Sur le chemin du collège
Une nouvelle écrite pour l'un des minis défis des MurmuresLitteraires.
Elle traite de harcèlement scolaire.
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Maxime marche rapidement vers le collège aujourd'hui, par peur d'être en retard et pour se réchauffer. Ses doigts tremblent au fond de ses poches et son souffle forme des nuages de vapeur blanche qui s'élèvent dans l'air froid. Son sac, dont seule une bretelle est accrochée, lui tire sur l'épaule. Qu'est ce qu'il ne faut pas faire pour paraître cool tout de même.
Maxime croise une fille. Il ne se souvient plus de son nom. Judith peut-être. Judith est dans sa classe. Judith c'est l'intello du premier rang. Judith, elle ne désobéit jamais, n'est jamais en retard.
Pourtant, ce matin, Judith marche dans le sens inverse à celui du collège.
Maxime se retourne et la regarde s'éloigner. Judith a une robe blanche courte, sans manche. Judith est pieds nus dans le froid de l'hiver. Judith n'a pas l'air bien, elle a même l'air très mal.
Maxime lui crie, intrigué:
— Hey, l'intello! Le collège et les bonnes notes c'est dans l'autre sens!
Judith s'arrête au milieu de la rue, déserte à cette heure-ci. Lentement, elle se retourne et le fixe.
Ils sont plantés là, face à face. Elle en robe blanche, pieds nus, lui en noir, couvert des pieds à la tête.
Ils se fixent, leurs souffles forment des nuages de vapeur blanche.
— Oui, répond simplement Judith.
Et puis elle reprend sa marche. Elle est très pâle, elle tremble. Maxime se dit qu'elle est peut-être malade, qu'il ferait mieux de courir lui parler, d'aller l'aider.
Alors c'est ce qu'il fait. Il ne court pas mais il marche rapidement et se retrouve à sa hauteur. Elle ne le regarde pas, regarde droit devant. Il lui demande, en calquant son pas sur le sien:
— Judith, qu'est ce qui va pas?
— Toi. Toi tu vas pas, pour commencer.
— Pardon?
Maxime est abasourdi. Qu'est ce qu'elle raconte? Judith tourne la tête vers lui, sans s'arrêter et répond doucement:
— Ne t'en fais pas. Je t'ai pardonné. Je sais que tu ne pensais pas à mal. Je sais que toi et tes amis vous ne saviez pas ce que vous faisiez, tous les jours.
— Moi et mes amis? Judith, tu veux que j'appelle une ambulance?
Il lui attrape le bras, la force à s'arrêter. Mais Judith se dégage et continue à marcher.
— Non. Je ne veux pas. Oui. Toi et tes amis. Je t'aimais tu sais?
— Oui, je sais. Tu me l'as dit.
— Oui. Je t'ai déclaré ma flamme de la plus belle des façons. Et toi tu m'as repoussée. Pire, tu as ri de moi. Et puis, comme si une fois ne suffisait pas, tu as continué. Cela t'amusait donc tant de t'en prendre, avec tes amis, à la petite intello du premier rang?
Maxime, scandalisé, nie immédiatement:
— Judith, qu'est-ce que tu racontes ? Tu ne vas pas bien. Viens, je... Je t'emmène voir un adulte.
Judith continue de marcher, sans tenir compte de ses propos, et Maxime est bien obligé de suivre sa cadence.
— Non, je raconte la vérité, Maxime. Ou peut-être pas. Peut-être que je me suis tout inventé, qui sait? Peut-être que tout ça, c'est dans ma tête.
Elle crache ces mots, ils sortent d'elle avec force et violence. Elle est amère, elle répète ce qu'on lui a dit tant de fois. Judith serre les poings, repense à tous ceux qui l'ont envoyé balader, qui lui ont dit d'aller se faire soigner, que ce n'était rien de grave.
Au final, Judith ne sait plus qui croire. Elle. Ou eux. Son cerveau, qui lui dit que tout ça est vrai. Ou eux, qui lui répètent qu'elle s'est tout imaginé.
Judith ne sait plus, Judith ne sait pas, Judith en a marre, Judith ne saura jamais, Judith veut tout arrêter.
Et ça, tout ce qu'il se passe dans la tête de Judith, Maxime ne le sait pas.
Il marche à côté de la jeune femme, inquiet, persuadé qu'elle est devenue folle.
Maxime n'est sans doute pas conscient de ce qu'il lui faisait, de ce qu'il lui disait, de combien ses mots lui faisaient mal, du fait que lui et ses amis ont détruit la vie de Judith, en lui répétant les mêmes choses tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours...
Judith était amoureuse, Judith a avoué, Judith s'est vue repoussée, comme cela arrive. Judith a cru que tout ça serait oublié, qu'elle serait source de ragots une ou deux semaines mais Judith a eu tort, ça a continué, encore, et encore, et encore, et encore.
Trois ans que ça dure.
Trois ans que Judith subit.
Trois ans que Judith écoute, enregistre et garde au fond d'elle les moqueries.
Trois ans.
Trois ans c'est peu, souvent, mais là, trois ans c'est beaucoup, trois ans c'est trop, trois ans elle n'en peut plus.
