Les monstres les plus dangereux se cachent dans la lumière
AViVA. Blame It On The Kids
Come out, where you pretty faces hiding
Sortez, d'où vous vos mignons petits visages se cachent
Come out, i don't see no point in lying
Sortez, je ne vois pas l'intérêt de mentir
No doubt, you have questions I can answer
Pas de doute, vous avez des questions auxquelles je peux répondre
But first, come out with your hands up
Mais d'abord, sortez les mains en l'air
Violette Baudelaire
Les monstres les plus dangereux se cachent dans la lumière
Ou
Les marguerites
Avant la catastrophe- Mars 2020
Bureaux de l'entreprise pharmaceutique
La situation était tout à fait habituelle.
Les circonstances ne sortaient pas de la normale.
Tout fonctionnait dans les règles.
M. Pradelle se rassit dans son fauteuil, noir, au milieu d'une salle entièrement blanche. Très éclairée et parfois trop.
Mais c'était la routine.
Tout allait bien.
Monsieur Pradelle : chef d'une grande chaîne pharmaceutique, célibataire, la trentaine ou peut-être la quarantaine et milliardaire. Il n'y avait pas d'autre manière de le présenter, les billets faisaient entièrement parti de son caractère. Car il en avait de l'argent, il avait vraiment beaucoup d'argent.
Son âge et son énorme quantité d'argent rouge sang, ici les secrets sont bien gardés.
Son assomption fulgurante et sa réussite qui relevait du miracle, ici les secrets sont biens gardés.
Le sujet débattu avec ses associés ce matin et sa décision, ici les secrets sont bien gardés.
Ici, les secrets sont bien gardés et il y a beaucoup de secrets, vraiment beaucoup, dont la plupart pourraient réduire à néant une carrière ou bien même une vie.
Alors, on prend tous ces vilains secrets, on les jette au fond d'une boîte, on vérifie qu'on a laissé aucun petit indice traîner et on ferme à clé. Seulement voilà, il y a toujours des risques. Parce que la clé ne disparaît pas. Elle reste auprès de nous sans qu'on puisse jamais s'en débarrasser et pend continuellement au dessus de notre tête. Cette clé, qui gardait enfermée toutes les décisions et les secrets baignés de sang, c'était l'épée de Damoclès de Monsieur Pradelle.
Mais c'était normal.
Tout allait bien.
Sur son bureau blanc, une tasse en émail blanc, le café à l'intérieur était froid depuis longtemps. De toute manière, Monsieur Pradelle n'aimait pas le café ; il n'avait jamais aimé ça.
Il y avait beaucoup de choses qu'il n'aimait pas : le café, la voix aiguë et nasillarde de son secrétaire, tout ce qui sortait de sa routine et qui ne fonctionnait pas dans les règles, les idées contraires aux siennes et tout individu pouvant potentiellement l'empêcher d'atteindre ses objectifs, mais aussi ses tableaux assez atypiques qui salissaient les murs autrefois immaculés et entièrement purs de son bureau. Cadeaux de la part des investisseurs pour l'une des nombreuses réussites de l'entreprise : les trouvaient moches, ignobles, immondes. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il les aurait depuis longtemps jetés au feu.
Mais bon, il faisait semblant, il jouait le jeu. Il jouait le jeu, comme tous coupables victimes des hallucinations quelques mois plus tard y avaient aussi joué.
Il ne faudrait pas perdre au jeu des apparences, car si jamais vous laissiez une faille de vérité, même infime, à la vue de tous, c'était comme si vous mettiez directement les ciseaux entre les mains des médias. Ils se feraient alors une joie de trancher le fil qui retient l'épée de Damoclès et une fois qu'ils auront la clé, ils ouvriront sans scrupule la boîte de Pandore.
Mais tout le monde connaît la légende et c'est pour ça que tout le monde sait qu'il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore, que certains secrets sont fait pour rester secrets. Parfois quand la vérité n'est qu'une toute petite partie de l'immense et très sombre vérité, il vaut mieux mentir. Parfois il est préférable de pas connaître les secrets et de laisser la boîte fermée.
Son doigt tapait à intervalles réguliers sur le bureau, mais soudain, il s'arrêta. Les chiffres sur l'écran changèrent. Un sourire étira ses lèvres. Un sourire malsain. Le compte de Monsieur Pradelle venait d'être accrédité de 30 000 euros.
Il ne faut pas ouvrir la boîte de Pandore et si jamais on avait ouvert celle de monsieur Pradelle, on aurait compris pourquoi il avait tant de sang sur les mains.
