception ?

Dans la cuisine, Jimin respira plusieurs fois profondément pour se calmer et tenter de reprendre une couleur normale. Puis il lança, pour se donner une contenance :

— Vous voulez manger quelque chose ? J'ai des petits gâteaux.

— Oui, merci.

Lorsque Jimin retourna au salon, portant une assiette chargée de biscuits, il trouva Yoongi affairé à écrire furieusement sur son carnet.

— J'ai une proposition d'organisation, expliqua-t-il dès que Jimin se fut approché. À partir de ce que vous avez proposé. Ça ferait : les deux premiers épisodes pour parler de ses romans, notamment les plus grands : Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Le dernier jour d'un condamné et peut-être Quatre-Vingt-Treize...

Jimin hochait la tête et prenait soigneusement des notes sur son propre carnet bleu turquoise.

— Ensuite un épisode sur le théâtre, puis un épisode sur la poésie.

— Avec lecture d'extraits ?

— Pardon ?

— Dans les épisodes, on va... enfin plutôt vous, vaut mieux hein ! Vous allez lire des extraits des œuvres et des poèmes ?

— Ça vous semble une bonne idée ?

— Oui !

Jimin avait répondu trop vite, trop fort, mais il s'en fichait.

— Ça serait super ! Lisez s'il vous plaît.

Min Yoongi parut gêné un instant, il garda les yeux sur ses notes. Pourtant, un léger sourire se devinait lorsqu'il répondit :

— D'accord, on pourra faire ça. Je sélectionnerai des extraits et vous me direz ce que vous en pensez.

— Génial.

Le sourire de Yoongi s'élargit, avant qu'il ne se reprenne et n'enchaîne :

— Il nous reste donc 4 épisodes pour les thèmes. J'ai pensé à la mort et au deuil, à l'engagement politique et social, à...

— À l'amour !

— À l'amour, oui, rassurez-vous.

Yoongi avait levé les yeux au ciel mais il souriait.

— L'amour au sens large, hein, pas uniquement romantique, précisa Jimin. L'amour pour sa fille aussi par exemple, ou l'amour de Jean Valjean pour Cosette.

— Oui.

Les yeux attentifs posés sur lui parurent pesants tout à coup, Jimin se racla la gorge, se pencha sur la bouilloire :

— Vous voulez encore du thé ?

— Oui merci. Il nous manque un dernier thème...

— Peut-être la nature ?

— La nature ?

— Oui, dans Les Contemplations c'est bien de cela qu'il s'agit, non ?

Jimin se sentait plus à l'aise maintenant, osait proposer même s'il savait que cela montrait plus ses lacunes qu'autre chose. Yoongi se moquait moins, prenait ses idées en considération, c'était presque... agréable ?

— Alors la nature comme lieu de déchiffrage du divin, peut-être...

Min Yoongi réfléchissait, se tapotait la lèvre avec son stylo.

Et le voir ainsi, le buste penché sur ses notes, les sourcils froncés de concentration, les mèches retombant sur son front, Jimin prit conscience de combien il était beau. Pas seulement en photo.

De combien il lui plaisait, aussi.

Malgré son snobisme, qu'il essayait parfois de faire humble. Malgré sa sécheresse, qui savait s'adoucir.

Il n'y avait pas que la voix...

Cette constatation, loin de ravir Jimin, le remplit d'effroi : son attirance ne pouvait qu'être vouée à l'échec.

Pire, elle pouvait même ruiner leur semblant d'entente professionnelle.



Jimin avait paru un peu ailleurs tout le reste de la séance de travail.

Yoongi avait tenté de ne pas trop s'en préoccuper, de continuer à étoffer le plan de leurs épisodes à base d'œuvres et d'extraits, en piochant dans les ouvrages qu'il avait apportés. Jimin aidait, à sa manière, comme il l'avait fait plus tôt : par ses propositions, naïves parfois, par son enthousiasme. Par son organisation méticuleuse des épisodes, qui lui permettait de mettre le doigt sur les lacunes organisationnelles.

C'était bien utile car Yoongi, parfois, se laissait déborder par son enthousiasme, plongeait dans les détails en perdant de vue l'ensemble.

C'était Jimin qui lui avait rappelé que l'émission ne durerait qu'une heure, lorsque la liste des poèmes à dire avait atteint sa troisième page.

C'était Jimin qui avait insisté pour qu'ils parlent à part égale de l'amour amoureux et de l'amour filial.

C'était Jimin qui ravivait la passion de Yoongi pour Victor Hugo, à s'émerveiller sans cesse des anecdotes et détails que Yoongi lui contait.

