Chapitre 9

Finalement, Zhuocheng aurait été d'une bonne compagnie, dans cet endroit – si, bien entendu, il n'avait pas été un imposteur...

A l'arrivée et bien que ses phéromones d'oméga soient identifiables de loin, le personnel l'autorise à entrer bien vite. N'aurait-il pas dû signer cette fameuse clause de confidentialité ? Aucune justification n'a été nécessaire. Étrange, mais il ne s'en plaindra pas.  Même s'il ne se sent pas plus à l'aise avec la clientèle, l'accueil chaleureux du personnel est agréable et il peut enfin se décrisper.

Au comptoir, en attente de sa commande, Zhan se perd dans les couleurs arc-en-ciel des spots en mouvement qui éclairent les murs carmin du bar et illuminent les bouteilles colorées sur les étagères. Son regard dévie vers la grande salle où trônent, tout comme dans une discothèque lounge, de nombreux canapés en cuir. Plusieurs salles se répartissent depuis la plus grande, chacune inspirant une parfaite sensualité, par leurs ambiances chaudes et tamisées. Un vrai labyrinthe du glamour dans lequel de nombreux couples s'éclipsent en se frottant l'un à l'autre.

Son troisième verre avalé, Zhan en récupère un dernier afin de le siroter dans le moelleux d'un fauteuil noir. Les nombreux duos – ou trios – ne se privent pas de s'embrasser en public avec toute la langueur du monde. Si on peut réellement appeler ça « public ». A vrai dire, il est le seul à dévisager cette clientèle bien singulière.

Près d'une sculpture contemporaine aux formes voluptueuses, il s'assoit dans un coin et lâche un bref soupir nerveux. Il n'est pas d'humeur au sexe, ce soir. En réalité – et bien que cela le surprenne –, depuis aujourd'hui, il se sent d'humeur câline...

—  Bonsoir...

Zhan relève la tête et découvre le magnifique costume trois pièces noir qui se dresse devant lui. La beauté du visage à qui il appartient le laisse bouche bée. Ces grands yeux d'étranger aux iris nuageux et sa chevelure noire impeccablement coiffée en arrière collent à la perfection avec l'élégance de sa tenue. Un parfait gentleman, dans toute sa splendeur.

—  B-bonsoir...

—  C'est ta première fois ici, je me trompe ?

L'acteur acquiesce avec un air réservé. Quelle horreur de devoir afficher son imposture aux yeux d'inconnus ! Heureusement, beaucoup de ces gens ne connaissent pas son visage.

—  Tu as un bel accent, d'où viens-tu ?

L'étranger lâche un petit rire tout en s'asseyant auprès de lui. Cet homme est sûrement un européen. Peut-être un anglais ?

—  Règle numéro un : au Dôme, ne jamais demander quoique ce soit de personnel, dit-il en lui faisant un clin d'œil.

—  Oh, je suis navré...

—  Tu ne connais pas encore le règlement par cœur, ce n'est pas grave.

Le sourire adorable de Zhan le fait craquer. Il dévisage de haut en bas son corps élancé d'oméga, cintré dans son costume bleu nuit. Sa chemise blanche, restée entrouverte, offre une vue sur la naissance de son torse fin. Satisfait par cette vision, l'homme se pince les lèvres tout en transperçant sa cible d'un regard enjôleur. L'acteur frémit. Bien que son esprit soit ailleurs, il est subjugué par le charisme irrésistible du trentenaire. Sans un mot, et sans jamais le quitter des yeux, l'étranger pose sa main sur sa jambe, un geste lent mais confiant. Malgré un petit sursaut, au fur et à mesure que sa main remonte le long de sa cuisse, Zhan se crispe. Son bas-ventre réagit.

Dans son cou, son prétendant chuchote son invitation d'une voix suave.

—  Veux-tu passer un agréable moment en ma compagnie ?

Pour unique réponse, Zhan acquiesce en silence, la lèvre mordue. Le gentleman prend sa main avec son sourire le plus charmeur et ils s'engouffrent ensemble dans un couloir sinueux tamisé de lumières rouges, plus sombre encore que le reste du club. De vraies allures de club échangiste. En chemin, un couple de jeunes femmes aux robes flashy et au maquillage extravagant les frôle. Cette clientèle excentrique provient bien d'un tout autre milieu que ce club de pervers.

