Partie unique

Je marche d'un pas rapide, le vent bien trop froid de l'hiver fouette mes joues rougies, dévoilées par le col bien trop court de ma veste.

Si tu avais été à mes côtés, tu m'aurais gentiment grondé, avec tes sourcils froncés et ce petit pli entre ces derniers.
Moi, j'aurais simplement rigolé devant ta réprimande tout en ignorant simplement tes conseils.

Je ne te prenais jamais au sérieux dans ces moments-là, pas lorsque tu étais si adorable avec ce faux air colérique.

Mais pourtant tu ne t'en départissais pas, continuant tes leçons d'un ton réprobateur alors qu'en réalité tu n'étais pas mieux habillé que moi.
De nous deux tu devais même être celui le plus susceptible de tomber malade, avec ton éternel pull sur les épaules peu importe les températures.

C'est d'ailleurs secrètement pour ce dernier que je continuais d'enfiler une simple veste bien trop légère pour la saison, parce que nous savions pertinemment tous les deux que dès que je t'aurais rejoint, tu le poserais sur mes épaules.

Tu en as toujours été heureux, à chaque fois, alors réciproquement, moi aussi.

À cette pensée j'accélère le pas, pressé de te retrouver, toi et ton sourire, toi et ta chaleur. Mes pas résonnent sur le goudron gelé alors que notre point de rendez-vous se rapproche, toujours un peu plus.

Chaque pas me rapproche un peu plus de ta personne.
En fait, chacun de mes pas me ramène constamment à toi.

Quand je marche dans la rue après le travail, c'est pour pouvoir me lover au plus vite dans tes bras, sur notre petit canapé.
Quand je cours avant ton réveil, j'accélère toujours sur la fin pour te rejoindre un peu plus vite sous la douche.

Et maintenant, alors que je marche en direction du lieu de notre premier rendez-vous, c'est encore une fois pour être avec toi.

C'était ton idée d'ailleurs cette sortie, de revivre notre premier rendez-vous.
Ce qui t'avait poussé à cette idée était la  Nostalgie des débuts peut-être, mais surtout cette volonté de recréer toujours de nouveaux souvenirs, de vivre, de s'aimer chaque jour un peu plus.

Car c'était à ce premier rendez-vous que tu m'avais embrassé pour la toute première fois, et que tu avais formulé, avec ce mélange étrange d'hésitation et de confiance qui te caractérisait tant :

"Sois mon petit-ami."

Et depuis, ce bar était devenu notre lieu de rendez-vous annuel. C'était un peu comme un rituel, un cérémonie pour préserver l'éternité de notre amour.

Ainsi, chaque année, nous nous séparions pour une journée et nous nous retrouvions dans ce bar pour la soirée, pour formuler à nouveau notre amour et notre souhait de partager un peu plus longtemps un bout de chemin.

Ce bar d'ailleurs, qui se dresse enfin devant moi. Je suis essoufflé d'avoir tant pressé le pas pour te voir, mais cela importe peu. Je n'ai en cet instant qu'une unique pensée en boucle, une litanie incessante.

Que tu es beau ainsi, ton éternel pull sur les épaules, ce sourire qui m'est réservé illuminant sur ton visage alors que ton regard pétillant me fixe déjà. Tes yeux sont presque dissimulés derrière tes indomptables boucles brunes, qui auraient sûrement été déjà relevées par une de tes jolies barrettes si on avait été chez nous.

Et puis, le néon jaunâtre des lettres du bâtiment dans ton dos n'ôte rien de ton charme. Sur n'importe qui d'autre cette couleur trop lumineuse, artificielle, aurait mis en valeur chaque infime défaut. Mais toi, la lumière se reflète sur tes boucles et leur confère ce reflet doré que tu as toujours rêvé de posséder.
Un peu comme l'auréole d'un ange elle te sublime, et, finalement, c'est ce que tu es, mon ange.

