Famille
Un texte écrit pour les minis défis des Murmures Littéraires, une nouvelle fois, et une pièce de théâtre à nouveau !
Il traite de différents sujets, mais surtout des relations familliales.
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Sur scène est installé un salon, avec plusieurs lampes à la lumière vacillante.
Il y a 4 personnes assises à cette table, en plein repas, avec une bougie proche de chacun d'entre eux. FRÈRE, un adolescent d'une douzaine d'années avec une écharpe rouge. SOEUR, une jeune fille de 15 ans avec un bracelet bleu pétant. MERE, une femme stricte à l'air épuisée avec un gilet jaune. Et PÈRE, un homme concentré sur son téléphone vert. Ils sont tous habillés en noir, hormis leurs accessoires.
Il y a 4 chandeliers, avec chacun une bougie allumée.
La lumière s'allume sur SOEUR qui triture sa nourriture avec sa fourchette, tête posée sur sa main, l'air triste. Elle commence à parler, avec une voix blasée:
SOEUR: Je sais ce que vous vous dites. Y a pas un bruit à cette table, hormis celui de nos respirations. Étrange que les rires ne résonnent pas, n'est ce pas ? Pourtant c'est normal, c'est comme ça tous les soirs. Chez nous en tout cas. Mais on est une famille normale, je vous assure. Juste un peu abîmée. Enfin, un peu...
Ricanement sarcastique.
Pas un peu, beaucoup même. Ce serait si facile de tout reprendre normalement. Il suffirait de discuter un peu, dire ce que l'on a sur le cœur. D'une simplicité exemplaire, n'est-ce pas ? Mais voilà. Aucun d'entre nous n'ose. On s'est tous enfermés dans une bulle de silence et de déni. Si on en parle pas, peut-être que tout sera normal, non ?
Elle fait la moue.
Enfin, normal. Je déteste ce mot vous savez ? On est normaux. On est une famille normale. Parce que personne n'est
En mimant des guillemets:
"différent" ou "pas normal".
Il y a juste des gens abîmés.
Nous on est une famille de gens comme ça. C'est pas récent pour moi. C'est juste que maintenant ça se voit. Et pourquoi ça ? Parce que je peux plus le contenir. Je peux plus refouler tout ça, le cacher, faire croire que tout va bien et que je tiens encore debout.
Elle soupire.
Quand je me lève le matin, c'est la boule au ventre. Quand je me couche le soir, c'est parce que je ne tiens plus debout. Je veux pas aller me coucher et je veux pas me lever. Je veux pas vivre si demain est comme aujourd'hui.
Je vis dans la peur constante de plus pouvoir respirer. D'aller bien, et d'un coup, de ne plus recevoir d'air. Et de mourir comme ça. Seule. Je vis dans la peur de faire de nouveau une crise d'angoisse et d'être seule, de ne pouvoir compter sur personne.
Quand je me lève le matin, je pense qu'à ça. Et j'y pense toute la journée.
Quand je me couche le soir, je me dis que je devrais dormir toujours. Que je voudrais dormir toujours. Que le noir et le silence, pour toujours, ce sera toujours mieux que ce que je vis.
Nouveau soupir.
Je m'essoufle. Peu à peu.
Et ma famille aussi. Mais si j'arrive pas à respirer, comment je peux les aider à sortir la tête de l'eau ?
Alors je me tais, je fais comme si tout allait bien.
Elle éteint une des bougies et la lumière au-dessus d'elle passe sur FRERE. Il parle d'une voix enrouée et triste.
FRÈRE: J'arrive pas à manger, et j'arrive pas à parler. Je voudrais me lever et crier, me lever et le leur dire. Je sais que si je ne le fais pas ils ne le remarqueront jamais. Et je ne leur en veux pas. Moi même j'arrive pas à savoir si c'est vrai.
Il frotte sa gorge.
