°41.1°
Corentin
— Corentin, wait !
Je me fige sur le pas de la porte, me mords la lèvre et baisse le regard pour croiser celui d'Alasdair. S'il veut encore un « dernier kiss », je ne réponds plus de rien !
Voilà trois fois qu'il me retient pour poser ses lèvres sur les miennes. Trois fois qu'un simple baiser d'au revoir se transforme en échange torride. Trois fois que l'un ou l'autre finit plaqué contre un mur. Trois fois que nous nous séparons, haletant, les yeux brillants d'un désir auquel nous ne pouvons pas laisser libre cours.
Alasdair me surprend toutefois en levant l'index avant de détaler vers ce que j'estime être sa chambre, mais qui pourrait tout aussi bien être n'importe quelle pièce puisque je n'ai pas visité l'appartement.
Je m'appuie contre le chambranle pour reprendre mon souffle et remettre de l'ordre dans mes habits ; mon écossais est en train de développer la fâcheuse (mais pas désagréable !) manie de glisser ses mains sous mon pull pendant qu'il m'embrasse.
Quand Al revient, un sachet à la main, il arbore un air timide. Pas du tout d'humeur à reprendre ma bouche.
Pas que ça m'aurait gêné, mais à chaque minute qui passe, je suis un peu plus en retard. Et Émilie déteste quand je suis à la bourre. Elle fulmine, tape du pied et râle, le nez baissé sur les tartans qu'elle aligne.
Avant, elle s'inventait des histoires abracadabrantes pour expliquer mes retards. Elle me confectionnait même des bracelets le temps que j'arrive. Un par minute. Et je devais les porter jusqu'à leur destruction ! Comme ils étaient en pâquerettes ou en papier, ça arrivait assez vite.
— Corentin...
Je baisse les yeux vers mon amant qui danse d'un pied sur l'autre.
— I wanted... je voulais te donner ça plus tard, but, je think le moment est le bon !
D'un geste brusque et peu sûr, Alasdair me tend le paquet. Je crois reconnaître celui qu'il avait au marché de Noël lundi, quand nous nous sommes promenés ensemble et je m'en empare avec hâte. Faisant fi de toute politesse, j'y plonge la main à l'intérieur, rongé par la curiosité.
La pulpe de mes doigts effleure à peine la surface douce que je sais de quoi il s'agit. Les larmes me montent aux yeux, l'émotion me serre la gorge, me laisse incapable de parler. Je baisse le regard sur Alasdair dont l'anxiété déforme la bouche en rictus.
Et moi, je ne bouge pas, le ventre noué par l'émotion, la main toujours dans le sac.
— C'est trop tôt, right ? déplore-t-il d'un ton malheureux.
— Non, pas du tout ! C'est juste que... même Em ne me suis pas dans mes délires mitainesques...
Dire qu'elle ne le fait plus s'approcherait davantage de la vérité.
— So... ça te fait happy ?
— T'as pas idée !
Son visage s'illumine.
— Look at them ! Regarde-les !
J'obéis. Écarquille les yeux.
— Les mitaines écossaises que je voulais ! Mais quand...
— J'ai pris en même temps le bonnet...
Il se détourne le temps d'attraper le fameux bonnet au tartan bleu et blanc sur son portemanteau.
— Tu veux ? Il va mieux avec les tontaines que le bonnet tu as now.
Il a raison. Celui qu'il m'a donné le premier soir, alors qu'Émilie venait de me balancer son envie de divorce, s'accordait à la perfection à ma paire de mitaines désormais hors service. Mais avec celle que j'ai en main, celle que j'enfile presque par réflexe, le bonnet détonne.
— So ?
— Bah... j'aime bien celui-là parce que tu me l'as donné.
— Not really, je avais peur tu attrapes un froid. But j'ai acheté le scottish cap pour toi ! Je ai just pas dare de le donner à toi.
L'émotion qui m'a étreint à la découverte des mitaines me revient en pleine face, et je ne peux que prendre le bonnet sans un mot pour l'enfoncer sur mon crâne après avoir rendu l'autre à Alasdair.
— I knew you would be sexy with it, souffle-t-il d'une voix rauque.
— J'ai compris sexy, plaisanté-je.
Même si je ne vois pas bien en quoi un grand gaillard comme moi avec un bonnet et des mitaines peut avoir quoi que ce soit de sexy.
— C'était le most important !
Nous ricanons comme des vieux complices avant qu'il n'effleure mes lèvres dans un baiser bien trop rapide.
— You should go. Tu devrais aller. Tu es allé d'être en retard ! Et moi aussi si je ne douche pas before je vais work.
— Si tu l'avais dit plus tôt, j'aurais pu te frotter le dos...
— Well, ce n'est pas encore le bon time ! Mais le third time sera le bon !
— Ouais. Never tou sans tri comme on dit !
— What ? Jamais deux sans arbre ? Oh, Maybe tu voulais dire... never two without three ? Jamais deux sans trois ?
— Ouais, c'est ça...
— Maybe next time...
Ha, ce sourire qui empaillette le monde ! Le cœur en folie, je lui fais un petit signe de la main tandis qu'il ferme la porte pour notre bien à tous les deux, puis je dévale les escaliers en bois.
Maybe next time...
Quelques mots lancés à mi-voix. Des mots que j'ai parfaitement compris, pour une fois.
Maybe next time.
Lui. Moi. Entièrement nus sous une douche. Bon sang ! Ça risque d'être un moment sensuel, chaud, mais également terrible pour chacun de nous ; Alasdair est aussi effrayé que je m'enfuis à cause de sa taille généreuse, que j'ai peur de le voir détaler à cause de mon inexpérience !
