William se jeta à plat vendre évitant un passage de mitraille, il secoua la tête, pauvre gamin se dit-il, il avait l'air sympathique. Il avait dit qu'il ne lui arriverait rien et maintenant il était dans un trou d'obus, il savait à quel point c'était difficile de s'en sortir et que l'on pouvait s'y fatiguer inutilement. Il était resté dans un trou pareil deux jours durant avant qu'un ami le sorte de là.

Un ami, voilà ce qui manquait à ce p'tit gars, c'est cette pensée qui tournait dans sa tête. Un nouvelle passe de mitrailleuse suivie de cris déchirants passa non loin de lui, s'il sortait pour l'aider il mourrait probablement.

De son côté, le français s'épuisait à tenter de remonter, il glissa une nouvelle fois et se râpa le bras contre un objet dur caché sous la boue. Se relevant précautionneusement il s'aperçut que l'objet en question était un crane jaunâtre, des lambeaux de tissus bleu sombre étaient encore accrochés, çà et là autour du corps. Il ne put réprimer un sanglot et se courba pour vomir. Il mourrait ici parce que son soit disant compagnon l'avait abandonné. Les obus pleuvaient autour de lui, il voyait les gerbes de terre soulevée par les explosions rentrer dans son trou. Il avala plusieurs fois de la terre en rampant pour sortir de ce piège.

Voilà pourquoi les officiers disaient de se tenir loin des trous, celui qui tombe dedans se retrouve pris au piège, ou pire, enterré vivant. Il commença à glisser et rapidement la boue l'entraina de nouveau au fond du cratère. Dans le ciel au-dessus de lui il aperçut une forme dans le ciel. On aurait dit un visage rougeâtre et menaçant.

C'est alors qu'il perdait espoir que William apparu au-dessus du trou, il tenait son bras gauche d'où coulait un liquide rougeâtre. Il lui jeta une corde en lui hurlant des paroles incompressibles dans le tonnerre du combat. Théodore s'accrocha à la corde et commença à grimper tandis que l'anglais tirait de son côté. Ils finirent par se retrouver étendus dans la boue côte à côte, soufflant et râlant. William sera un bandage de fortune autour de son bras gauche puis d'un mouvement empreint de souffrance il releva le jeune soldat en lui souriant.

-« Gamin je ne te laisserai pas tomber, trop de gamins qui étaient mes amis sont morts, je ferais ce que je peux pour te protéger mais ne meurt pas, fais un effort s'il te plait ! »

Touché et étonné de son geste le soldat français lui rendit son sourire. Il se disait qu'à la guerre on perd tant d'amis que s'en faire de nouveaux est un besoin vital qui n'est pas très difficile à combler dans un moment pareil. Le français leva la tête et fut prix d'un étrange vertige, la forme qu'il avait vu dans le ciel n'était plus là.

Ils n'eurent toutefois pas plus de temps pour se remettre de cette épreuve, un coup de sifflet annonçait le début de la seconde vague alliée, ils foncèrent donc de nouveau, profitant de la diversion pour se rapprocher de la tranchée ennemie. Une fois arrivés proche de celle-ci ils se jetèrent à plat ventre et commencèrent à couper les barbelés en rampant.

Les balles et les bombes pleuvaient toujours autour d'eux mais petit à petit, par poignées, des hommes les rejoignirent et d'autres commencèrent le même travail à d'autres endroits.

Ils finirent par rentrer dans la tranchée couverts de boue, ils lancèrent des grenades et puis ce fut une nouvelle fois le chaos. Les hommes chargèrent, s'empoignant au corps à corps, les déflagrations des tirs à bout portant écorchaient les oreilles des hommes, les baïonnettes se plantaient encore et encore dans les organes vitaux des hommes d'en face. Il y a des moments de la vie où l'on oublie et d'autres que le cerveau nous fait oublier.

Lorsque Théodore reprit ses esprits, il était couvert de boue et de sang au milieu de la tranchée. A côté de lui se tenaient deux hommes, il reconnut William grâce à sa cigarette car son visage maculé de sang était méconnaissable.

Le deuxième était un homme blond sans barbe aux yeux bleus rieurs. Il portait des taches de rousseur et une cicatrice au niveau du menton. Son uniforme dans les tons vert olive claire était, tout comme son arme, parfaitement soignés et nettoyés. Autour d'eux jonchaient des dizaines de cadavres défigurés allongés dans leurs entrailles et la boue. William dont la voix tressautait, montrant sa fébrilité, leur ordonna de tenir cette zone. Ils se trouvaient tous les trois dans une position de tir, ou trois mitrailleuses étaient installées, tant qu'ils gardaient ces armes les hommes des prochaines vagues pourraient venir de ce côté sans se faire tirer dessus et ainsi se regrouper pour capturer la tranchée.

La voix tremblante Theodore questionna l'inconnu.

-« Merci de ton aide camarade, de quelle compagnie es-tu ? »

Ce fut la voix bourrue de William qui lui répondit d'un ton condescendant.

-« Vu la propreté de sa personne c'est sa première bataille et il vient d'arriver. »

-« Nan je viens de passer au lavoir c'est pour ça. »

Tout souriant qu'il était sa piètre tentative de faire rire se solda par un échec. N'ayant rien à faire d'autre qu'attendre la troisième vague et se cacher dans cette partie de la tranchée il se présenta. Il s'appelait Jimmy: et était un soldat de la 1ère division d'infanterie de volontaires américains la Big blue one. Il était en effet arrivé récemment mais il ne s'agissait pas de sa première bataille, il nettoyait simplement son uniforme et son arme après chaque bataille. Ce rituel de nettoyage est ce qui lui permettait de ne pas flancher depuis le début de la guerre.

Ils durent rapidement mettre fin à leur discussion afin de suivre les soldats qui arrivaient toujours plus nombreux pour prendre la tranchée. C'est en capturant cette position de défense que s'illustrèrent les trois survivants des douze milles hommes de la première vague d'assaut de la tranchée quatorze lors de la soirée du dix-huit octobre mille-neuf-cent-seize.

Comme promis, une fois la tranchée pacifiée les trois camarades désormais soudés par la guerre et le sang burent un coup en riant aux blagues de Jimmy: jusque tard le soir de cette sanglante journée.