* 5 *
Émilie
— Je crois que je paie mon beurre de cacahuète d'hier soir.
— Pourquoi, tu as des gaz ?
Je lance un regard torve à Leila qui éclate de rire avant de piquer une de mes tomates cerises pour la croquer.
— Non, ma jupe me serre, maugréé-je en tripotant ma salade avec ma fourchette.
— Ta faute aussi, rétorque-t-elle sans la moindre pitié avant d'entamer son entrecôte. Quelle idée de porter ces fringues ? Moi, j'ai pas de problème, je me sape peut-être moins classe, mais je suis à l'aise.
J'englobe d'un regard faussement critique le pantalon fluide et le joli pull assorti qu'elle porte aujourd'hui et qui mettent admirablement en valeur sa silhouette pulpeuse, avant de soupirer en baissant les yeux sur ma propre tenue : tailleur jupe inspiré de Vuitton, très près du corps. Trop près du corps.
Nous sommes vendredi et comme tous les vendredis, Leila et moi allons passer notre après-midi de congé ensemble, notamment déjeuner dans un « vrai restaurant ». Enfin, si on peut dire que la brasserie de Paulo est un « vrai restaurant ». Mais un menu presque complet (même un menu salade... vu que les salades de Paulo font la taille d'une tartiflette) est plus que ce que je mange habituellement à midi. Et comme tous les vendredis, je me sens saucissonnée dans ma jupe.
— Si c'était pas une imitation, la jupe serait mieux coupée et me serrerait moins, marmonné-je avec mauvaise foi.
— T'as pas les moyens d'une vraie, me rappelle Leila. Du coup, rappelle-moi pourquoi tu t'entêtes à te fringuer comme une PDG du CAC40 ? Ou pire : comme une Clara ?
Je grimace à la comparaison pourtant justifiée et surtout trop proche de la vérité.
— T'as pas les moyens de Clara, insiste-t-elle.
— Je sais.
— Franchement, je ne comprends pas pourquoi tu essaies de lui ressembler alors que cette pétasse te déteste et te pourrit la vie à la banque depuis des mois !
Je sais. Mais mes relations avec Clara sont... compliquées.
— Je n'essaie pas de lui ressembler, bougonné-je.
Je veux juste être mieux qu'elle. Au moins une fois dans ma vie. Être meilleure par moi-même, et pas juste gagner des points contre elle grâce à Corentin.
— Dans ce cas, c'est raté, petit clone.
Je fusille Leila du regard. Elle se borne à hausser des sourcils ironiques, insensible à ma moue vexée.
— Écoute, je sais que c'est tendu entre vous deux, reprend-elle d'un air plus sérieux. Que vous avez un bon gros passif, mais franchement... On en a parlé une centaine de fois : tu devrais enfin passer au-dessus et ignorer cette garce.
Oui. Je devrais.
— T'en es à te fringuer comme une pétasse de Wall Street au rabais juste pour faire sérieux, à manger des salades à tous les repas et à arrêter le lactose pour mincir... tout ça à cause d'elle et de ses remarques. Franchement, c'est ridicule. Et je ne parle même pas du déca dégueu que tu te forces à boire après 16 h la plupart du temps !
Je sais. Leila a beau avoir la cadence verbale d'une mitraillette, des métaphores farfelues et la délicatesse d'un trente-huit tonnes, elle est toujours de bon conseil et très lucide. Ce n'est pas par hasard ni pour rien que nous sommes devenues si vite amies quand elle a été embauchée à la banque.
— D'ailleurs, en parlant de café dégueu... pourquoi il a fallu que j'attende d'en partager un avec le beau Jérémy et toi en salle pause pour apprendre que tu l'avais croisé au magasin hier ? Et c'est quoi cette histoire de coussin qui vous a fait glousser comme deux loutres ?
— Les loutres ne gloussent pas, répliqué-je en souriant.
— Moi aussi, j'aurais un sourire niais s'il m'avait demandé de l'aider à choisir des coussins moelleux pour son canapé, ronronne-t-elle.
Elle accompagne sa remarque d'un coup de sourcils entendu. Je lève les yeux au ciel pour essayer de masquer ma gêne.
— Si ça avait été moi, crois-moi que je lui aurais proposé d'aller les essayer direct ! lâche-t-elle en pointant son couteau à steak vers moi pour appuyer ses dires.
— Franchement, Leila... soupiré-je.
— Eh quoi ? Je m'en suis jamais cachée : si Jérèm avait proposé de visiter mon bol de ramen, ma petite soupe aurait été plus qu'accueillante, hein. Mais je suis clairement pas son type. Je suis pas toi.
— Leila ! Je suis mariée, je te rappelle !
Elle lâche un gros soupir en pinçant les lèvres en une moue désabusée.
— Le prends pas mal, j'adore Corentin, tu le sais, mais question trempage de nouille, ton bol de ramen serait plus épanoui avec celle de Jérèm !
— Leila ! m'étranglé-je avec ma bouchée de salade, mi-offusquée mi-morte de rire avant de rougir.
Voilà l'un des inconvénients d'avoir une amie un peu brute de décoffrage à qui on ne peut rien cacher (et qui ne cache pas grand-chose en retour). Leila en sait beaucoup sur moi, sur mon couple, sur mon absence de vie sexuelle... autant que j'en sais sur elle et ses péripéties amoureuses en tout genre (et sa vie sexuelle trépidante et souvent rocambolesque).
