Chapitre 11 : Faire flèche de tout bois
Nounou numéro deux reste dans la voiture tandis que nounou numéro un m'accompagne en centre de détention. Presque deux semaines désormais que je me fais l'effet d'être une enfant turbulente que l'on doit garder à l'œil, sous peine de me voir commettre une grosse connerie. À vrai dire, je me demande, en cet instant, si je ne m'apprête pas justement à en faire une.
Mon regard fixe la ligne jaune derrière laquelle j'attends depuis environ une heure. Une heure déjà éprouvée par les couches de sécurité qui consistent en regards scrutateurs, grésillements incessants de portes et dépouillement total de possession si ce n'est sa propre tenue. Le "Bienvenue!" sur l'un des panneaux ne peut qu'être ironique.
Un véritable site touristique...
Et mes guides sont aussi accueillants qu'une tête de cheval crevée dans un lit. L'un d'eux finit d'ailleurs par aboyer mon nom, et après un énième claquement de grille, me conduit dans une vaste salle où une vingtaine de tables m'attendent, certaines déjà occupées. Pas d'intimité donc. Quoi que, Mal-Chin, mon garde du corps attitré, se voit forcé de patienter dans un des nombreux couloirs.
Une visite, une personne.
Alors que je prends place, le garde en profite pour me signifier qu'une seule et brève accolade est autorisée. Je grimace. La simple idée d'étreindre Ander me donne envie de dégobiller.
Et ce dernier d'apparaître.
Personnellement, je trouve que le orange et les menottes lui vont comme un gant. En revanche, il semble que le personnel n'ait pu se résoudre à lui confisquer son masque. Comme quoi, se protéger de l'horreur prévaut à la sécurité. Finalement, il y a un cœur sensible derrière les façades patibulaires du personnel. Contrairement à l'autre.
— Ander, salué-je d'une voix froide.
Les chaînes autour de ses poignets sonnaillent désagréablement sur la table tandis que mon frère s'installe. Nul besoin de discerner chaque ligne de son visage pour deviner le ravissement qu'il éprouve en me découvrant. Et ma foi, je dois être aussi enthousiaste que lui.
— Alors comme ça, le petit cafard ose sortir de son trou ?
Des années que j'ai droit à ce surnom, à croire que c'est affectueux.
— Surpris de me voir, hum ?
Sûr qu'il aurait préféré que ses sbires se chargent une bonne fois pour toutes de mon cas. Ce n'est d'ailleurs pas passé loin, mes côtes se souviennent encore de la mésaventure dans mon appartement. Malheureusement pour lui, il n'a pas eu la semelle assez épaisse pour m'écraser.
— Je ne sais pas pourquoi, mais j'ai une soudaine envie, presque irrépressible, de te voir te tordre de douleur à mes pieds. Quand j'y pense, ça illuminerait ma journée. À moins, bien sûr, que tu aies une raison valable de me rendre visite ?
Derrière cette façade de cuir sombre, je peux sentir sa peau meurtrie se contorsionner en un rictus mauvais. Une déclaration prévisible de sa part. La menace a toujours été son langage de prédilection et je sais à quel point il aime les exécuter. Il est même étonnant qu'il se montre aussi patient à mon égard.
—Je souhaiterais éclaircir la situation, répliqué-je.
— Et qu'y a-t-il à éclaircir, petit cafard ?
— Pourquoi souhaites-tu ma mort ?
La question posée de but en blanc me vaut un ricanement horripilant. Plusieurs de nos voisins tournent la tête vers notre table, agacés.
Je serre les dents.
— Moi qui te croyais plus intelligente ! Je sais très bien que c'est par ta faute si je me retrouve coincé ici. Pour ça aussi que t'étais là, au cimetière, hein ? Tout ça parce que tu voulais être la seule en lice pour l'héritage de notre père. Je suis au courant de ses dernières volontés, crache-t-il.
Ainsi donc, il pense que je l'ai balancé.
— Ce n'est pas moi qui ai envoyé les flics pour te coffrer.
De ma bouche, la déclaration est incontestable, Ander est bien placé pour le savoir. Mais évidemment, ce n'est pas pour autant que ça l'enchante. Ses iris s'assombrissent, signe avant-coureur de mauvais présage.