Il faut donc absolument que je fasse des... recherches. Et peut-être même des... achats. Dans cette boutique où Leila a emmené Em la semaine dernière. Les sachets sont planqués dans le dressing, je devrais les retrouver sans problème ! Avec un peu de chance, il y aura un plan dessus.
Je suis surpris de me retrouver devant la porte de mon immeuble alors que je viens de quitter celui d'Alasdair. Penser à mon écossais ultra sexy (avec ou sans bonnet, d'ailleurs) a rendu le trajet très rapide. Trop rapide ; je n'ai pas pensé une seconde à trouver une excuse pour expliquer mon retard à Émilie.
Bon sang ! Mais j'vais lui dire quoi ? Je peux pas lui avouer que je me tape un mec ! Pas possible ! Merde, Corentin, t'es trop con !
Je grimace à mes propres pensées. Les gros mots, ce n'est pourtant pas mon genre.
Le manque de jugeote, en revanche, me ressemble bien plus ; je ne peux pas parler de ma sexualité à Em, c'est certain, mais rien ne m'empêche d'avoir un simple ami.
Alors pourquoi suis-je réticent à lui parler de cette « amitié » ?
Contrarié, j'enfonce ma clef dans la serrure et pousse la porte.
— Corentin ! Garde-moi la porte ouverte !
Les bras chargés de sacs Citron Jouons, ma voisine Sonya se précipite vers moi. À chaque pas, ses escarpins dérapent sur le trottoir verglacé. Des escarpins par ce temps... elle est soit inconsciente, soit stupide.
Et pourquoi ne pas faire croire à Em que j'étais avec Sonya cet après-midi ? Sauf que ce serait lui mentir. Mais prétendre que je suis ami avec Al aussi.
— Aide-moi ! Tu vois bien que je peine !
— Ha, ouais.
— La galanterie se perd !
— Ouais, mais t'y gagnes en égalité.
Je me surprends moi-même, baisse les yeux en ravalant des excuses qui n'ont pas lieu d 'être. Depuis quand j'ai un sens de la répartie avec quelqu'un d'autre qu'Émilie ? La voisine doit se poser la même question puisqu'elle passe devant moi en se dévissant le cou pour continuer de me dévisager comme une bête curieuse.
— Il t'est arrivé quelque chose ?
— Quoi ? Non ! Pourquoi ?
Ma voix qui s'éraille et ma rapidité à lui répondre me font perdre toute crédibilité. Elle reste immobile à quelques pas de moi, à jouer avec son trousseau de clefs. Au lieu d'aller déverrouiller sa porte comme le voudrait le bon sens, elle rejette ses cheveux blonds en arrière et me rejoint en chaloupant les hanches.
On dirait un canard comme ça. Ou une dinde. Ou un mixe des deux, mais avec des cheveux blonds. Une dindard blonde. Ou une caninde.
— Corentin... c'est Émilie, c'est ça ? minaude Sonya.
À moins qu'une barbe et une verge ne lui aient poussé, non, ce n'est pas Émilie. Parce qu'il me paraît désormais évident que ma subite capacité à répondre du tac au tac me vient d'Alasdair et non des nombreuses disputes avec ma meilleure amie.
— Je ne veux que ton bonheur ! Es-tu seulement heureux en ce moment ?
— Je nage dans un océan de paillettes !
J'assortis ma déclaration d'un sourire lumineux et Sonya recule, incrédule. Comprend en quelques secondes que je ne mens pas et se renfrogne.
— On dirait, oui, lâche-t-elle. Bon... et bien je ne vais pas te retenir plus longtemps...
Elle fait volte-face, mais pas assez vite pour me soustraire sa moue vexée, et court presque jusqu'à sa porte. Au moment où elle pose son pied sur le paillasson, celui-ci émet un étrange chlorp et semble régurgiter un liquide jaunâtre sur l'escarpin.
Je sens qu'un Machin est venu se soulager ici...
Je lâche aussitôt les sacs (enfin, je les dépose au sol) et recule en crabe vers mon propre appartement.
— Oui, t'as raison, faut pas me retenir, Em m'attend, mes parents aussi d'ailleurs ! Bye ! Bonne soirée, on remet ça quand tu veux !
Je ne laisse pas à Sonya le temps de me reprocher la mare dans laquelle elle patauge ; je me rue chez moi, bien content de trouver la porte déverrouillée. Bien content aussi que Machin m'ait donné le parfait sujet de conversation pour renouer avec Émilie après le désastre d'hier et avant celui de ce soir.
Sitôt le battant refermé, je me débarrasse de mes tangor's (hors de question de mettre de la neige fondue partout !), paye la taxe de câlins à la bestiole ronronnante qui vient gratifier mon pantalon de poils blancs et interpelle ma meilleure amie :
— Em ? Machin a encore pissé sur le paillasson de la voisine !
— Dommage qu'il ait pas chié aussi !
J'éclate de rire sans pouvoir m'en empêcher. Ce ton guilleret voilé de moquerie me surprend autant qu'il me rappelle l'Émilie de ma jeunesse, et c'est foutrement agréable !
C'est même un soulagement énorme avant la soirée à venir !
Le sourire aux lèvres, je me retourne vers ma meilleure amie... et ravale mon rire au profit d'une exclamation stupéfaite.
Émilie se tient à quelques pas de moi, le visage éclairé par son amusement. Très sûre d'elle. Magnifique dans une petite robe noire à paillettes. Époustouflante avec sa nouvelle coupe de cheveux, parfait pendant féminin de la mienne hormis les quelques boucles rouges qui retombent sur sa joue gauche dans un savant désordre.
Ce n'est pas une imitation : c'est un miroir. Et c'est juste parfait parce que c'est ce qu'elle est : ma moitié-miroir. Mon âme-sœur.
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