Ce bar qui t'éclaire de ses néons jaunes est le spectateur intemporel de nos retrouvailles, alors même que l'on ne se quitte jamais vraiment.

Je ralentis le pas, entretenant cette tension entre nous alors que tu me regardes approcher en silence, appréciateur de ce qui se joue entre nous.
Tu as beau m'avoir déjà vu ce matin, encore ensommeillé alors que tu partais pour la journée, tu gardes ce regard si spécial sur moi. Je peux y lire tout ce que tu ressens pour moi, et j'imagine facilement mes prunelles te livrer de la même manière l'amour qui habille mon âme.

Enfin, mes pieds s'arrêtent devant les tiens, quelques maigres centimètres entre nous. Tu n'as toujours rien dit, mais les mots flottent autour de nous, nos sentiments criants dans ce silence.

Doucement, tu te penches pour frotter nos deux nez ensemble, avant de prendre ma main dans la tienne, grande et chaude, comme lors de notre premier rendez-vous. Tu m'entraînes à ta suite à l'intérieur du bar, qui est d'une certaine manière notre bar.

On s'installe autour de cette table un peu bancale, sur laquelle tu as renversé ton verre la première fois. Tu m'avais alors dévoilé une facette de toi que je n'avais jamais aperçue ni côtoyée auparavant.

Lorsque nous étions en cours, tu m'avais toujours paru fort, confiant, sûr de toi alors que tu n'accordais aucune importante au reste, et j'aimais cette part de toi comme j'aimais tout ce qui faisait de toi la personne que tu étais.
Mais à cet instant, dans ce bar un peu miteux, c'était cette fragilité que tu m'avais dévoilée, cette gaucherie qui habitait ton corps et te poussait à t'excuser constamment, qui m'avait fait tomber encore plus amoureux de toi.

Aujourd'hui, la conversation vient naturellement entre nous alors qu'une serveuse nous apporte nos verres.

Moins d'un jour de séparation et on le ressent déjà comme quelque chose de bien trop long. Moins d'un jour de séparation et on a déjà au moins un millier de choses à se dire.
Les sujets ne sont plus les mêmes que lorsque nous étions plus jeunes bien sûr, mais tu parles avec la même ferveur, et je t'écoute toujours aussi religieusement, appréciant chaque modulation de ta voix.

Je ne suis pas capable de dire précisément de quoi nous parlons.

L'alcool dans mes veines m'emplit de cette douce euphorie caractéristique, cette allégresse vertigineuse qui t'a poussé à m'embrasser à pleine bouche la première fois. Et qui te pousse aujourd'hui encore à lier nos lèvres ensembles, jamais repus de la présence de l'autre, de cette étreinte que nous partageons d'une certaine manière, juste nos lèvres scellées et nos langues qui s'aiment et s'aimantent, encore et encore.

Je ne suis pas capable de dire précisément de quoi nous parlons, mais je sais que l'on rigole.

On se noie dans des rires, s'admire à travers les bulles de nos verres.

Le rire te sied bien au teint. Je veux dire, tu paraît angélique, un peu comme si tu étais descendu du ciel pour pouvoir bercer mes oreilles de ce doux son. Encore une fois la voilà cette douce comparaison, mon ange.
Tu es beau, avec le rose de tes joues provoqué par ce rire, et puis ce pétillement dans tes prunelles si sombres habituellement.

Tu es beau, et je ne me lasse pas de te regarder, de distinguer les différentes émotions qui traversent tes doux traits alors que tu fais semblant de ne pas remarquer mon attention toute entière tournée vers toi. Pourtant tu en frissonnes.

Je le sais, je le vois.
Tu le sais aussi, tu le ressens.

Mais nous maintenons l'illusion dans ce jeu permanent pour voir qui est le premier à craquer.

