* 32.2*
Face aux miennes, ses pupilles sont devenues sérieuses alors que sa voix vibre d'une légèreté que je devine de façade. Mon cœur cogne si fort entre mes côtes que j'en ai presque mal.
— Un tout petit peu plus, articule-je d'un ton rauque.
Il bouge à peine la tête. Sa bouche glisse sur la mienne. Le bleu de ses yeux s'assombrit brutalement, ses lèvres frémissent contre les miennes. Des picotements chauds me traversent de part en part et foudroient le moineau avant d'aller exploser au fond de mon ventre.
— Mieux comme ça ? souffle-t-il en se redressant.
— Oui...
— Pour le moment.
Son sourire craquant, celui qui se relève d'un côté plus que de l'autre, lui illumine le visage et achève de me chavirer. Il recule d'un pas, libère enfin mon regard du sien. J'ai un frisson, et il ne doit rien aux quelques flocons qui volètent autour de nous.
Sans rien dire de plus, nous nous remettons en route. Le silence entre nous n'est plus vraiment gênant, plutôt complice, et il me fait battre le cœur. J'essaie de ne pas laisser un immense sourire me barrer le visage, et n'arrête pas de lancer des regards en coin vers lui.
Il est vraiment trop sexy.
J'ai tellement envie d'un vrai baiser... tellement hâte que les choses soient réglées avec Co.
Nous approchons du quartier le plus récent de Fougheim, construit aux limites de notre petite ville. C'est dans l'un des immeubles modernes de trois étages que se trouve l'appartement de Mateo et Leila.
— Finalement, on n'a pas forcément besoin de parler tout le temps, fait alors remarquer Jérémy.
Il s'arrête, se tourne vers moi. Je lève les yeux vers lui, réponds à son sourire.
— Pas tout le temps, non. Je crois que tu vas être en retard...
— Tant pis.
Il s'approche, je me tends en retenant mon souffle. Instinctivement, je relève le visage vers le sien et frissonne quand il presse sa bouche sur la mienne. Le contact est trop court, trop superficiel. Il se redresse avant que je n'ai pu le savourer.
— Je vais y aller, murmure-t-il. On se voit ce soir ?
— Oui.
— J'ai hâte.
— Moi aussi.
J'espère un autre baiser, mais il recule d'un pas sans me quitter des yeux avant de soupirer et de tourner les talons pour repartir vers le centre-ville. Je reste plantée sur le trottoir mal dégagé et un peu glissant, à le regarder s'éloigner puis sursaute quand mon téléphone vibre dans ma poche.
13h51 – Leila
C'était quoi ça !!??????
Je n'ai pas le temps de froncer les sourcils que son kums et suivi de la réception d'une photo. J'hésite entre éclater de rire ou lui botter les fesses (à Leila, pas à la photo).
13h51 – Moi
Sérieux !? tu nous as photographiés depuis ta fenêtre ???
13h51 – Leila
Fallait pas vous rouler une pelle dans la rue !
13h52 – Moi
C'était pas une pelle. A peine un bisou !
13h52 – Leila
C'est ça ! Et je suis une nonne... Grouille de venir me raconter les détails !
Je lève les yeux vers l'immeuble, vois la silhouette de Leila gesticuler derrière une fenêtre et contiens de justesse un fou-rire. Je gagne le bâtiment à grandes enjambées avant de grimper les marches quatre à quatre.
— « Petit bisou » mon cul ! m'accueille-t-elle en ouvrant la porte de l'appartement.
— Les toilettes ?
— Deuxième à gauche... c'était si horrible ? Haleine de chacal ? Langue bifide ? Salive excessive ? Tu vas vomir ?
— Ma vessie va exploser, réplique-je en me retenant de rire.
Je lui jette mon manteau dans les bras avant de courir aux WC. Ma découverte des lieux attendra!
— Alors ? insiste Leila derrière le battant clos.
— Alors rien, ris-je, en prenant place sur la cuvette. C'était juste un bisou!
Le temps que je sorte et aille me laver les mains, Leila m'a arraché tous les détails.
— Je suis déçue, soupire-t-elle finalement pendant que je retire mes Duc. Il aurait déjà dû te plaquer sauvagement contre un mur et t'avaler goulument la langue...
— Leila !
— Oh fais pas ta coincée hein... J'aurais pensé qu'il serait plus entreprenant.
— Faut d'abord que je règle les choses avec Corentin, réplique-je d'une voix ferme. Tu le sais. Et Jérémy le sait aussi.
— Ouais, enfin... de mon point de vue, t'as pas à demander à ton mari l'autorisation de rouler une pelle à Jérémy.
Je fronce les sourcils. J'adore Leila, mais parfois, elle a une vision des choses un peu brutale. Son côté rentre-dedans me fait du bien la plupart du temps, mais dans ce cas précis, ça m'agace un peu. Elle a visiblement oublié qu'on ne suit pas toujours ses envies. Même si les choses sont claires dans ma tête, je reste mariée ; même si mon couple est mort, Co reste mon meilleur ami, et il est hors de question que je lui manque de respect. Il faut croire que Leila a cumulé trop d'histoires ratées ou de plans cul...
— D'ailleurs, je t'avais dit que je venais avec Co ce soir! Pourquoi est-ce que Jérèm m'a dit que tu l'avais invité aussi ?