— Je ne t'ai rien fait. Maintenant arrête toi Judith, le collège c'est dans l'autre sens, on va trouver quelqu'un pour t'aider, d'accord ?
Ils ont bifurqué à la sortie du village et Maxime pense qu'il ferait mieux de laisser cette fille et ses affirmations bizarres derrière lui, il est suffisamment en retard comme ça.
Mais Judith secoue la tête et continue d'avancer. Dans sa robe d'été toute blanche, elle tremble de froid et ses pieds nus, blessés sur les cailloux, laissent des traces rouges au sol.
Au loin, au bout du chemin de campagne qui mène à leur petit village perdu, il y a une intersection. D'un côté la route goudronnée, et de l'autre, un sentier de randonnée.
Judith l'emprunte et Maxime la suit. Il la presse de revenir sur ses pas mais elle ne veut pas, elle continue, encore et toujours.
Quelques instants plus tard, ils arrivent au bord d'un fleuve. Profond, tumultueux, sans barrière de protection.
Et Judith s'arrête devant. Maxime en a marre de la suivre et est heureux qu'elle s'arrête enfin.
— Ecoute, Judith. Je repars vers le collège, que tu viennes ou pas, c'est clair.
— C'est de la non-assistance à personne en danger, répond la jeune femme. Mais je te pardonne, comme je t'ai déjà tout pardonné . Et le fardeau que tu porteras, de ne pas t'être arrêté, de ne rien avoir fait, sera déjà bien assez lourd pour que je n'y ajoute rien. Cela serait mal de ma part.
— Pardon? De quoi est-ce que tu parles? Tu es détraquée, pas en danger!
Maxime est mal à l'aise, il ne comprend pas ce que raconte cette fille étrange. Elle avait l'air normale au collège mais elle est manifestement complètement folle.
Judith a un sourire dur.
— Tu es un imbécile Maxime. Un crétin fini. Je ne suis pas folle. Ou peut-être que si. Mais toi en tout cas tu es mauvais. C'est à cause toi si je me demande chaque jour si ce que je crois savoir est vrai. Adieu, Maxime.
— De quoi? Judith, non attends!
Mais c'est trop tard.
Judith s'est élancée, a pris son élan, et a sauté.
Maxime court à sa suite, tente de la rattraper, mais ses doigts la ratent de quelques centimètres.
Judith tombe en flèche et coule.
Son corps veut remonter mais elle, elle ne veut pas.
Sa robe blanche détonne au milieu des flots bleus, des nuées de bulles remontent à la surface mais pas elle.
Judith sent ses poumons en feu.
Maxime sent le désespoir le gagner, il ne peut pas l'aider.
Judith voit un voile recouvrir ses yeux.
Maxime la voit qui se noie.
Maxime tente de saisir son téléphone pour appeler les secours, ses doigts gelés n'arrivent à rien.
Judith repense une dernière fois à ses trois dernières années.
Maxime vit.
Judith est morte.
Maxime, au bord du fleuve, regarde le corps de Judith remonter lentement.
Judith vivait un enfer depuis trois ans.
Maxime ne savait pas.
Judith lui a pardonné.
Maxime ne se le pardonnera pas.
Judith n'en pouvait plus.
Elle ne savait plus, ne savait pas, n'aurait jamais su, si elle s'était tout imaginé.
Mais non, elle ne s'est rien imaginé, tout était vrai.
Tout ce qu'ils lui disaient,
Tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours, tous les jours...
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Taille de la nouvelle : 1300 mots.
Qu'en avez vous pensé ? Des avis, des retours ?
Note de l'auteure :
Ce texte traite de harcèlement et, puisque la question m'a déjà été posée, je tiens à préciser ceci:
Non, Judith n'est pas folle.
Elle a été harcelée par Maxime et ses amis. Peut-être ceux-ci avaient-ils conscience de ce qu'ils faisaient mais ils ne pensaient sans doute pas que cela se terminerait ainsi. Eux seuls ont la réponse à cette question.
Judith ne sait pas si ce qu'elle croit est vrai ou non car les personnes à qui elle en a parlé ont systématiquement minimisé les faits ou carrément niés. A force qu'on lui répète qu'elle avait tort, le doute s'est insinué en elle et c'est ce qui l'a détruite, poussée au suicide. Elle n'était même plus d'accord avec elle-même, elle ne savait plus ce qui était vrai ou pas, si elle avait inventé sa version des faits ou si tout cela s'était vraiment produit.
Maintenant un petit message de prévention à tous ceux qui liront ceci (je vous remet celui en avant propos):
Le harcèlement est un sujet grave, le harcèlement peut détruire des vies.
Si vous êtes victimes ou témoins, allez en parler le plus rapidement possible.
Si on vous rapporte du harcèlement et que la question vous concerne (professeur, psychologue, parent...) ou pas, vous vous devez d'intervenir, si vous êtes en mesure de le faire.
Ne niez pas ce que l'on vous raconte, ne le mettez pas de côté.
Prenez le temps d'écouter et de comprendre réellement la situation. Vous pouvez sauver des vies.
Miss_Paillettes
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