Apogée envolée
Il y a eu cet instant où mon cœur a eu envie de s'assoupir un moment. De cesser de courir le monde pour se reposer. J'avais vécu le soleil, la chaleur et les fleurs des prairies. L'hiver qui se posait sur mon corps me fatiguait.
Oui, j'étais fatigué. Fatigué de cette jeunesse et de cette vie qui avait parcouru mes veines, fatigué des aubes et des crépuscules qui s'enchaînaient sous le rythme des jours.
Je le sentais au fond de moi. C'était le moment de faire une pause, de quitter cette vie dont j'avais tout vécu. Alors, j'ai fermé mes paupières, je me suis enroulée dans mon drap de sérénité, et j'ai quitté la terre.
On dit que je suis mort, ce jour-là. L'hiver reprenait ses droits sur le monde, et le froid gelait les forêts. Ils m'ont vu disparaître, tous, avec la conviction que c'était un départ définitif. Je me suis vu mourir, moi aussi. Ce n'était pas si désagréable. C'était calme, c'était doux. Je me protégeais des brises glaciales de la vie, qui menaçaient de se poser sur mon cœur. Je mûrissais ma solitude pour sentir mon cœur battre à nouveau.
C'était un temps bien après la mort et bien avant la naissance. Ce temps où on sent les battements de son cœur résonner dans un silence profond, sans savoir s'il s'agit des premières ou des dernières vibrations. Peut-être est-ce la même chose, finalement.
J'ai dormi pendant de longs mois. J'ai protégé mon cœur, je l'ai comblé de paix, et j'ai senti mon corps se transformer petit à petit, par touches de couleurs. J'étais devenu le tableau d'un artiste qu'on appelle la vie. Il me grandissait, me parait d'élégance, de beauté et de vie. On donnait enfin à mon corps ce pourquoi il était destiné.
On me donnait ces caresses souples et douces qui se refermaient sur moi. On me donnait ces fibres colorées et si fines qu'un coup de vent aurait pu les envoyer loin de moi.
On me donnait mes ailes.
Ma chrysalide, oui, est mon rempart et mon âme,
Elle me garde du vent et du froid éternel,
Et elle donne à mon corps une touche de charme,
Comme elle coud sur mon cœur le sillon de deux ailes.
Ma chrysalide, tu sais, est ma transformation,
Je m'endors chenille, me voilà papillon.
« Ce que la chenille appelle la mort, le papillon l'appelle renaissance »
Violette Lebon
Une lueur m'a brûlé les yeux. Une chaleur diffuse se répandait autour de moi et m'enserrait, me forçant à sortir de ma somnolence. Comme à mon premier jour, je ressentais, plus fort que tout, l'appel de la vie. Il fallait que je sorte, qu'un air nouveau balaie mon corps. J'étouffais, prisonnier de ce cocon qui m'avait tant protégé.
Alors, j'ai ouvert de force ma chrysalide, arrachant sans répit les pans de mon foyer, pour les laisser pendre derrière moi, vides et encore emplis de ma chaleur. L'air tiède m'a soufflé son chant printanier au visage, comme un éclair de joie qui m'aurait frappé brutalement. Le bonheur a fusé dans chaque parcelle de mon corps. J'ai fait un pas, puis deux.
Et j'ai déplié mes ailes. Le vent a fait courir ses longs doigts sur cette surface tendre, comme pour en admirer la splendeur. Je n'avais jamais ressenti une joie aussi intense. J'étais à ma place, après tout ce temps. J'ai attendu quelques instants que mon corps se fasse à l'environnement qui me faisait face, et duquel je m'étais coupé l'hiver entier.
Puis, mes ailes se sont éloignées un instant. Le soleil a illuminé chaque pigment de couleurs qui les composait, renvoyant au monde une mosaïque d'émotions.
Et, en l'espace d'une pensée, elles se sont rejointes, dans un mouvement si fluide que je me suis demandé un instant d'où venait cette grâce soudaine.
Et j'ai pris mon envol.
« Même pour le simple vol d'un papillon tout le ciel est nécessaire »
Paul Claudel
La vie était un peu comme le mouvement de ces ailes. Des êtres qui s'éloignent, se heurtent, s'effleurent, se tournent le dos puis se rejoignent. Cet étrange balai formait une danse harmonieuse qui s'envolait vers les cieux. Moi, j'étais ce mouvement éphémère. Il ne durait qu'une seconde, mais il était plus éternel que toute chose en ce monde.
Pour la première fois de ma vie, je savais ce que j'étais, et ce que je représentais. J'étais la passion et l'amour. J'étais les couleurs étourdissantes du jour, la vie qui se consomme avec frénésie ou qui s'écoute avec patience. J'étais la joie pure à l'aube du printemps. J'étais éphémère, l'éclair lumineux qui traverse le ciel noir, le temps d'une seconde.
J'étais la vie, cet éclat de rire incompréhensible qui perce le silence de la mort.
On n'avait jamais fait attention à moi. Mes mouvements étaient lents, patauds, mes couleurs ternes et cachées par les feuilles des arbres. Non, on ne m'avait jamais dit que j'étais bien plus que ça, au fond.
J'ai dû le découvrir par moi-même.
« On m'a dit : tu n'es que cendres et poussières. On a oublié de me dire qu'il s'agissait de poussières d'étoiles. »
Hubert Reeves
Je ne saurais comment décrire la vie que j'ai mené ensuite. J'ai volé de fleurs en fleurs, humant les parfums sensuels des passions de la vie. J'ai tournoyé entre les oiseaux, imposants prédateurs du ciel. J'ai goûté aux tentations des hauteurs, sans vraiment parvenir à m'y faire. Non, je ne cherchais pas le ciel. Je voulais emplir cet espace qui vivait de lumière, je voulais effleurer l'herbe à laquelle j'avais été enchaîné, peut-être pour lui rappeler que désormais, elle n'avait plus aucun pouvoir sur moi.
Ma vie ne mérite pas de descriptions. C'était la vie. Une vie papillon, éphémère en partance sur les routes de lumière.
Papillon...
Au creux de l'oreille tu murmures mon nom ;
L'éphémère printemps qui s'envole à la nuit
Devient à mes yeux le battement de ma vie.
« Papillon » me chantent les douces fleurs des prés,
« Tes couleurs pétillent, m'électrisent et font gré
De ces instants précieux de soleil et d'amour,
De ces rires si beaux qui ne fleurissent qu'un jour. »
Papillon au soleil, papillon sous la Lune,
Sous les vagues de vie que dirige Neptune,
Sous ces vives tempêtes où nos rêves se noient
Il y a des ailes libres et un cœur qui bat...
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