Surtout, on aurait compris que les versements sur son compte provenaient d'Afrique où son entreprise avait livré des vaccins. Dans quelques heures auront lieu les premières vaccinations, des enfants sûrement, juste pour ne pas mourir. Puis dans quelques jours les premiers symptômes apparaîtront : maux de tête, douleurs au ventre, gorge sèche, soif, manque d'appétit, fatigue, réaction cutanée, fièvre, hallucinations, vomissements et pour les moins résistants : la mort. Mais ça rapportait gros, très gros.
Monsieur Pradelle leva les yeux vers l'horloge, elle affichait 12h45. En temps normal, à cette heure précisément, son secrétaire toquait à la porte avant de partir en pause. Il n'était jamais en retard.
Ce n'était pas la routine.
Tout ne fonctionnait pas dans les règles.
Un quart d'heure plus tard, alors qu'il avait longuement laissé ses doigts taper à intervalles réguliers sur son bureau en attendant de nouvelles transactions financières, Monsieur Pradelle décida d'aller au bureau de son secrétaire.
Il le trouva assis à sa place habituelle, dos à lui, l'écran d'ordinateur de son minable bureau de secrétaire allumé sur un dossier quelconque. Du jeune homme à la voix aiguë et nasillarde, il ne voyait que la tête et le bras droit, les deux dans une étrange position, un peu tordus, comme si les membres étaient désarticulés et que son secrétaire était un pantin dont on s'était lassé de jouer avec.
Puis, soudain, un soubresaut, le patin s'anima. Il y eut un nouveau bip, un nouveau versement. Monsieur Pradelle retourna à son bureau. Il entra dans la pièce, blanche, ferma la porte, blanche, se dirigea vers son bureau, blanc et là, il la vit.
Dans un vase en cristal sans rayures et sans traces, flottant dans une eau claire et limpide, entourée d'une lumière blanche et pure : une Marguerite.
Après la catastrophe – Août 2020
Entrepôt abandonné
Un jour, je ne sais plus le quel, car à force de ne plus que penser qu'à survivre, j'avais tout simplement arrêté de compter les jours. Puis, comme je ne possédais rien qui aurait pu me permettre de connaître la date ou l'heure, j'avais peu à peu oublié ce qu'était le temps. Donc, un jour, je cherchais de la nourriture dans une maison abandonnée.
J'avais depuis trois levés de soleil d'étranges visions, en clair, je voyais des personnes qui m'étaient inconnues et qui faisaient des actions que ma conscience jugeait mauvaises. Je ne comprenais pas grand choses à ces espèces de morceaux de souvenirs. Mais le plus étrange était certainement que j'avais absolument aucun souvenir de ma vie d'avant la catastrophe.
D'aussi loin que remontaient mes souvenirs, j'avais toujours porté les mêmes vêtements : une robe blanche salie et déchirée par les expéditions de survie, avec un fin fil noir décousue au niveau de la poitrine. Ma peau était très blanche, presque livide, mais mes jambes et mes bras étaient intégralement couverts de bleus et j'étais incapable de me rappeler qu'est ce qui avait pu causer cela. J'étais complètement amnésique et persuadée d'être la dernier survivante de la ville, la dernière survivante de cette explosion qui avait ravagé la civilisation.
Ce jour là, ils m'ont trouvée.
Au départ il n'y a eu que nous trois, puis une nuit, Flo est venue à nous. Depuis, nous quatre on fait de notre mieux pour survivre.
Ce soir, on est tous assis autour du feu. Même après un mois - durée évaluée par Thérèse- que j'ai passé auprès d'eux, je ne me souviens toujours pas de mon propre prénom.
Autour des flammes, il y a des boîtes de conserves vides, des sacs de couchages et le nécessaire de survie, le tout pillé dans un magasin abandonné. Thérèse c'est une femme petite, menue mais néanmoins possédant une forte force physique, des cheveux bruns tout lisses qu'elle attachait toujours en chignon autrefois et des yeux verts perçants. Éclairée pour les flammes, elle nous raconte un bout de sa vie d'avant.
-Camille a claqué la porte et je ne l'ai plus revu. Je suis partie au Brésil, l'entreprise avait un nouveau champ, une zone défrichée pour bien sûr obtenir plus de rendements. Les ouvriers plantaient les semences de soja OGM pour nourrir les bovins du « food lot » possédé par l'entreprise au Texas. J'ai attendu un message mais il est jamais arrivé. J'ai compris que mon couple était définitivement mort, alors j'ai supprimé Camille de mes contacts.