Un moment, je ne sais pas trop comment on en est arrivé là, tes mains sont posées délicatement sur mes hanches, les miennes sur ton torse, nous deux sur la piste de danse.
Je sens tes muscles sous mes doigts alors que nous dansons, de la même manière terriblement maladroite que pour notre premier rendez-vous.

C'est quelque chose qui n'a pas changé à vrai dire, tu es parfois toujours aussi maladroit dans ton corps un peu trop grand pour toi, et je marche toujours autant sur tes pieds. Mais on ne se plaint pas, parce que de toute façon ce moment nous plaît très bien comme ça, et que l'on ne veut changer ça pour rien au monde.

Et puis, doucement, tes mains glissent pour serrer un peu plus fermement mes reins.

La musique à changé, et avec elle cette ambiance entre nous.
Je la reconnais.
Et à ta prise sur mon corps, je sais que toi aussi.

C'est notre chanson, celle sur laquelle tu m'as embrassé la première fois, et toutes les autres fois où on a entendu ce bout de chanson quelque part.

C'est peut-être pour ça, pour ce sentiment de bonheur et de plénitude qui nous renverse alors qu'on s'embrasse avec tout l'amour qui nous unit, que l'on revient ici chaque année.

Tout autour de nous est flou, comme à chaque fois que l'on est ensemble. Parce que l'autre est la seule chose qui importe et que, de toute façon, rien n'est aussi intéressant que ce que tu peux me demander alors que l'on danse ensemble sur cette chanson, dans ce bar si particulier.

"Épouses-moi".

La tradition aurait voulu que tu me demandes d'être à nouveau ton petit-ami. Comme chaque année jusqu'à aujourd'hui.

Mais cette phrase là me paraît bien aussi, alors que tu nous fais tournoyer à un rythme bien trop décalé du véritable tempo de notre musique. Mais peut-importe, aucun de nous n'y accorde d'importance.

Ton regard pétillant est dirigé sur moi, uniquement moi, et je peux y lire un brin d'inquiétude. Cette facette de fragilité que tu me cachais au début mais que je chéris le plus.

Je n'hésite pas une seconde à te répondre oui, une fois, deux fois, peut-être mille fois, je ne sais pas. On se perd dans l'instant, dans l'amour. On danse encore mais notre esprit n'est plus vraiment là.

C'est une demande atypique, mais c'est ce qui nous convient. Tu n'aurais pas pu trouver meilleure façon de me demander ma main qu'en cette soirée où se formulent nos vœux d'amour éternels. Et toi, tu as trouvé la manière de les concrétiser de la plus belles des façons.

Ça y est, je m'imagine déjà, un anneau argenté au doigt alors que le tien arbore le même, liés pour toujours physiquement comme nous l'avons toujours été mentalement.

Tu avais toujours été celui qu'il me fallait, et le fait que tu penses la même chose de moi...

Maintenant, je n'ai plus vraiment envie de danser. Je sens que toi non plus.
Je veux t'exprimer tout ce que je ressens, cette chaleur qui ne me quitte plus alors que tes mots tournent en boucle dans mon esprit. Cette envie de toi débordante, que tu canalises toujours jusqu'à l'apogée dans notre appartement. On y est à l'étroit mais on y est ensemble.

Et je t'aime.
Tu le sais, mais je te le dis encore une fois, je t'aime. Je te le chuchote encore et encore alors que tu ramènes nos deux corps vers notre table un peu bancale où tu as aussi renversé ton verre aujourd'hui. On ne perd pas les habitudes. Je te le répète encore lorsque tu récupères nos affaires et enlace doucement ma taille pour nous guider vers la sortie.

Je nous imagine vieux, grincheux mais amoureux, à danser sur cette chanson un peu bête, un peu légère, mais qui est notre chanson. Alors, je te le répète encore.

Et en quittant le bar, une chose est claire dans mon esprit.

Tout comme à notre premier rendez-vous, je viens de tomber à nouveau amoureux de toi.

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