Chapitre 9.


(Ludovic)

Je suis parti à la bourre à cause de Frédéric. Je lui avais pourtant bien précisé à midi qu'il devait me remplacer pour que je récupère Fabien.

Bref quand j'arrive, il est dehors, seul comme un con, la clope au bec et je sais qu'il fulmine.

Il ne met pas longtemps à s'installer, allant même jusqu'à glisser son fauteuil plié sur la banquette lui-même.

-Frédéric avait zappé qu'il devait me remplacer, m'expliqué-je.

- Et le téléphone pour me prévenir, non ? s'agace-t-il. Je serai resté à l'intérieur plutôt que de supporter toutes les niaiseries et les regards de pitié.

- Je suis désolé. Je n'ai pas eu le réflexe, tout simplement, avoué-je.

- C'est pas grave, je m'en remettrai. Tiens, j'ai vu ton pote Martin tout à l'heure. Pourquoi tu m'as pas dit que Violette était sa sœur ?

Je ne m'attendais pas à cette question et encore moins à ma réaction. Je sens mes joues devenir cramoisies comme un adolescent prépubère surpris par sa mère. Son regard sur moi passé de la curiosité à la perplexité.

- Attends. Tu ne la connaissais pas ? Je croyais que vous étiez des amis. En fait, vous êtes juste des connaissances.

Oh putain. Qu'est-ce que je fais ? Je pourrais prendre à pleines mains la perche qu'il me tend. Mais franchement cela reviendrait à nous fermer la dernière possibilité de nous voir en dehors d'une chambre d'hôtel. Fabien attend, silencieux.

- Je savais qu'il avait une petite soeur, mais je ne l'ai jamais rencontrée, expliqué-je. Mais je suis heureux que vous vous entendiez bien, ce n'était pas si facile.

- Le proviseur ne lui a guère plus donné le choix qu'à moi. Mais ce n'est pas grave, elle est très gentille. Son frère a fait comme s'il ne me connaissait pas : en fait il était presque aussi mal à l'aise que toi quand j'ai prononcé son prénom tout de suite.

Oh le petit malin ! Il est très intelligent aucun doute là-dessus. Je joue l'innocent en me concentrant sur ma conduite. Mais même s'il ne dit rien, je sais qu'il sourit. Après avoir garé la voiture, je lui installe son fauteuil dans lequel il s'assied avec une facilité déconcertante. Son sourire est toujours plaqué sur son visage mais je continue à faire semblant de n'avoir rien remarqué.

- Tu vas à la vente ? me demande-t-il. Le prof principal m'a donné des papiers que tu dois remplir. Ce n'est pas pour demain mais il faut le faire.

- Je vais regarder cela, Frédéric s'occupe de fermer. Je t'ai préparé une salade de riz pour demain. La quantité était suffisante ce midi ? Vous avez mangé ensemble ?

Ce petit idiot a tout à fait compris mon manège. En toute logique, il a dû saisir que je ne répondrai pas à sa question implicite. Il attrape son sac à dos, en sort sa boîte plastique qu'il glisse dans le lave vaisselle.

- Tout était nickel, ne t'inquiète pas.

( Fabien)

Qu'est-ce que je me trouve bête ! Franchement, comment ai-je fait pour ne pas le comprendre du premier coup d'oeil. Ces regards qu'ils se lançaient, cette complicité entre eux que j'ai confondu avec de l'amitié ! Je souris intérieurement, décidément ma cassure avec ma famille prend un tour très sympathique. Je m'extirpe de mon fauteuil et me vautre sur mon lit. Les deux bras derrière la nuque, je savoure l'ironie. Je me remémore le regard de dégoût de mon père après qu'il ait surpris le baiser échangé avec Dylan à l'hôpital. Trois jours après, malgré un avis contraire des médecins, mon cher paternel m'avait fait rapatrier chez eux. Ma jambe m'avait empêché d'aller au lycée les premières semaines mais quand j'avais pu y retourner, mon père avait exigé de moi que je me conduise comme un homme. J'avais refusé et cessé de me rendre en cours. Ma mère désespérée avait oeuvré pour nous séparer moi et mon père, l'ambiance devenant invivable pour tous à la maison. La solution d'un éloignement chez Ludovic était l'option la plus pratique. Son père, qui le traitait de " paisible pécore" avait donné son accord précisément parce que là bas au moins, il se conduirait bien.

Moi, je ne souhaitais qu'une chose : m'éloigner de mon despote de père. J'avais de bons souvenirs avec mon oncle et avais donc accepté de venir.

Trois coups frappés à la porte me sortirent de mes songes.

- Tu veux grignoter un truc ? me demande Ludovic, la tête dans l'entrebâillement. Je n'ai pas pu préparer pour demain matin, on risque de manger tard.

- Tu as besoin d'aide ? Je ne peux pas ramasser au sol mais je peux faire des aller- retour avec des plateaux.

- Tu t'en sens capable ? Il ne faut peut être pas que tu forces de trop, s'inquiète-t-il en regardant ma jambe.

- Au contraire, je n'ai pas fait beaucoup de tractions. Tu me laisses le temps d'aller aux toilettes et j'arrive.

- Tu me rejoins au bâtiment, alors !

J'ai passé une bonne heure à aider Ludovic et Frédéric qui s'est excusé pour son retard. Travailler avec eux est agréable, ils ne donnent pas vraiment des ordres, ils expliquent ce qu'il faut faire, et me laissent tenter. Porter des plateaux, que Frédéric installe dans un équilibre précaire sur mes genoux est plutôt drôle et cela leur évite des aller- retour.

Nous mangeons une omelette tout en discutant, je vois très bien que mon oncle désire me dire quelque chose.

- Je ne sais pas comment faire. J'ai beaucoup de commandes à livrer demain, dont certaines très tôt. Je ne pense pas avoir le temps de revenir te chercher.

- Et Frédéric ?

- Non, il est sur Rouen toute la journée. En fait, je ne vois que deux possibilités. La première est que tu viennes avec moi et que je te laisse en ville en appelant un taxi. La deuxième est que tu sèches la journée de demain.

- Ta proposition est alléchante, vraiment. Mais je n'ai pas franchement envie de manquer les cours. Je peux peut-être y aller tranquillement, proposé-je en faisant mine de réfléchir. Ou demander à Violette de me retrouver, elle va au lycée à pied quand son frère dort. Ça serait sympa, non ?

Sa tête me fait presque mourir de rire.

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