Flo est un peu éloignée, cherchant en vain le sommeil. Je n'essaye pas, je sais que j'y arriverai pas, même si je suis tout le temps fatiguée. J'ai une cicatrice étrange sur le bras gauche, je ne me rappelle pas m'être coupée pourtant. Tout à coup, une nausée me prend, je me retrouve étourdie durant un instant, mais juste après, l'envie de vomir était déjà passée. Je tremble, je m'approche du feu, je tremble encore.
-Donc c'est là que ça a commencé pour toi ?
Demande Monsieur Pradelle ou Henri Laurent Pradelle de son deuxième prénom ; c'est un petit détail, mais moi j'aime bien les petits détails, les petits détails de la vie d'avant.
-Un jour, un employé en a remarqué une, les deux autres ont haussés les épaules et lui ont répondu de l'arracher. Alors il la fait. Le lendemain, quand je suis revenue à l'aube, le champ en était envahi.
-De Marguerites?
-De marguerites. Personne n'est venu, je suis retrouvée seule, au milieu de milliards de Marguerites.
Avant la catastrophe- Juin 2020
Appartement de Thérèse et Camille à Paris
Une dispute, encore une, mais bon à force c'était devenu la routine.
Leur couple battait de l'aide depuis un moment déjà, mais simplement, cette fois, la différence était que Camille ne reviendrait pas.
Son cœur pulsait encore à cent à l'heure. Elle l'avait giflé. La rage, l'adrénaline ou juste l'envie, elle ne savait pas vraiment, mais la vérité était qu'elle ne regrettait en rien son geste. Elle réalisait qu'elle ne le supportait plus depuis un moment, mais qu'elle n'avait seulement pas avantage à partir. La très agréable situation financière qu'elle pouvait obtenir était une assez bonne raison de ne pas le quitter avant le mariage. Non, elle n'était pas une profiteuse, disons qu'elle savait simplement tirer partie de la situation. Elle décida de sortir les les photographies du tiroir, l'ouvrit et sans regarder ce bonheur fabriqué de toutes pièces, elle sortit du bureau en se promettant de les déchirer avant son départ.
Elle ne revint que le matin du départ et ne s'en aperçu que lorsqu'elle s'apprêtait à sortir du bureau. L'album était ouvert sur les photos prises à Vernon dans la maison d'enfance de Camille, le jour où il l'avait demandée en mariage.
Seulement voilà, elle ne se souvenait pas de les avoir déchirées.
Plus exactement, elle ne souvenait pas de les avoir déchiquetées. Les photos étaient réduites en de minuscules morceaux. Elle haussa les épaules puis jeta ce qui restait de son couple à la poubelle.
Elle prit l'avion pour le Brésil et arriva au champ dans la journée. Elle repéra son collègue français avec un autre homme. Quand il la remarqua, son visage anguleux au teint jauni par la cigarette s'étira en un rictus. Il se mit à rire, un rire faux laissant apparaître une lueur d'hypocrisie dans ses yeux trop grands. Il s'arrêta et son regard reprit cet air étonné, ce même regard qui cachait en permanence la personne fourbe et sournoise qu'il était, ce regard qui poussait les gens à se confier à lui, sans savoir qu'il les trahirait dès cela pourrait lui procurer avantage. Mais n'était t'elle pas aussi ce genre de personne ? Son collègue lui présenta l'autre homme.
-Thérèse voici Miguel, c'est le troisième responsable du projet. Il parle couramment français et portugais. Il va s'occuper de la gestion des employés.
L'homme lui sourit. Dans ses yeux, ce n'était pas de la sournoiserie ou de la fourberie. C'était de la manipulation mais autre chose aussi, un peu comme de l'agressivité et beaucoup de brutalité.
Pour son collègue défricher l'Amazonie c'était des avantages. Alors que pour ce Brésilien, épiler le poumon vert de la planète, aggraver la condition d'agriculteur, voler de l'argent rouge sang, profiter pleinement de l'indemnité et de la blancheur que lui conférait son statut, il aimait ça.
C'était un monstre dangereux qu'on ne voyait pas, parce qu'il se cachait dans la lumière.
Oui, voilà, elle était ce genre de personne. Toujours avec ce même sourire, il lui tendit sa main. Elle la serra.
-On va bien s'entendre m'dame Thérèse et moi.
Après quelques jours passés sur le front pionnier, elle eu une journée de libre. À 11h, elle entra dans un magasin à la façade blanche et impeccable, un immense sourire aux lèvres. Quand elle en sortit vingt minutes plus tard, elle avait : supprimé Camille de ses contacts, une enveloppe blanche contenant mille deux cents euros en liquide et plus de bagues de fiançailles.
