Chapitre 1 Verdun
Théodore, un soldat français de la cent-trente-deuxième division d'infanterie aux cheveux et à la l'imposante barbe rousse, avance, trainant les pieds dans cette pittoresque tranchée. Ses bottes de cuir produisent un bruit agaçant lorsqu'elles s'enfoncent dans la boue qui remplit le trou de combat, ses vêtements sont recouverts de cette terre humide et sale. Elle s'infiltre partout, dans les armes, dans vos bottes et sur votre être tout entier. Le jeune français porte une nouvelle fois la main à son oreille gauche, pourtant celle-ci n'existe plus, une balle la lui a arrachée, c'est un réflexe depuis qu'il est sorti de l'infirmerie il y a deux jours.
Les canons tonnent au loin, encore et toujours, ici à Verdun les canons crachent leurs projectiles sans interruption depuis plus de sept mois. La terre et les hommes en portent les traces, tous le savent désormais, ils ont tous été punis, il n'y aura pas de survivant à cette boucherie sans fin.
Il continua à avancer en direction de son poste au milieu de cette tranchée dans laquelle se terrent plusieurs dizaine de milliers d'hommes aux visages hagards et fatigués, transpirant et râlant de cette attente. La cent-trente-deuxième française, la première des volontaires américains appuyés par les légendaires commandos britanniques, doit monter à l'assaut de la tranchée numéro quatorze depuis plusieurs heures, mais l'assaut est sans cesse retardé par la pluie battante qui s'écrase sur eux. Beaucoup préfèreraient en finir avec tout ça et charger droit devant eux.
Sous la pluie ou par grand soleil, le résultat sera le même, disent-ils. Théodore secoue la tête en s'affalant dans la boue de la tranchée devant l'échelle qui lui a été assignée. Ils mourront presque tous dans la boue et leur merde et leurs propres tripes lorsque l'assaut sera déclenché. Il y a juste à regarder dehors, au milieu des trous et des barbelés du « no man's land », on voit nettement les uniformes bleus recouverts de terre ou les os jaunâtres des précédentes vagues.
Une sueur froide trempait le dos du soldat, il se sentait mal et sentait que quelque chose allait se passer. Il lui sembla au loin entendre un cri rauque. Mais en regardant autour de lui il vit que personne n'avait réagi il en déduit donc qu'il s'agissait d'un mourant ou de son imagination.
Il entreprit de se terrer le plus près possible des rondins de bois de la paroi du trou et serra son arme contre lui pour tenter de se reposer. Depuis quelque jour un étrange sentiment lui serait les entrailles, la sueur de la peur coula le long de son dos.
Une voix hachée et bourrue à l'accent britannique lui fait ouvrir les yeux et sursauté.
-« Hé ! Gamin ! Lève-toi ! » Un coup de pied le fait se relever, « ils ont donné l'ordre, on y va dans cinq minutes, ce n'est pas trop tôt qu'on en finisse. »
L'homme qui se tient devant lui est un grand gaillard de haute stature, il porte l'uniforme des commandos de sa royale majesté. Ses yeux bruns sombres le fixent fermement, il a les cheveux bruns courts et filasse recouverts de boue. Sa barbe grise de quelques jours lui forme des plaques de poils rigides le long des joues et la cigarette qu'il tient dans la bouche rougeoie doucement.
Alors que le français s'apprête à lui répondre une série de grondements suffisamment puissants pour faire trembler le sol retentissent, ceux-ci furent suivis d'un cri.
-« Planquez-vous ça tombe ! »
Aussitôt l'enfer se déchaine, les obus pleuvent sur la position écrasant d'un flot de terre boueuse ceux qui ne sont pas déchiquetés par les explosions. La terre se soulève dans des gerbes de poussière et de feu, les cris de panique se muent en cris de souffrance. Le grondement incessant rend tout le monde temporairement sourd à ce qui se passe autour de lui, les flashs des explosions aveuglent les hommes, les ondes de choc les balayent comme des fétus de paille.