Lorsque l'alpha lui ouvre la porte, Zhan a cette fois le temps d'examiner l'ambiance très chic de la cabine spacieuse. En découvrant son reflet sous les néons pourpres dans les différents miroirs accrochés dans la pièce, il se met à rougir. Dans celui derrière le lit, il regarde son amant l'enlacer par derrière avec tendresse. Ses mains douces glissent sur ses hanches et sa bouche s'aventure dans son cou pour y déposer une suite de baisers papillons. Ce genre de caresses n'est-il pas destiné aux couples, d'habitude ? Les rapports brutaux qu'il a eu dans cet endroit maudit laisse son corps choqué par tant de délicatesse.

—  Est-ce que tu veux prendre un verre de vin pour te détendre ? lui susurre l'homme en désignant la bouteille posée sur le chevet de verre.

—  J-je veux bien...

Les lèvres de l'étranger s'étirent contre la peau chaude de Zhan. Ce dernier frisonne à l'effleurement de sa respiration chaude, dans sa nuque.

—  Nous allons passer un très bon moment...

  

(Sonnerie)
 

Yibo grimace, encore ensommeillé. Il tâte du bout des doigts la table basse pour chercher son smartphone depuis le canapé. Ses yeux se plissent sur l'écran.

00 :27.

Grognon, il décroche sans vérifier le nom de l'appelant.

—  Moui...

— Hey ! Wang Yibo, c'est Wu Li.

—  Hm. Bonsoir, Li...

—  Je me permet de te déranger à cette heure puisque j'ai croisé tout à l'heure quelqu'un qui pourrait t'intéresser.

—  Ah. Qui ?

—  La personne sur laquelle tu m'as demandé des informations compromettantes.

Cette phrase suffit à Yibo pour le faire émerger de sa somnolence en un instant. Il se redresse pour se rassoir, soudain très sérieux.

—  Xiao Zhan ?

— C'est ça. Sais-tu où il est actuellement ?

— Dôme Rouge.

— Je vois que tu es bien renseigné, s'amuse Mark.

—  Il me l'a dit. Qu'as-tu à m'apprendre ?

—  Eh bien, si tu avais prévu d'attendre la fin de la promo pour le détruire, je t'apprends que notre cher ami va sûrement se mettre tout seul dans de beaux draps sans que tu n'aies besoin de te salir les mains et ce, dans très peu de temps.

Troublé, l'acteur reste muet quelques instants, le temps de se préparer au pire.

—  Explique-toi.

—  Ah, mon pote, ne me dis pas que tu ne connais pas la réputation du Dôme Rouge ?

Réputation ? Yibo force sur sa mémoire.

—  Le scandale de Xiah ! Tu as oublié ?

Ces mots éclairent enfin son esprit.

—  Bordel ! Je savais bien que j'avais entendu ce nom quelque part...

— Et ce n'est qu'un scandale parmi tant d'autres.

—  Mais le Dôme n'est qu'un club, qu'est-ce que tu cherches à me faire comprendre ?

Le trentenaire ricane au milieu de la rue dans laquelle il termine sa soirée d'enquête.

—  Oh, Yibo, tu es encore si innocent. Tu n'as aucune idée de l'existence de toutes les organisations qui agissent dans l'ombre dans ce pays. Si tu étais au courant du quart de ce que je sais sur toutes les affaires tordues qui se trament, tu irais vomir sur-le-champ.

Yibo reste sans voix. Le photographe s'allume une cigarette, son sourire toujours fiché au coin des lèvres.

—  Quel est cet endroit ? Explique-moi.

—  Mon ami, je ne pourrai pas te révéler ces informations, je tiens trop à ma vie, pouffe Mark avec un haussement de sourcil révélant son effroi.

Le front dans la main, Yibo se compose sur place. A quel genre d'affaires Xiao Zhan s'est-il mêlé ?

— Tout ce que je peux te dire, c'est que si tu ne tiens pas à ce qu'un scandale vienne ruiner rapidement vos affaires, mieux vaut prévoir quelque chose à leur mettre sous la dent avant que tu ne perdes tout contrôle. Une chose qu'ils trouveront plus intéressant que les petits secrets de ton cher collègue.

Un ragot plus croustillant que la supercherie d'une célébrité oméga qui se fait passer pour un alpha depuis des années ? Yibo ricane nerveusement et se pince l'arête du nez. Il est dépité. Absolument rien ne peut rivaliser avec ce genre de révélation. Rien.