Son annulaire était désormais vierge de tout signe d'union.
Elle l'avait vendue, et avec l'argent, Thérèse s'acheta le jour même une robe noire luxueuse pour une certaine occasion.
À hôtel, elle prit un bain à la verveine. Quand l'eau fut froide, elle sortit et se vêtit de la robe noire. Elle se boucla les cheveux, se décora les paupières de noir et les lèvres de rouge. Plus tard, elle entra dans un restaurant très chic, le serveur, tout aussi chic, l'amena à une table, un homme l'attendait. Dans ses yeux c'était de la manipulation mais autre chose aussi, un peu comme de l'agressivité et beaucoup de brutalité.
Quand elle se réveilla le lendemain, le lit était vide. Il ne faisait pas encore jour et elle était déjà seule.
Elle laissa ses vêtements de la veille éparpillés sur le sol de la chambre et en pris d'autres dans l'armoire. Elle se persuada qu'il était simplement parti en avance, qu'il ne l'avait pas laissé seule, elle n'avait pas à s'en faire. Une heure après, elle descendit dans la rue et prit l'autocar. Sur le moment, elle n'accorda pas la moindre importance à ce détail, elle y repenserait seulement bien plus tard, quand il serait déjà trop tard.
Mais l'imposteur brésilien n'était pas parti en avance au champ, la voiture était toujours garée à l'exact même place que la veille, Miguel avachi mort sur le volant.
Elle arriva avant les ouvriers et attendit les deux hommes. Le temps passa, personne ne vint, elle était seule. Dans la nuit, elle remarqua quelque chose d'étrange sur le sol.
Les circonstances sortaient de la normale.
Tout n'allait pas bien.
Quelque chose ne fonctionnait pas dans les règles.
Aux premiers rayon du soleil, Thérèse resta paralysée, incapable de faire le moindre geste ou de prononcer le moindre mot. Tout, absolument tout le champ était envahi. Elle resta des heures la bouche et les yeux grands ouverts à fixer les marguerites, toutes les marguerites.
Après la catastrophe- Août 2020
Maison vide en Lorraine
-J'ai tué des dizaines et des dizaines de personnes, l'entreprise a tué des dizaines et des dizaines de personnes. On leur volait leurs terres et on les payait une bouchée de pain. Défricher l'Amazonie, modifier les gènes des semences, gagner toujours plus d'argent, ça allait forcément se retourner contre nous. On le savait, on savait que la nature finirait par nous le faire payer, mais on fermait les yeux et on repoussait l'inévitable. Je regrette mes actions, je les regrette tellement.
Thérèse s'arrête de parler et prend la main d'Henri dans la sienne. Ils se sont grandement rapprochés l'un de l'autre. Thérèse laisse retomber sa tête sur l'épaule d'Henri, elle relève la tête, le fixe et l'embrasse. Les yeux de Thérèse ne brillent pas, raconter son histoire ou embrasser Henri ne lui procure aucune émotion. Je me demande de plus en plus si elle n'arrange quelques détails de son histoire depuis le début, je me demande si elle ment.
-Moi ce n'est pas des terres que j'ai volées ou des dizaines de personnes que j'ai tuées. Non, moi c'est les économies de toute une vie, la confiance de parents, leur foi en l'Occident et ses médicaments que j'ai volé mais aussi plusieurs centaines que j'ai rendu malades et beaucoup que j'ai tués. Ça rapportait de l'argent, énormément d'argent. À ce moment, je ne pensais pas à ce que je faisais perdre à ces gens mais seulement à ce que je pouvais gagner.
Henri me regarde, lui aussi sans aucune émotion, il attend que je leur parle aussi de ma vie d'avant.
-Tu te souviens toujours pas ? De ta vie d'avant ? De toi?
-Non, rien du tout, mais j'aimerai tellement me souvenir. Je sais que je suis une adolescente, que j'ai les cheveux d'or et bouclés, les yeux pers, le teint pâle, des bleus sur les genoux, que je tremble et que je dois avoir dans les environs de 17 ans. Ça je le sais, mais je le sais parce que vous me l'avez dit, mais je ne me souviens pas. Dites-moi comment est-ce que je pourrai vivre dans ce monde en ruines si je ne me souviens même pas de mon prénom ? Un prénom c'est ce qui nous représente, un prénom c'est notre identité, un prénom c'est ce qu'on est. Si je ne me souviens même pas de mon propre prénom alors comment je pourrai me souvenir de qui je suis ?