Petit à petit Theodore retrouve la vue et l'ouïe, les obus pleuvent encore mais en cadence bien plus réduite. Hébété, il observe les hommes et la tranchée autour de lui. La tranchée est percée de trous, les murets son éventrés, partout gisent des hommes blessés où les morceaux des moins chanceux. Non loin, deux hommes couverts de terre et de sang s'acharnent à sortir un autre soldat qui a été enterré sous le déluge de terre, une forte odeur métallique flotte dans l'air et nombreux sont les hommes, courbés en deux à se vider de ce qu'ils ont avalé lors de leur dernier repas.
L'homme qui lui avait adressé la parole avant que le cataclysme se déchaine se tient près de lui, il est en train de rallumer sa cigarette sans prêter attention à ce qu'il vient de se passer. Celui-ci voyant le regard du français se tourne vers lui, sa voix semble venir de très loin pour Théodore, le sang bat encore à ses oreilles, les bombardements continuent et celui qui vient de leur tomber dessus l'a rendu presque sourd. Pourtant il comprend les paroles de l'homme.
-« Toujours en vie, c'est bien petit, tu t'appelles comment ? »
L'air décontracté du soldat anglais le pousse à surmonter sa peur et son habituelle timidité en répondant d'une voix faible et roque.
-« Thé-Théodore »
-« Hum, heureux de te rencontrer Théodore », une pointe d'ironie semble percer dans la voix du vieux soldat, pourtant son visage reste imperturbable. « Moi c'est William. Hum bah tiens v'là l'lieutenant. »
En effet le lieutenant Arnaud, avance vers eux, enjambant un cadavre mutilé, il se place devant les hommes encore assommés par le choc du bombardement. Il s'agit d'un homme sévère aux hautes pommettes, aux cheveux bruns avec une moustache fine et bien dessinée et au double menton. Il est réputé pour faire passer la mission avant les hommes et cette réputation se confirme quand il prend la parole.
-« Soldats ! Il est l'heure de faire votre devoir, de venger vos amis, lorsque le sifflet retentira vous montrez à l'attaque ! N'oubliez pas le sort réservé aux déserteurs ! N'oubliez pas notre devise ; Un contre huit! »
La peur et la résignation apparurent sur les visages des soldats qui s'étaient agglutinés pour écouter leur officier, ils allaient malgré le bombardement partir à l'assaut et mourir par centaines. Théodore se recroquevilla contre le sol en se tenant les genoux et en se balançant d'avant en arrière.
-« je ne peux pas, je ne peux pas » répétait-il d'une voix folle et transpirant de peur.
Son nouveau compagnon britannique le saisi par le col et, malgré le poids et la stature du français, le releva sans peine et lui aligna une claque en lui hurlant de l'écouter.
-«Petit ! Reprends toi, refuser d'aller au combat c'est directement le pleton ! »
-« Mais on va tous y passer ! Tu n'entends pas ? Le bombardement continue ! »
-«Et alors ? » rugit William, « nous sommes des soldats, mourir est notre devoir et cette satanée boucherie en prendra encore bien d'autres avant de se terminer ! » Puis il lui parla plus calmement, presque gentiment. « Reste près de moi je te protègerai, fais ton devoir et je te promets que nous boirons un coup quand tout ça sera fini.»
Reprenant courage, le français hocha la tête bien qu'il se questionnait sur l'intérêt que semblait lui porter l'anglais en prenant son fusil. Les hommes attachaient leurs baïonnettes et se préparaient alors que la pluie et les obus tombaient sur le champ boueux et calciné qui s'étendait entre eux et leurs ennemis. Puis ce fut le signal, le bruit strident du sifflet leur vrilla les tympans.
Les hommes hurlèrent en montant aux échelles pour se donner du courage et chargèrent droits devant eux, vers la mort qui leur tendait ses bras décharnés. Les deux camarades foncèrent tête baissée vers les lignes ennemies, des milliers d'hommes couraient autour d'eux. Beaucoup tombaient, touchés par une balle, coupé en deux par une passe de mitraillette, certains se soulevaient en même temps que la terre et la poussière lorsque un obus ami ou ennemi tombait près d'eux. Les barbelés étaient difficilement visibles dans le noir et sous la pluie, de nombreux soldats coincés hurlaient à l'aide avant de se taire pour de bon touchés par un soldat ennemi. Théodore courait lorsqu'un obus explosa non loin de lui, et le projeta dans un trou boueux. Avant de tomber dans ce piège mortel il vit William se tourner vers lui et reprendre sa course.
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