Chapitre 2.
(Ludovic)
Je m'installe dans ma chambre, à l’opposé de celle de Fabien. Ce gamin me tracasse. La sonnerie de mon portable interrompt mes pensées.
— Tu es rentré ? me demande Martin, mon petit ami.
— Oui.
— Et alors, il est comment ce neveu ? m’interroge-t-il. Aussi terrible que te l’a présenté ta soeur ?
— Je ne sais pas, Martin. Tu aurais vu son sourire quand il m’a vu. Jovial, blagueur. Très loin du portrait du gosse fermé et désagréable dressé par sa mère.
— Et il est où, là ?
— Dans sa piaule. Dès que j'entame le sujet du fauteuil et de sa mère, il se ferme comme une huître. Tu viens ce soir ?
Il nous est très compliqué de nous retrouver. Martin a un travail qui lui prend pas mal de temps : cuisinier à domicile lui demande une certaine organisation.
— Je ne pense pas avoir le temps, Ludo. Mon repas devrait finir vers vingt-trois heures. Le train de Violette arrive à minuit.
— Je comprends. Tu ne veux toujours pas lui en parler, c’est cela ?
Voila LA question qui menace l'équilibre de notre couple.
J'ai vingt-huit ans, et j'assume depuis longtemps mon homosexualité.
Pour Martin, c’est plus délicat : il ne la renie pas, loin de là mais s'oppose fermement à en parler à sa petite sœur.
— Ludo... soupire Martin. Je peux passer demain après-midi, ton neveu est attendu au lycée quand ?
— Pas avant la semaine prochaine. Avant cela, nous allons devoir mettre en place les séances kiné, les passages des infirmières. Je ne vais pas tenir huit jours sans te voir. Quelle connerie j’ai fait d’avoir accepté, m’emporté-je, excédé.
— Je t’interdis de dire cela, bordel ! Même si ton neveu est là, je peux passer. Il va rester dix minutes avec nous et après il va s’enfermer dans sa chambre. C’est ce que fait Violette les trois quart du temps. Bébé, je vais devoir raccrocher. J’ai pas mal de préparation pour ce soir.
Et voilà. Encore une fois, Martin fuit. Certes, sa situation familiale n’est pas facile. Après la dernière arrestation de son père, il a décidé de prendre en charge sa jeune soeur, Violette. Bonne élève, réservée, les multiples placements en famille d’accueil l'ont déstabilisée. La petite entreprise de Martin a du succès et il espère devenir le tuteur légal de sa soeur.
Je me lève du lit, m’étire, fatigué. Avec l’arrivée de mon neveu, je me suis levé plus tôt que d’habitude. J'ai longtemps hésité à embaucher quelqu'un pour m’aider. Peut être ne vais-je plus avoir le choix ? L’aide financière proposée par ma soeur, même si elle est logique, ne me plait pas, je vais réfléchir à une autre solution.
— Ludo ? m'appelle Fabien de la salle.
— J’arrive, dis-je en me dirigeant vers où il m'appelle.
Je le découvre au milieu de la pièce de vie. Derrière lui se tient Frédéric. Je comprends tout de suite : mon ami n’a pas pu résister à sa curiosité maladive et s'est débrouillé pour rencontrer l'adolescent à sa manière.
— Fabien, je te présente Frédéric, l’homme le plus curieux de la planète, je crois. Je suppose qu'il a dû frapper à ton volet.
— Non. A la porte, en fait, s’en amuse l’adolescent. Dois-je faire un tour sur moi-même ? Si vous me lancez une baballe, je peux aller la chercher et revenir. Je suis très rapide avec mon fauteuil…
Frédéric se met à rire puis il lui tend la main en s'excusant. Nous nous retrouvons tous les trois autour de la table à discuter de choses et d’autres, puis Frédéric s’en va après avoir récupéré sa voiture.
— Tu me fais visiter ? propose l'adolescent.
— J’ai peur que ce soit compliqué, la terre est très molle, ce matin. Mais j’ai une idée. Suis-moi.
Le fauteuil roulant est clairement un obstacle à la visite, mais je ne souhaite pas provoquer un nouveau blocage chez mon neveu. Je l'entraîne donc vers où je suis arrivé. La pièce principale de la longère, très vaste, distribue deux autres secteurs bien spécifiques.
A gauche, une très grande chambre avec salle de bain où j’ai installé mon neveu. A droite, mon espace à moi composé d'une suite parentale et de mon bureau. C’est dans celui-ci qu'ils s’ arrêtent. Une grande fenêtre donne sur l’exploitation proprement dite. Le regard stupéfait de Fabien me fait plaisir. Les serres s'étendent juste derrière la maison.
— Tu gères tout cela tout seul ? s'étonne le jeune homme.
— Oui, la plupart du temps. Je travaille avec des restaurants essentiellement. Je ramasse tôt le matin, je stocke dans le bâtiment à côté, le bleu, dis-je en le montrant du doigt. Certains clients viennent récupérer, pour d’autres je livre.
— Comment as-tu fait aujourd'hui ? Tu étais à l’aéroport.
— J’ai ramassé très tôt avant d'y aller et le lundi il n'y a pas de livraison. Au pire, Frédéric y serait allé à ma place, c’est déjà arrivé.
— Et tu gagnes ta vie avec cela ?
Je souris. Cette question, je l’ai entendu tellement de fois. Lisant dans les yeux de mes différents interlocuteurs une sincère inquiétude sur mes gains potentiels.
— Oui, me contenté-je de dire. Cet après-midi, je t’explique comment nous allons nous organiser. Mais là, Il est temps d’aller préparer à manger, j’ai faim.
La cuisine ouverte sur la pièce de vie est simple mais bien équipée. Je cuisine peu depuis ma rencontre avec Martin. Devant lui, je me sens souvent gauche et préfère de loin le laisser faire. Je m’active sous le regard silencieux de mon neveu.
— Est-ce qu'il y a des trucs que tu n'aimes pas, questionné-je tout en débitant des tranches de concombre avec dextérité .
— Les légumes, blague Fabien. Je ne sais pas vraiment, le repas est vite expédié à la maison. Je m’assois, je mange, je me tire. Je vais manger au lycée ?
— J’ai essayé de m'organiser pour que tu manges ici, mais c'est très compliqué. Tu as peu de temps et je risque d’être très souvent à la bourre. Le self a bonne réputation. Je te propose un truc : tu essayes comme cela et si tu n’aimes pas, on avisera.
Je redresse la tête pour examiner la réaction de l’adolescent. Celui-ci a le visage fermé comme tout à l’heure. Posant mon couteau sur le plan de travail, j’empoigne le fauteuil et m'accroupis face à lui.
— Écoute, Fabien. Tu dois m’expliquer pourquoi tu te fermes ainsi. Je ne suis pas idiot.
— Ton lycée, demande-t-il, il est adapté aux mecs comme moi ?
— Bien évidemment, le rassuré-je. Le proviseur m'a dit que quelqu'un t'aiderait les premiers temps…
— Je n’ai pas besoin d’aide, ronchonne-t-il. S’il n’y avait que moi, j'arrêterais l’école. J’ai le droit, j’ai plus de seize ans.
— Je ne crois pas que ce soit une bonne idée, mais nous en reparlerons.
— Laisse tomber, je connais le truc, s'énerve-t-il. Tu n'es pas mieux qu'eux et il se dérobe une fois de plus.
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