Flo fixe le feu. Flo non plus ne semble pas regretter ses erreurs de sa vie d'avant. Flo prend plusieurs inspirations et commence son histoire.
-Moi j'ai tué une personne et c'était pas pour une entreprise ou pour de l'argent. Non c'est bien pire, parce que je l'ai fait pour la popularité. Vous savez, la popularité c'est très éphémère, en fait je crois qu'il n'y a rien de plus éphémère. Si vous ne passez pas votre temps à entretenir votre popularité et votre groupe « d'amis » eux aussi hypers populaires, c'est la chute assurée. Alors, je m'achetais toutes les fringues à la mode, j'avais des notes assez basses pour ne pas trop bosser mais assez hautes pour ne pas avoir de problèmes, je testais tous ces trucs hyper dangereux interdits par les parents et je faisais tout ce que faisaient les gens populaires. On rigolait de tout ceux qui n'étaient pas populaires mais évidemment on avait nos petits préférés et on ne rigolait pas d'eux, on se moquait. Parmi nos souffres douleurs favoris, il y avait cette fameuse fille: Anna. On s'acharnait, je m'acharnais sur elle, je lui ai fait toutes les saletés possibles, toutes les pires horreurs. C'est même moi qui lui a donné cette boîte de médicaments.
Avant la catastrophe- Juillet 2019
Lycée français quelconque
Elle ? Il ?
La personne riait. La personne portait des Van's blanches, un jean bleu foncé Levi's et un t-shirt blanc avec le logo Van's écrit en bleu. La personne avait des cheveux châtains, lisses, coupés courts et parcourus de mèches bleues. La première fois, les gens n'arrivaient jamais à savoir, fille ou garçon ? Les gens restaient tous immobiles devant la personne, la scannant de la tête aux pieds, cherchant la moindre information, le moindre indice pour connaître son sexe.
En fait, Flo ça l'aurait arrangée d'être aucun des deux, mais bon, Flo préférait encore être genrée au féminin. Mais honnêtement cela nous importe peu, ce que nous on veut absolument savoir c'est : pourquoi est ce qu'elle riait ?
Elle riait parce qu'au milieu de la cour, seule et l'air apeuré, se tenait son souffre douleur préféré. La bande de potes populaires riait de cette gazelle paniquée, les lois à l'école n'étaient en fin de compte pas si différentes de celles de la savane. Il ne faut jamais montrer vos faiblesses, car un être faible ne survit pas.
La sonnerie retentit, Anna avait un cahier à récupérer dans son casier pour le premier cours. Flo et sa bande de potes connaissait son emploi, il le lui avait volé, un jour en vidant son sac, les affaires d'Anna s'étaient alors retrouvées dans une flaque d'eau, c'était un très joli jour de pluie.
Anna s'approcha, repliée sur elle-même, prit son cahier et essaya aussitôt de repartir, elle essaya seulement ; Flo l'en empêcha. Elle se retrouva plaquée contre les casiers et les insultes commencèrent. Son truc à Flo, c'était les insultes sur le physique. Pourtant Anna c'était une fille comme toutes les autres, rien d'anormal, rien d'original, une fille de ce qu'il avait de plus banal, et peut-être que c'était ça le problème, elle était trop parfaitement banale pour que Flo l'ignore.
C'est ce jour là que ça se produisit pour la première fois : sur le débardeur d'Anna, les pois se transformèrent en fleurs. Flo parut déconnectée de la réalité un instant. Anna se dégagea de son emprise. Avant de s'en aller, elle se tourna vers Flo - ce n'était alors que le début d'une longue série d'événements tout bonnement irréels - et l'insulta à son tour. La bande populaire en resta bouche bée.
Les semaines suivantes, Flo n'approcha plus Anna et ne le fit pas non plus les mois suivants. Flo continua évidemment de harceler d'autres élèves mais ne harcelait plus Anna ; contrairement à ses potes populaires. Les hallucinations ne s'étaient pas arrêtées. Si Flo ne s'approchait plus d'Anna, c'était uniquement qu'elle avait la profonde conviction que pour arrêter de voir des fleurs imaginaires, les insultes ne servant à rien, il fallait frapper un grand coup ; et fort.
Le 14 février, jour dont on avait décidé qu'il était plus propice qu'un autre à déclarer sa flamme, Flo reçu, comme chaque année, beaucoup de cartes.
Mais quand il lui en apporta une énième autre, un garçon de seconde avec la face remplie de boutons et trop moche à son goût, elle ouvrit son sac et en sortit un petit paquet. Elle traversa le couloir et ne s'arrêta que lorsqu'elle la trouva. Elle lui tendit le cadeau.