— Désolée d'être franche, mais les faits sont là. Depuis que je te connais, on peut pas dire que tu sois super épanouie dans ton couple. Ni Corentin, d'ailleurs. Le pauvre a l'air éteint chaque fois que je viens prendre l'apéro, et quand Jerem est là, il passe plus de temps à le regarder d'un air morne qu'à participer aux conversations. Comme s'il voulait être sauvé...
— Tu n'exagères pas un peu, là ? marmonné-je.
— Tu trouves ? Rien que ce que tu m'as raconté de votre virée d'hier au centre commercial. Ca aurait dû être un moment sympa pour tous les deux, mais non.
Je soupire, repose ma fourchette, l'appétit coupé. Elle a raison. Je sais bien que quelque chose cloche entre Co et moi, et pas uniquement sur le plan sexuel.
— Je sais. J'aurais dû faire des efforts. Mais entre son retard, le café et le chocolat qu'il m'a offerts comme s'il se rappelait pas de mes régimes, ses allusions à cette paire de mitaines hors de prix et l'appareil à barbe à papa comme cadeau de Noël...
Je grimace.
— Tu adores la barbe à papa, rétorque Leila en fronçant les sourcils. Tu t'en gaves en douce chaque fois que tu croises un stand !
— C'est pas le problème. Mais flûte quoi ! Un appareil à barbe à papa comme cadeau de Noël ! T'es bien placée pour savoir ce que moi j'ai prévu de lui offrir ! J'avoue, ça m'a fait mal, son truc de barbe à papa.
Elle soupire.
— Je reconnais que tu t'es cassé le popotin et la tirelire.
— Pour un super stage de pâtisserie avec un chef trois étoiles ! insisté-je. Un des meilleurs ! Celui dont il est totalement fan ! Je veux dire... C'est tellement énorme que j'ai quand même dû grouper Noël et son anniversaire dans ce cadeau ! Et lui, il m'offre une machine à barbe à papa.
— C'est vrai que tu lui fais une sacrée surprise.
— Ben oui ! C'est le principe des cadeaux, faire une surprise, ironisé-je en repoussant mon assiette. Alors le coup de la machine qu'il achète en plus en ma présence, ça passe pas.
— Et qui te dit qu'il n'a pas une surprise lui aussi ? rétorque Leila.
J'ai une moue sarcastique.
— Parce que c'est Co ? S'il avait un autre cadeau, ce serait du genre voyage au musée de la Mitaine.
— T'es vraiment garce avec lui, par moments, souffle Leila.
Elle a raison et je m'en veux. Un peu ?
Je bois quelques gorgées d'eau, mais je suis vraiment trop serrée dans ma jupe. Tant pis pour ma soif, ça attendra.
— Rhaa... Avant, j'adorais quand on faisait les courses de Noël ensemble ! Pourquoi est-ce que tout ce qui m'amusait chez lui quand on était amis, m'agace depuis qu'on est mariés ??
Je me sens mélodramatique, et le coup d'œil de Leila me fait comprendre que je le suis sans doute un petit peu.
— Deux options ma grande, énonce-t-elle doctement. Petit un : t'es comme la plupart des filles, tu aimes ce que tu n'as pas et quand tu l'as, ça ne te plaît plus. Ou petit 2 : t'es comme la plupart des filles, et tu n'es pas assez amoureuse de lui pour supporter ses travers.
Je m'autorise un petit grognement désabusé.
— Y a pas un petit trois ?
Leila sourit en grand avant d'enfourner un morceau de steak. Elle mâche lentement sans me lâcher des yeux. Je la foudroie des miens. Elle s'amuse beaucoup trop à mes dépens.
— Mmm... si, dit-elle après avoir avalé sa bouche. Le petit 3, c'est le cumul des deux premiers.
Je la fixe une seconde, interdite, avant d'éclater de rire en secouant la tête. Pour le coup, elle ne m'aide pas, mais ça fait du bien. Les dernières semaines avec Corentin ont été difficiles. Enfin, pas vraiment difficiles, mais tristes.
Solitaires.
Je me sens seule comme je ne me suis jamais sentie seule de toute ma vie.
Parce qu'avant, j'avais Co, mon meilleur ami, mon âme sœur, mon autre... qui ne l'est plus depuis que nous sommes en couple. Et j'ai beau adorer Leila, apprécier Jérèm ou mes autres amis, aucun ne m'apporte ce que Co m'apportait autrefois, depuis toujours.
— Em ?
Je me secoue de mes pensées lugubres, lève les yeux vers Leila qui me dévisage d'un air pensif.
— Mouais... Vu ta tête, je propose qu'on se passe de dessert. Petite balade en ville, ça te dit ? Ce sera plus sympa que de rentrer binger. Et un mojito pour le goûter, ou deux. Histoire de nous détendre le slip.
— Carrément, souris-je, amusée et tentée.
— Oui... et après le troisième Mojito, je t'emmène au sex-shop. Vu que ta nouille domestique ne bouge pas et que tu refuses la nouille sauvage, on va t'en trouver une d'élevage !
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