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Ils se retrouvèrent une demi-heure plus tard, devant la porte de leur dortoir.

Après avoir échangé quelques mots, Nime donna un gros sac noir à Eustache pour que ce dernier confectionne ce qui devait être la pièce maîtresse de leur piège.

« C'est bon ? chuchota Nime à Eustache.

- Oui, tout est parfait. On n'y voit que du feu, répondit ce dernier en montrant le nouveau contenu du sac à son ami.

- Il reste plus qu'à trouver Zef avant le lever du jour.

- Ça va pas être facile, l'université est immense. Il a pu aller n'importe où !

- Faut se mettre à sa place, proposa le plus grand des deux. Où est-ce que j'irais si j'avais été emprisonné pendant plusieurs jours ?

- Moi, j'irais manger un gros steak.

- Mais t'es vraiment un gros morfal toi. Quoique...ton idée n'est pas si nulle.

- Alors en route vers les cuisines ! »

Si l'on peut être amené dans un premier temps à penser que les sorciers, absorbés dans leur quête perpétuelle du savoir absolu et de l'ultime spiritualité, négligent leurs besoins physiologiques, il n'en n'est rien.

Après tout, le célébrissime archimage Gradige n'a-t-il point prononcé ces paroles à jamais gravées sur le contre-feu de la cheminée centrale des cuisines : « Un esprit sain dans un corps bien rempli. » ?

Nime et Eustache se rendirent ainsi dans une -si ce n'est la- des parties les plus importantes de l'université. A ce titre, une bonne partie du budget annuelle délivré par la ville pour « promouvoir la recherche et l'enseignement » était octroyée au chef cuisinier. On pouvait ainsi apercevoir le meilleur de l'équipement gastronomique, alors que certains concierges se plaignaient de la fragilité des luminaires.

C'est donc au milieu de machines et d'outils rutilants que les deux compères tombèrent nez à nez avec Zef. Enfin plutôt nez à dos, vu que le fuyard, assis sur un buffet, leur tournait le dos tout en piochant dans un tas de nourriture. Les bruits de mastication ayant couvert leur arrivée, Zef restait penché sur les victuailles, inconscient de leur présence.

« C'est le moment ou jamais, chuchota Nime à son ami. Place le piège pendant que je prépare le sort. »

Après avoir acquiescé d'un signe de tête, Eustache s'approcha sur la pointe des pieds de la créature et déposa avec précaution le précieux contenu du paquet.

« A toi de jouer maintenant, souffla Eustache.

- Je suis prêt. »

Et sur ces mots, il incanta -silencieusement- un sortilège assez basique, plus souvent utilisé à la fin des soirées alcoolisées que pour sauver une université magique. Mais il faut bien un début à tout.

« Ça a marché ? questionna Nime.

- Parfaitement ! »

En effet, ce n'était pas la voix de Nime, jeune adulte d'à peine 19 ans qui s'était élevée, mais une voix fluette, digne d'une adolescente mondaine ayant grandi avec une cuillère d'argent dans la bouche.

« Bon, alors c'est parti ! »

Nime toussota, s'échauffa légèrement la voix et se répéta mentalement ce qu'il allait dire. Puis, il se lança :

« N'aurait-il pas un galant homme pour me venir en aide ? Je me suis bloqué le dos et je n'arrive pas à me relever, se plaignit Nime.

- Qu'est-che que chais que cha ? postillonna Zef, une cuisse de poulet dans la bouche. Qui est le simplet qui vient me déranger en plein repas ?

- Oh, mais quelle belle voix ! Je crois reconnaître dans votre timbre l'accent si caractéristique des gens de mon espèce. Ne seriez-vous pas un démon du sixième plan de Monterléyeur ?

- Qu'entends-je ? Je trouve ici un confrère ?

- Consœur, si je peux me permettre de vous corriger, répondit Nime qui commençait à se plaire de plus en plus dans son rôle.