Combien de fois m'a-t-il toisée de la sorte pour s'amuser à me torturer d'un simple regard ?
Mes doigts cherchent le réconfort de mes dés.
Un tic qui n'échappe pas à mon frère et lui tire une autre de ses grimaces sous-jacente.
— Oh, toujours aussi sentimentale, à ce que je vois. Cela fait combien de temps ? Trois ans ? Cinq ans ? Plus peut-être ? T'as jamais réussi à te débarrasser de ces dés. Et dire que t'essayes de jouer la dure à cuire, à faire la maline, à te prendre pour la digne fille de Cyrius Thornes, alors qu'au fond, t'es toujours cette pauvre fille pleurnicharde.
Je fais l'effort de ne pas baisser les yeux. De claquemurer mon esprit pour ne laisser aucune fuite de ce passé venir perturber mes réflexions. Ce n'est pas le moment. Il ne m'atteindra pas.
Il ne m'atteindra PAS.
— Et si on jouait à notre petit jeu habituel ? ajoute-t-il. On va voir combien de minutes tu peux tenir et pendant ce temps, je daignerai répondre à tes questions. Un bon marché, tu ne trouves pas ?
Ai-je le choix ?
Bien sûr que je l'ai. Je peux me barrer de là et faire comme si cette entrevue n'avait jamais eu lieu. Rien de plus simple. Et ce n'est pas l'envie qui me manque. Seulement, des réponses me sont nécessaires.
Ma mâchoire se crispe.
— D'accord.
— Parfait !
Ses deux iris vrillent les miens, les arcanes s'introduisant aussitôt comme un poison dans mes veines pour remonter jusqu'à mon cerveau.
— Depuis quand es-tu au courant pour le testament ? débuté-je.
Mon front se plisse pour ignorer le fin tiraillement qui se propage en moi.
— Je l'ai su le lendemain de mon arrestation.
—Tu as pu lire les résultats de l'autopsie du géniteur ?
— Oui.
Mon nez se retrousse de contrariété sur cette perte de temps.
— Que disait le rapport ?
— Les causes de la mort sont inconnues, mais d'après les examens du légiste, le décès a été foudroyant et a eu lieu entre 22h00 et 1h00 du matin. Le reste, je ne m'en souviens plus, ça ne devait pas être important.
Mon pouls s'accélère sous cette nuée d'aiguilles qui semblent désormais se planter le long de ma colonne vertébrale.
— Notre géniteur, a-t-il parlé des menaces qui pesaient sur lui dernièrement ?
Ander s'esclaffe.
— C'était l'homme le plus détesté et le plus craint de New York, des menaces, il y en avait tous les jours et toutes les nuits.
— Qui soupçonnes-tu du meurtre ?
— Un mage. L'un des chefs de clan, peut-être ?
— Pourquoi... Pourquoi n'es-tu pas encore sor-sorti de prison ?
Cette fois, c'est un fer à repasser incandescent collé à mon dos. Je cligne des yeux et serre les poings, repoussant la fine ligne du supportable.
— Quelqu'un, dans le système, ralentit volontairement les procédures, mes avocats sont sur la bonne voie donc je devrais bientôt être libre, petit cafard. Est-ce que par hasard tu t'inquièt...
— Stop !
La chaise racle le sol dans un bruit strident alors que je me lève. Ma brusque réaction provoque des échos d'insultes tout autour. Rien à foutre. Je veux que cette impression d'avoir la peau rongée et les os dissous cesse. Qu'il arrête de trifouiller mon cerveau.
L'expression d'Ander devient narquoise.
— Ok.
La douleur reflue, s'estompe et disparaît.
Enfin, le soulagement m'envahit. Je me rends compte que du sang imprègne le creux de mes mains alors que sous la douleur, mes ongles se sont enfoncés dans la chair. Qu'importe. Ça guérira.
— Au revoir, Ander.
— À bientôt, Ivy.
Qu'il pourrisse au fond d'un caniveau en compagnie des blattes.
Je m'en vais rejoindre la sortie, mais un écriteau retient mon attention :
"Nous espérons que c'est votre dernière visite ici !"
Ouais, un vrai site touristique...
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