Anna portait un col roulé, avait le regard vide et - si c'était possible- encore plus brisé qu'avant. Dès l'instant où les mains d'Anna entrèrent en contact avec le papier, les cœurs devinrent des marguerites. Flo ne renonça pas à sa décision, en fait, elle n'y songea même pas. Elle voulait faire mal ; mais elle ferait plus que mal, beaucoup plus. Flo ne reprit pas le cadeau et fit chemin inverse, certaine que les hallucinations prenaient fin. Elle arriva avec un immense sourire chez ses amis populaires. Elle ria avec eux et ils se félicitèrent toute la journée de leur coup.
Dans le papier cadeau, il n'y avait pas de mot. Pourtant, le message était très clair : le cadeau de Saint-Valentin d'Anna était une boîte de somnifère pleine.
Trois jours passèrent et au matin du troisième jour, il régnait une atmosphère étrange, presque dérangeante sur le lycée. Le ciel n'était que trop peu gris, la cours du lycée paraissait trop propre, même les élèves étaient moins turbulents qu'à l'accoutumée.
Le proviseur passa dans toutes les classes, des secondes aux terminales, des inconnus aux harceleurs. L'annonce fut froide et brève. Ce jour gris terne mais cependant trop peu gris, les élèves apprirent qu'une de leur camarade du lycée s'était suicidée, mettant un terme à sa vie avec des médicaments.
Plus tard, à l'enterrement d'Anna, à l'extérieur et sous un ciel gris, une grande partie du lycée étant présente, on mit le cercueil en terre.
Flo et sa bande de potes populaires étaient là aussi.
Flo, elle avait la dérangeante impression que tout le monde la dévisageait et savait que c'était sa faute.
Flo, elle savait qu'elle avait tué Anna.
Flo, élève populaire, leader d'une bande de potes populaires, harceleuse, elle savait qu'elle était une meurtrière.
Alors que le jour commençait à s'en aller et qu'elle cherchait à cacher ses tremblements, elle la vit.
Elle vit Anna. Tout à coup, elles n'étaient plus qu'elles deux, plus personne, juste elles deux. Debout au bord de sa propre tombe, face à elle, en robe à fleurs, Anna était là. Elle n'était pas dans son cercueil, elle n'était pas sous terre, Anna était là. Anna s'approcha, une marguerite en main, tendit le bras. Flo tenait une marguerite offerte par Anna.Anna avait toujours cette robe marguerite. Anna avait un immense sourire.
Les tremblements s'intensifièrent et devinrent incontrôlables, alors, Flo tomba à genoux et se mit à hurler.
Après la catastrophe- Août 2020
Zone déserte
Je le sais maintenant. Je savais qu'elle avait fait du mal, beaucoup de mal, énormément de mal. Maintenant je sais qu'elle est une meurtrière, qu'elle est un monstre. Les visions, je comprends maintenant, ces personnes inconnues qui faisaient du mal, c'étaient eux, c'était elle. Flo a fait du mal.
Au début, il me semble qu'on n'a que fait se crier dessus puis une gifle est partie, je crois qu'elle venait de moi. Alors les coups ont commencé.
Alors, toutes mes visions me sont revenues à la fois, j'ai vu à quel point Flo était mauvaise dans sa vie d'avant, à quel point elle avait menti autour du feu.
Je crois que ça a débuté comme ça. Je crois que c'est pour ça que le haut de Flo est tout rouge et que j'ai une lame couverte de sang en main. Flo est allongée sur le sol, le corps parcouru de soubresauts, le regard vide et encore plus brisé qu'avant.
Je crois bien que maintenant elle regrette réellement, et qu'avec ses larmes et son corps ensanglanté, elle comprend ce qu'elle a fait subir à Anna et à tant d'autres. Je me rappelle de ma vision à propos de Flo, de la Saint-Valentin et du cadeau d'Anna : il faut frapper un grand coup et fort. Puis tout à coup, Flo ne bouge plus.
Thérèse et Henri arrivent, je lève la tête et les regarde, je sais qu'ils ont fait du mal, beaucoup de mal, énormément de mal.
Je sais qu'ils sont des meurtriers, qu'ils sont des monstres. Je l'ai vu dans mes visions, je sais pour Henri Laurent Pradelle, les enfants morts pour sa faute, pour l'égoïsme de l'argent, je sais pour Thérèse, tous ses OGM et ces horribles parc d'engraissement toujours dans le but de satisfaire l'égoïsme de l'argent. De l'argent, toujours de l'argent, toujours plus d'argent.