- Intéressant tout cela, dit Zef en se laissant tomber du buffet. »

Il s'approcha de sa démarche bestiale, en s'aidant d'un de ses bras et en se grattant le cou avec l'autre. Arrivé près du sac, il souleva celui-ci, pensant qu'il s'agissait du voile de la dame.

Qu'elle ne fût pas sa surprise lorsque le contenu du sac lui fût dévoilé ! Il y avait en effet là une magnifique démone de son espèce. Tout du moins c'est ce qu'il fût à même de voir, ses yeux étant encore éblouis par la bougie qu'Eustache avait laissée près du colis. S'il avait possédé toutes ses capacités visuelles, il se serait alors rendu compte que sa bien-aimée était faite d'une grosse courgette, sur laquelle on avait greffé une pastèque ainsi que deux collants remplis de cotons.

Zef, inconscient, se pencha donc vers la poupée de vêtements et de légumes et lui susurra quelques mots à l'oreille -qui n'était autre qu'un morceau de brocoli- avant de l'attraper pour la relever.

« Mais qu'est-ce que c'est que ça ! s'écria-t-il lorsque il se rendit compte de la supercherie.

- Ah ah, te voilà pris comme un rat, s'esclaffèrent Nime et Eustache en sortant de leur cachette.

- Bande d'ingrats. Je vous laisse la vie sauve et voilà comment vous me remerciez ? En me tendant un vulgaire piège ? J'aurais mieux fait de vous tuer sur-le-champ. Et je vais d'ailleurs remédier à cela de suite. »

Cependant, lorsqu'il voulut tendre ses bras vers les deux étudiants, ses mains restèrent collées à la poupée. Voyant qu'il était démuni, il tenta alors de s'enfuir dans la direction opposée. Il se prit malheureusement les pieds dans le sac, et s'étala de tout son long sur le froid sol de pierre.

« N'essaie même pas de t'échapper, rigola Eustache. J'ai enduit tout le sac d'une colle à prise lente.

- Tu es fait maintenant sale traître.

- Parfait Nime, il nous reste juste à le ramener à sa cage.

- Oui enfin, vu qu'il est piégé, je pensais qu'on pourrait peut-être lui faire signer le pacte...

- Ah non, hors de question ! On a bien vu ce que ça donnait la première fois. »

Alors que les deux amis se disputaient sur le sort réservé à Zef, ce dernier se rendit compte que le soleil commençait à se lever et qu'il se trouvait pile en face de la fenêtre.

Pris de panique, il se mit à ramper dans la direction de ses nouveaux oppresseurs.

« Qu'est-ce qu'il a à crier lui ? demanda Esutache.

- Je vous en prie, aidez-moi ! Je ferais tout ce que vous voudrez, mais aidez-moi.

- Ouais, j'avoue que ça paraît louche, concéda Nime.

- Et pourquoi on devrait t'aider ?

- Le soleil se rapproche, se lamenta Zef. Si jamais il me rattrape, je suis mort.

- Bien sûr, rappliqua Nime. Et ma tante, c'est un vampire.

- Mais à votre avis, pourquoi est-ce qu'il y avait un voile sur ma cage ? »

Le soleil commençait à s'avancer de plus en plus vite, illuminant alors la poussière en suspension.

« Bon, j'ai pas envie de prendre un risque inutile, dit Eustache. Aide-moi à le déplacer à l'ombre qu'on en finisse. »

Malheureusement, le climat eusterien est changeant, et le gros cumulonimbus qui bloquait jusqu'alors le soleil décida d'aller prendre des vacances à l'ouest chez un cousin nimbostratus. Des rayons de lumière jaillirent alors dans la pièce, comme un front de cavaliers enhardis qui perceraient de leurs lances l'obscurité cotonneuse.

Nime et Eustache ne purent esquisser un mouvement que Zef, comme s'il fut un vulgaire morceau de charbon abandonné un an plus tôt dans un barbecue, se transforma en un tas de cendres fumant.

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