Lorsqu'ils eurent fait le tour d'une première organisation et que leur séance de travail s'acheva, il était déjà tard. L'estomac de Jimin s'était bruyamment manifesté à plusieurs reprises, malgré les biscuits, et Yoongi commençait lui aussi à avoir faim.

Un instant, Jimin sembla hésiter, puis finalement il se tut.

Yoongi sentit qu'il avait été à deux doigts de lui proposer qu'ils dînent ensemble et fut soulagé qu'il ne soit pas allé au bout de sa pensée. C'était impossible, ils venaient de passer déjà presque 6 heures enfermés ensemble !

Yoongi devait pourtant reconnaître que cela s'était bien mieux passé qu'il ne l'avait craint. Mais il sentait qu'il était à sa limite. Trop de Jimin, ce n'était pas vivable pour lui.

Il rangeait dans sa valise les livres éparpillés un peu partout dans le salon, lorsque ses yeux tombèrent sur Le dernier jour d'un condamné.

Jimin avait dit vouloir le lire.

Sans un mot, il le posa sur le bureau bien rangé, juste sous la fenêtre.

Jimin l'avait suivi des yeux, sourit lorsqu'il comprit. Remercia.

— Je... Je suppose que rien ne vous fait envie dans ma bibliothèque mais si par hasard... si vous trouvez quelque chose qui vous plaît... n'hésitez pas.

Yoongi hocha la tête, s'amusa du regard rougissant de Jimin qui attrapait un peu vivement les tasses vides, les rapportait dans la cuisine.

Lui faire plaisir. Ça ne devait pas être si compliqué. Au pire, il lâcherait après 10 pages, dirait que ça ne lui avait pas plu.

Yoongi posa les yeux sur les livres qui l'entouraient. Il n'avait pas envie de fouiller dans la bibliothèque, toutes ces couleurs le rebutaient. Mais les piles autour de lui...

Lorsque Jimin revint de la cuisine, Min Yoongi était penché en une position bizarre, à essayer de lire les titres du bas d'une pile plus haute que lui.

— Vous avez des thrillers ? Ou quelque chose d'un peu mystérieux ?

Jimin ouvrit de grands yeux et parut tomber dans le ravissement le plus profond, alors qu'il se précipitait vers sa bibliothèque, y piochait 2 livres, puis se dirigeait vers une pile, puis une autre, se chargeant toujours plus.

— Oui oui, j'ai des bouquins géniaux, attendez...

— Jimin, je ne vais en emprunter qu'un seul, ne put s'empêcher de taquiner Yoongi.

— Oui mais vous allez pouvoir choisir comme ça ! Voilà, regardez. Celui-là c'est le plus génial, je pense que son ambiance va vous plaire.

Il brandissait... la couverture noire et blanche de If we were villains.

Yoongi se sentit soudain rougir, se baissa vers sa valise pour y vérifier quelque chose d'imaginaire.

— Je l'ai déjà lu... répondit-il d'une voix presque inaudible.

— Vous l'avez déjà lu ?! Mais c'est génial ! Je suis vraiment surpris que vous lisiez des livres comme ça. Oh, mais ça me fait trop plaisir en fait !

Un coup d'œil vers Jimin le lui montra en train de serrer le livre contre son cœur, les yeux fermés d'extase.

C'était simple de lui faire plaisir. 

Yoongi sourit intérieurement.

— Je l'ai lu et j'ai même beaucoup aimé. Quelque chose du même type, ce serait génial.

— Alors...

Jimin s'abîma dans une réflexion profonde, se triturant la lèvre. Yoongi resta là à le contempler, jusqu'à ce que Jimin ne relève les yeux et n'attrape les siens, puis qu'il lui sourie d'un air un peu contrit, en geignant presque :

— Je ne pense à rien sur le moment, excusez-moi. Si je retrouve, je vous dirai. Mais regardez !

Il tendait à Yoongi un livre à la couverture bien plus colorée, rose et bleue turquoise, qui lui donna un instant envie de fermer les yeux de frustration. Au nom de Chris s'étalait en lettres blanches.

— Vous allez voir, ça peut vous plaire. Il y a du suspense, et surtout des passages presque poétiques.

Yoongi ouvrit le livre au hasard, y glana des vers libres qui ne lui parurent pas trop mauvais, le referma en se disant qu'il faisait ça pour la bonne entente professionnelle.

— D'accord, j'essaierai.

Il crut un instant que Jimin allait se mettre à trépigner de joie mais le gamin se contint et lui adressa simplement un sourire gigantesque. Yoongi sentit quelque chose remuer dans sa poitrine.

Oui, c'était si facile de faire plaisir à Jimin.


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