Dans leurs yeux, il y a cette lueur, de la manipulation mais autre chose aussi, un peu comme de l'agressivité et beaucoup de brutalité.
Thérèse cache quelque chose dans son dos, Henri Laurent Pradelle dans sa main. Ils se regardent, longuement, et ils comprennent qu'ils sont des meurtriers. Thérèse a un couteau et Henri a du poison. Puis, eux deux, ils se mettent à fixer le corps sans vie de Flo, alors seulement, je réalise que j'ai réellement frappé un grand coup et fort.
Puis, nous trois, on se regarde, longuement, et on comprend qu'on est des meurtriers.
On comprend qu'on est des monstres et qu'on a refusé de l'admettre, qu'on a préféré mentir aux autres et mentir à nous-même. Mes visions deviennent de plus en plus floues et incompréhensibles, elles se mélangent, s'embrouillent et finissent par disparaître. J'ai aussi fait du mal, je suis un monstre.
Le soleil se lève et nous éblouit de lumière. Tout autour de nous, des marguerites se mettent à pousser. On réalise qu'on utilise la lumière pour se cacher, et on comprend qu'au final, c'est nous les monstres les plus dangereux.
Je ne me souviens toujours pas de mon prénom.
La situation est tout à fait habituelle.
Les circonstances ne sortent pas de la normale.
Tout fonctionne dans les règles. Tout va bien.
Avant la catastrophe ? Après la catastrophe ?
2019 ? 2020 ? Lieu inconnu
Quand j'ouvre les yeux, la première chose qui me vint à l'esprit, c'est que la lumière est trop forte. La lumière blanche est trop claire, elle brûle mes yeux. Un peu plus tard, je suis à nouveau capable de sentir et d'entendre. L'odeur des médicaments flotte dans l'air, tout comme le produit désinfectant. J'entends un bip bip bip qui ne s'arrête pas. J'ai une aiguille plantée dans le bras, à l'emplacement de ma cicatrice. Je porte toujours ma robe blanche salie et déchirée avec le fil décousu sur la poitrine.
Je suis dans une chambre blanche.
Je réalise que je ne peux pas bouger, mes jambes comme mes bras sont attachés au lit. Mes membres sont toujours couverts de bleus. Je me rends compte que cet endroit me semble familier.
Est-ce que je vivais ici avant ? Mais je ne comprend pas. Où sont donc Thérèse, Henri et Flo ? Pourquoi et comment je suis revenue ici alors que je n'ai aucun souvenir de ma vie d'avant la catastrophe ?
Soudain, la porte s'ouvre et une dame vêtue de blanc entre. Dans le couloir, il y a une inscription étrange sur le mur, des mots sordides qui n'ont pour moi aucun sens :
« Unité Psychiatrique Adolescents »
La dame s'approche de mon lit, elle commence doucement à enlever les différentes bandes blanches, elle a les mêmes gestes qu'une infirmière. Mais pourquoi une infirmière s'occuperait de moi comme si cela était la routine alors qu'on est en pleine fin du monde ?
-Tu sais bien qu'on t'attache seulement quand tu es dangereuse ! Puis quand tu deviens violente, tu te débats et tu te fais ces horribles bleus sur les jambes ! Il faut que tu prennes ta morphine. Tu sais bien que sinon tu n'arrives pas à dormir, que tu trembles, que tu as nausées, des pulsions incontrôlables d'agressivité et des trous de mémoire !
Ça n'a aucun sens, je ne comprends rien de ce que cette dame me raconte. Puis le plus étrange, c'est que j'en arrive à me demander si la fin du monde n'est pas un rêve et que cette infirmière est la preuve vivante que je n'ai fait qu'halluciner. Les histoires de marguerites de Flo, d'Henri et de Thérèse me paraissent absurdes désormais. Elle m'assoit au bord du lit et continue à me parler.
-Je vais rallumer la pompe à morphine et je veux que tu arrêtes d'enlever l'aiguille d'accord ?
Je hoche la tête mais l'infirmière n'a pas l'air de le remarquer. D'ailleurs elle ne m'a pas regardée une seule fois dans les yeux, comme si je n'étais pas vraiment là.
-Tu n'as qu'à regarder la télévision pour oublier ce qui te dérange. Je vais mettre la chaîne info !
Elle dirige vers la porte, mais juste avant de sortir, elle se retourne vers moi. Elle fixe encore le sol.
