« Allez Eustache, lève-toi, je sais très bien que tu m'entends ! chuchota un garçon penché au-dessus du lit d'un autre étudiant.

- Laisse moi dormir Nime, je te rappelle qu'on a cours avec madame Glyrr demain matin, et j'ai pas envie qu'elle nous repasse un savon comme la dernière fois, grommela-t-il.

- Mais non voyons, fais pas ton enfant. Si jamais mon plan de ce soir marche, on n'aura plus jamais besoin de revoir la sale tête aigrie de Glyrr.

- Là, tu m'intéresses, répondit Eustache en se redressant, révélant sa corpulence bouffie cachée jusque-là sous les draps.

- Parfait, alors enfile vite tes affaires et retrouve moi dans cinq minutes à l'entrée du dortoir. »

Nime s'éclipsa sur ces paroles, se faufilant entre les lits pour disparaître dans l'obscurité.

« Dans quoi est-ce que je me suis encore fourré ? marmonna Eustache. »

Il enfila cependant sa robe de lin bleue, synonyme de son statut d'étudiant, ainsi que ses sandales de cuir, puis se dirigea le plus silencieusement qu'il put vers le lieu de rendez-vous. Il renversa ainsi une pile de livres sur son passage, marcha sur la queue d'un chat qui avait trouvé refuge sous une armoire, faillit faire tomber une armure décorative et éternua bruyamment à cause de son allergie à la poussière. Il faut dire qu'Eustache n'avait pas été gâté par la nature. En plus d'être plus volumineux que la moyenne, il était extrêmement maladroit, et ce n'étaient pas ses cheveux bruns bouclés qui lui tombaient dans les yeux qui allaient l'aider. Il parvint cependant à rejoindre son camarade, qui l'incitait par un regard lourd de sens à faire moins de bruit. Malheureusement pour Nime, l'obscurité cachait tout autant leur présence aux autres qu'à eux-mêmes, et Eustache n'avait pas la même aisance que son ami pour se déplacer dans le noir. Ils se retrouvèrent donc tous les deux au sol, après qu'Eustache ait malhabilement glissé sur un pull qui traînait là.

« Je me disais aussi que ça faisait longtemps que je ne m'étais pas retrouvé écrabouillé par ta grosse bedaine, râla Nime.

- Si tu mangeais un peu plus aussi, t'aurait peut-être moins peur de te cogner, lui répondit-il en se relevant lourdement. »

En effet, comparé à son compagnon, Nime était grand et fin, et son nez légèrement cassé montrait bien la fragilité de sa constitution. De courts cheveux fins et de grandes oreilles finissaient le portrait de cet élève taciturne à l'imagination débordante, malheureusement utilisée à échafauder des plans rarement en adéquation avec les règles de l'université. Et ce jour-là, lorsqu'il avait vu le groupe d'expédition de l'université revenir triomphant de leur dernière mission, ramenant avec eux une créature inconnue en guise de trophée, une nouvelle idée saugrenue avait germé dans son esprit.

« Alors voilà, commença à expliquer Nime, j'ai de bonnes raisons de croire que cette créature pourrait faire notre fortune.

- Mais on ne sait même pas ce qu'ils ont ramené ce matin, dois-je te rappeler que la cage était voilée ?

- Allons Eustache, un bon sorcier ne doit pas se limiter qu'à ce qu'il voit ! N'as-tu pas senti ce puissant courant de magie qui émanait de la cage ?

- Moi ce que j'ai senti, c'est surtout que ça schmoutait à mort là-dedans. D'ailleurs, qui nous dit que c'est pas un cadavre qu'ils nous ont ramené ?

- Mais voyons, vas-tu arrêter d'être pessimiste ? Pense au pouvoir que l'on pourrait avoir si l'on avait une telle créature sous notre contrôle, pense aux portes qui s'ouvriraient à nous. Et tiens, la fille qui t'intéresse, Bertrude...

- Serindë , corrigea Eustache.

- ... elle serait à tes pieds, elle te désirerait pour ta puissance.

- Je n'ai pas envie qu'elle m'aime pour ce que j'ai, mais pour ce que je suis !

- Ce sera déjà un début de ne plus être vu comme un minable par la majorité de la promotion.

- Si tu me laissais le temps de dormir à la place de m'entraîner dans tes aventures loufoques et inutiles, je serais peut-être plus efficace lors des examens.

- À quoi bon se fatiguer à travailler lorsqu'on peut exploiter le savoir des autres. Et puis cesse de parler, tu vas finir par nous faire repérer. »