Elle me rend mon regard sans broncher puis hausse les épaules.
— J'ai joué la sûreté, lâche-t-elle tranquillement. Pas la peine de me remercier ! Vu son état, Corentin devrait rester chez vous ce soir.
— Il m'a kumsé pour me dire qu'il me rejoindra directement ici depuis le boulot. Il va mieux. Il avait juste pris froid. Tu ne risques pas de chopper une grippe, hein...
— Bah je pensais surtout à ce que toi tu aurais pu chopper s'il n'était pas là...
Je soupire. Même si elle a le tact d'un paquebot, je sais qu'elle agit dans mon intérêt. Sa manière de faire m'agace un peu, mais je n'ai pas envie de me fâcher avec elle.
— Bon... on a pas une crémaillère à préparer? lance-je pour changer de sujet.
— Parce que tu comptes m'aider dans cette tenue ?
— J'avais prévu de passer me changer chez moi, grimace-je. J'en aurais profité pour venir en voiture. Mais j'ai été prise de court quand Jérèm a proposé de m'accompagner jusqu'ici...
— Viens, on va te trouver un truc un peu plus pratique que ce truc immonde...
Elle m'entraine dans une chambre encore encombrée de cartons et à la décoration aussi minimaliste que masculine. Clairement, Leila n'a pas encore eu le temps d'apposer sa marque sur l'appartement de Matéo. Je me demande comment vont réussir à se mêler le style épuré de Matéo et celui, nettement plus extravagant et coloré de mon amie.
Leila fouille dans un carton avant de me tendre un bas de jogging fushia et amande que je me dépêche d'enfiler. Elle m'entraîne ensuite vers une cuisine franchement peu accueillante.
— Fais pas attention, tout est hyper moche ici, je vais tout relooker dès que j'aurais le temps. Matéo n'a jamais fait la déco depuis qu'il a emménagé, il y a trois ans. Il s'est contenté de coller quelques meubles récupérés ici et là... Je crois que la seule pièce sympa, c'est la chambre de son fils, mais vu qu'il n'est là qu'un week-end sur deux... bref... Un café avant d'attaquer ?
Le fils de Matéo, sujet délicat que j'évite d'aborder avec Leila. Je me souviens encore de son choc quand Matéo lui a parlé de ce fils de sept ans, qu'il a eu ado avec sa copine de l'époque. Je crois que c'est à ce moment-là que Leila s'est dit que son histoire était sérieuse. Pour une célibattante comme elle, la paternité de Matéo aurait dû être un repoussoir, mais elle m'a surprise en s'accrochant. Même si, pour être honnête, elle n'a pas non plus sauté de joie, m'expliquant qu'elle "était trop jeune et trop canon pour être une belle-mère".
— Je veux bien oui... au fait, où est Matéo ?
— Il n'a pas pu poser son après-midi, grimace-t-elle en préparant une dosette. Il rentrera plus tard. Merci de m'aider, Emilie! Toute seule, je crois que j'aurais lâché l'affaire et commandé des pizzas.
— De rien! Ça me fait plaisir! Et sinon, la déco pour ce soir, tu en es où?
Le regard qu'elle me lance en me tendant mon café, suffit à me faire comprendre qu'elle n'a encore rien fait.
— Ok, alors je me charge de la déco et toi de la nourriture, réfléchis-je en fermant les mains autour de la tasse. Tu es meilleure cuisinière que moi.
— J'ai posé les cartons de trucs de Noël dans la pièce à vivre. Tu devrais trouver de quoi faire avec ça. On n'est pas encore allé cherché le sapin. Matéo voudrait qu'on le décore avec son fils.
Deux mentions au petit garçon en moins de dix minutes... A l'évidence, le sujet travaille Leila.
— Rappelle-moi pourquoi vous faites votre crémaillère ce soir alors qu'on bosse tous demain ? me moque-je en essayant de la distraire.
— Parce que ma meilleure amie a un repas de famille demain soir.
Je tique intérieurement. Je sais que c'est ainsi qu'elle me considère, mais mon meilleur ami est et restera à jamais Corentin.
— Et on ne voulait pas repousser à la semaine prochaine parce que c'est le week-end où Matéo a son fils, ajoute-t-elle un peu plus sombrement.
Troisième mention... Oui, Leila est très stressée. Je me demande si elle a envie (ou besoin) d'en parler, mais n'ai pas le temps d'aborder le sujet qu'elle en change déjà.
— Et pendant que j'y pense, ajoute-t-elle en me fixant. Pas question que tu retournes te changer chez toi tout à l'heure. On te trouvera quelque chose à ta taille dans mes affaires.
Je devrais râler mais franchement, je n'ai pas le courage de retraverser toute la ville à pied. Et pour être complètement honnête, le bas de jogging qu'elle m'a prêté me coupe l'envie de me rebeller. Il est vraiment trop confortable!
Pour un peu, j'envisagerai de me débarrasser de toutes mes fringues trop serrées et qui grattent, pour remplir mon armoire de joggings molletonnés.
— Bon, et si on s'y mettait ? lancé-je en achevant mon café.
— Oui, il faut, sinon on va être à la bourre... et c'est pas le genre de bourre que j'aime !
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