-Il faut que tu saches que les monstres que toi et tout le monde peuvent voir, ce sont les moins dangereux, les véritables monstres, ceux qui sont les plus dangereux, on ne les voit pas, parce qu'ils manipulent, dupent, mentent et se font passer pour des gentils. Un jour, ils finiront par payer pour leurs actes, et lorsque ce temps sera venu, les malades, la Terre ou quelque soit les victimes de leurs actes, la lumière se retourna contre eux et ils réaliseront d'eux-même qu'ils sont des monstres. Quand ce moment arrivera, je veux que tu te souviennes que les monstres les plus dangereux se cachent dans la lumière.
Pour la première fois, la drôle de dame lève la tête. Elle me regarde enfin dans les yeux. Dans ses yeux, pas de manipulation et pas d'autre chose aussi, pas d'un peu d'agressivité et pas de beaucoup de brutalité. Non rien de tout ça, car ses yeux sont entièrement blancs. Elle sort et referme la porte à clé derrière elle.
La télévision s'allume sur la fameuse chaîne info.
« Le tout nouveau scandale des vaccins périmés vendus par l'immense chaîne pharmaceutique possédé par le milliardaire Monsieur Pradelle déjà qualifié de crime contre l'humanité, aujourd'hui en exclusivité sur votre chaîne... »
Je n'entends pas la suite, le journaliste est coupé par le bruit de ma porte qui claque.
Mais, attendez, la porte n'était fermée à clé ?
Je détache les yeux de la télévision. Tout est anormal dans cette chambre, cette réalité est anormale. La porte qui claque, plusieurs fois, alors qu'elle est fermée à clé. La télé qui marche alors qu'elle n'est pas branchée. L'aiguille qui n'est plus dans mon bras, alors qu'on m'a répété de ne pas l'enlever et que je ne l'ai pas fait. Je n'ai plus de bleus sur les bras et les jambes. Ma robe blanche qui n'est plus salie et déchirée mais immaculée.
La robe à motifs de marguerites, le bac sur le bord de la fenêtre remplit de marguerites, une seule marguerite posée dans un vase. Ces marguerites qui sont à Flo, à Thérèse et à Henri mais... pas à moi.
Rien ne va. Je ne me souviens toujours pas de mon prénom. Alors si c'est réellement la fin du monde, pourquoi il y a cette infirmière ? Pourquoi ces marguerites qui ne m'appartiennent pas sont dans ma chambre ? Pourquoi est ce que j'aurai autant de mal à me rappeler de la dernière fois que j'ai vu ces trois personnes ? Pourquoi alors ce ne serait pas la vie d'avant ?
Je n'ai aucun lien avec Thérèse, Henri et Flo, ils ne ne sont sûrement qu'un rêve. Contrairement à eux, je n'ai tué personne. Je ne me suis pas retrouvée seule entourée de marguerites imaginaires. Je n'ai rien à voir avec eux, je me cache dans la lumière mais je ne suis pas un monstre. Je n'ai aucun lien avec les marguerites, car à part leurs marguerites, il n'y a pas d'autre marguerite ici.
Ils sont les seuls à avoir survécu à la fin du monde, parce qu'ils voyaient des marguerites. Comme si quelqu'un savait qu'ils avaient tué, comme si quelqu'un savait qu'ils étaient des monstres dangereux qui se cachent dans la lumière et que cette personne avait décidé qu'ils méritaient de payer le prix de leurs actes. Comme si ce fameux moment était arrivé.
Un miroir que je n'ai pas remarqué plus tôt, sûrement car il n'était pas là avant, est désormais près de la télévision.
La chaîne information montre désormais deux journalistes et deux vieux monsieur en costumes noirs débattant, ou plutôt s'insultant l'un sur l'autre, dans le but de déterminer si le scandale des OGM est tout aussi grave que celui des enfants malades. Si la télé marche c'est que ce n'est pas la fin du monde, pas vrai ? Je regarde alors un instant dehors, le monde extérieur semble être entièrement détruit, il n'y a plus âme qui vive, plus de signe de la société d'autrefois.
Tout est dans le même état que dans mes souvenirs autour du feu avec... comment s'appelaient-ils encore ? Ils étaient trois, ou peut-être deux... combien étaient-ils encore ? Ils ont fait du mal... qu'avaient t'ils fait ? Ils étaient des monstres ...est ce que j'en étais un ?
Je fixe à nouveau le miroir. Je me lève, m'approche et me regarde dans le miroir. Je touche le fil noir qui pend, mon prénom avait dû être cousu dans ma vie d'avant. Soudain, le fil noir sur ma nouvelle robe blanche se mit à se recoudre tout seul, pour former un mot, un prénom, mon prénom, la preuve que je suis un monstre dangereux qui se cache dans la lumière :
Marguerite
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