—  Merci, Li, soupire-t-il.

—  En revanche, je préfère te mettre en garde. Ne te frotte pas de trop près au Dôme Rouge. Si moi je suis un expert dans mon domaine, ces organisations, elles, ont toute une armée d'hommes sans scrupules. Et il n'y a pas que des enquêteurs, si tu vois ce que je veux dire. Le Dôme est rattaché à des personnes particulièrement dangereuses qui trempent dans des affaires à t'en donner la chair de poule. Je ne te souhaite pas d'en savoir plus. Et si c'était un jour le cas, je ne donne pas cher de ta peau.

—  ... Merci de me prévenir.

Il dépose son téléphone et ferme les yeux pour contenir un violent vertige. Alors, ça y est. Le tournage est compromis. Ses poings se serrent.

—  Putain de... Foutou oméga de merde !

Il envoie valser les objets sur sa table basse d'un grand revers de main et prend son visage entre ses mains.

Pourquoi ? Pourquoi a-t-il fallu qu'un oméga soit choisi pour partager ce projet avec lui ?

A sa colère se mêlent d'étranges sentiments contraires. Sa gorge se noue. En sentant venir une inquiétude incontrôlable pour son collègue, il enrage contre lui-même.

—  Putain ! Pourquoi est-ce que je m'inquiète pour cet emmerdeur ?! Tout est sa faute, sérieux. Il a réussi à m'attendrir et j'ai même fini par l'aider. Bordel. Je devrais le... l'étriper. Oui, c'est ça. Je vais aller l'étriper de ce pas même si je dois passer la nuit à chercher ce con.

Sous l'impulsion de la colère et peut-être une autre émotion qu'il se refuse catégoriquement de reconnaître, Yibo enfile un cuir noir et un masque de la même couleur puis claque sa porte. Hors de question d'attendre demain, de garder toute cette rage sans pouvoir l'exprimer. Car ce n'est pas au travail qu'il pourra lui cracher au visage ce qu'il a à dire.

Deux heures moins le quart. Zhan émerge d'un profond sommeil. Il se redresse, groggy, et passe une main sur son front. Ses pensées se bousculent dans une brume de confusion. Le verre de vin, les débuts de l'acte, puis plus rien.

—  Comment est-ce que j'ai pu m'endormir...

Dans son simple pantalon de costume à la braguette négligemment refermé, l'occidental se présente à la port, un café à la main.

—  Tu es réveillé ?

—  Je... oui.

—  Je ne voulais pas te déranger, tu avais l'air très fatigué. Viens, je te raccompagne, fait le gentleman.

Son attitude bien trop décontractée – il semble davantage dans son salon que dans un club –   interpelle Zhan. Un étrange pressentiment éveille sa méfiance. En retrouvant la grande salle, désertée par la clientèle, il comprend que le club a déjà fermé depuis un bon moment. Pourquoi l'ont-ils laissé dormir alors qu'il n'y a plus personne ? Plus les questions fusent dans son esprit, plus il se sent mal à l'aise. Il n'a plus qu'une seule idée en tête : partir au plus vite.

L'étranger se glisse derrière le bar pour y déposer sa tasse de café vide et s'en faire couler un deuxième. Cette fois, il devient évident que cet homme n'est pas un simple client régulier. Une barmaid laisse glisser une main sur ses hanches en passant derrière lui puis se dirige vers leur dernier client restant. Avec son plus chaleureux sourire, elle l'invite à la suivre jusqu'à l'entrée où, le gérant, dans son élégant costume anthracite, discute avec deux grands types aux allures d'hommes d'affaires importants. A en voir leurs attachés-caisses et leur attitude austère, ces deux-là ne sont pas venus ici pour assister aux mêmes festivités.

Lorsqu'il aperçoit l'acteur, le patron – à peine âgé de trente-cinq ans – applique une main précieuse sur sa chevelure argentée, puis salue ses deux invités pour se diriger vers lui d'un pas assuré. Le malaise grandit pour Zhan. D'un œil anxieux, il cherche du regard le seul visage familier des lieux. Son amant, accoudé au bar, répond à son angoisse par un sourire amusé.

—  Monsieur Xiao Zhan, j'espère que vous apprécié l'accueil de la maison et notre aimable clientèle. Avez-vous passé une bonne soirée ?

Une bonne soirée ? S'il évoque le fait qu'il ne se souvient que du début...