C'était pas la première fois. Et je pense pas que ce sera la dernière. Mais je vais finir par m'habituer, je le sentirai même plus passer. Et oui, c'est une mauvaise habitude. Mais c'est la seule chose qui me permettra de tenir. Comment voulez-vous que je fasse autrement ?
Sortir du silence ? En parler ?
Il ricane et hausse le ton, se fâche.
Et quoi ? On me dira que c'était pas vrai. Que c'était dans ma tête. Que c'était juste des jeux d'ados un peu bêtes et que je prends tout trop à coeur !
Il se rassène, se calme.
J'ai déjà essayé vous savez. J'ai déjà essayé. Et c'est pas comme si grand chose avait changé. Ah si, pardon.
Il prend une grand inspiration et siffle:
On est passés des mots aux coups. Formidables n'est ce pas ?
Je devrais en parler. C'est ce qu'on nous dit de faire, c'est ce qu'il faut faire, je le sais très bien. C'est la seule façon de faire évoluer les choses, mettre un coup de pied dans la fourmilière pour casser l'ordre établi.
Mais ma soeur, ma mère, mon père... ils ont leurs soucis.
Alors je m'essouffle, petit à petit, je plie sous ce que je vis.
Mais ma famille aussi.
Si on tient pas debout, comment on peut soutenir ceux qui nous entourent ?
FRÈRE éteint la bougie proche de lui, et la lumière passe sur PÈRE, dont le visage est éclairé par le téléphone posé sur la table.
PÈRE: Je vois bien que ça va pas, que ça tourne pas rond. Je vois bien que je devrais intervenir. Mais qu'est ce que je peux bien faire ? Qu'est ce que je peux faire pour les aider ? Je ne sais pas, je ne sais pas du tout et ça me bouffe. Je les vois sombrer peu à peu, tous les trois, et je sombre avec eux.
On marche sur un fil, glissant. La seule chose qu'on voit c'est le sol, la seule chose qu'on voit c'est le pire. Comment on peut avancer, atteindre la terre ferme en pensant à la chute en permanence ? On peut pas. Moi je peux pas en tout cas. Et eux non plus.
Il éteint son téléphone et relève la tête vers sa famille.
Alors je m'enferme dans le travail. Leur silence n'est plus pesant, il m'est bénéfique pour travailler correctement.
Je m'en veux de raisonner comme ça. Mais je ne sais pas faire autrement.
Leur demander comment s'est passée leur journée ? Je connais déjà la réponse. Mal.
Je m'enferme, je ne prête plus attention à eux et je m'en veux. Mais je ne vois pas comment faire autrement. Je n'ai pas de solutions à leur apporter, et ma présence ne suffit pas.
Si on continue comme ça, aucun d'entre nous ne tiendra plus.
Mais je ne sais pas comment les aider.
Alors je me tais, et je fais comme si je ne voyais rien.
PÈRE éteint sa bougie et la lumière passe finalement sur MERE.
MERE: J'ai pas grand chose à dire, pas grand chose à ajouter, pas grand chose qui ne servira pas à désespérer.
Je pense qu'on est en train de sombrer.
Je pense qu'on pourra pas s'en sortir sans parler.
Mais je pense pas qu'on soit prêts.
Chacun d'entre nous a ses ennuis, et même si on est une famille, on arrivera pas à en parler.
Alors on est condamnés. Condamnés à se regarder dans le blanc des yeux, alors que le sol s'effondre, que tout s'écroule autour de nous.
Condamnés à se regarder dans le blanc des yeux, silencieux, alors qu'on coule, peu à peu.
Je sais pas quoi dire, pas quoi ajouter. Je sais pas quoi annoncer qui ne servira pas à désespérer.
Alors je me tais.
Et je me dis que tout va bien.
Et je me dis, que ça ira mieux demain.
MERE éteint sa bougie et les lumières des lampes tremblent une dernière fois avant de s'éteindre définitivement, plongeant la scène dans le noir.
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Taille de la nouvelle : 1242 mots
Qu'en avez vous pensé ? Des avis, des retours ?
Miss_Paillettes
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