— Oui. Merci, Monsieur...

—  Appelez-moi simplement Tao, déclare le patron.

La tension de Zhan est flagrante sur les traits crispés de son visage. Un rictus mystérieux figé aux coins des lèvres.

—  Nous espérons vous revoir bientôt, Monsieur Xiao...

Zhan se retrouve totalement intimidé par cet homme. Quelle est cette expression indescriptible ? Le noir de ses yeux perçants, tranchant avec sa chevelure ivoire, rajoute davantage encore de froideur au personnage. Il n'y a aucun doute, dans un film, il tiendrait à la perfection le rôle d'un parrain de la drogue ou d'un chef d'une organisation secrète.

—  Merci de votre accueil, Tao, murmure Zhan tout en prenant le chemin de la sortie.

—  Xiao Zhan ?

L'appelé s'arrête dans l'entrebâillement de la porte et déglutit. Quand on se fait rappeler de cette manière, à cet instant précis, c'est rarement pour une bonne chose. Il se retourne de moitié sans pour autant regarder le patron dans les yeux.

— Si vous recevez un jour un appel inconnu, je vous recommande vivement de répondre.

—  Un... un appel inconnu ?

Tao acquiesce en le fixant avec une pointe malice. A ce moment, Zhan comprend que son instinct ne l'a pas trompé. Ce frisson qui parcourt son échine est le plus gros avertissement de danger qu'il ait jamais eu de toute son existence.

—  J'ai de nombreux appels inconnus... Qui me dit que ce sera vous ?

—  Vous ne le saurez pas. Ce que je peux vous dire en revanche, c'est que nous ne vous contacterons que trois fois et qu'il serait tout à votre avantage de décrocher à la dernière si vous ne désirez pas recevoir une visite impromptue.

Une joie effrayante étire la rigidité de son visage anguleux. Saisi par un réflexe de survie, le corps de Zhan réagit sur-le-champ. Il prend ses jambes à son cou, bien résolu à ne plus remettre les pieds à cet endroit.

Son café à la main, l'occidental vient se planter avec nonchalance à côté du patron. Il lâche un pouffement.

—  Vous lui avez foutu une sacrée frousse.

—  Plus l'affaire est lourde, plus ils ont la trouille.

—  Vous avez décidé de ce que vous allez faire ?

Tao appuie une moue songeuse.

—  C'est bien trop gros pour l'offrir à de stupides journalistes, il est beaucoup trop précieux. Je dois réfléchir et contacter les bonnes personnes. Ce garçon va me rapporter gros. Très gros...

 

Sans regarder dans quelle direction il s'oriente, Zhan court à en perdre haleine. Lorsqu'il sent les vibrations de son téléphone contre sa cuisse, il s'arrête net. Un appel. Serait-ce déjà ce type ? Prostré dans la rue déserte, il n'ose plus toucher à son smartphone. La sonnerie s'arrête. Tout ce qu'il redoute est de recevoir un deuxième appel. Il glisse lentement sa main dans la poche de son pantalon, le cœur battant à tout rompre.

—  Xiao Zhan.

L'acteur se liquéfie sur place. Dans la panique, il laisse échapper son téléphone au sol en faisant volte-face.

Yibo. L'effroi le fait vaciller. Les battements sourds de son cœur tambourinent dans ses tempes.

—  C'est... toi qui m'a appelé ?

—  Oui. Et toi tu fracasses ton téléphone, bravo. Tu n'en rate pas une...

Alors qu'il lui tend son smartphone en grommelant, prêt à déverser sur lui toute sa rage, Yibo découvre avec stupeur les larmes qui embrument son visage totalement pétrifié. Avant qu'il n'ait le temps d'ouvrir la bouche, Zhan se jette sur lui et éclate en sanglots.

Décontenancé, Yibo reste interdit, les bras crispés le long de son corps. Mais bientôt, les pleurs de son partenaire, en quête de réconfort, le prennent à la gorge. Bien qu'il s'impose de rester de marbre, son cœur se serre. Ainsi, sans qu'il ne puisse lutter, sa colère se dissipe et ses mains se glissent dans son dos, impuissant face à ses longs sanglots étouffés au creux de son épaule. Maintenant qu'il connaît les dangers de ce lieu, il est facile de deviner que les choses ont déjà mal tourné.

Un long silence s'écoule. De longs instants durant lesquels le corps de Zhan frémit encore contre lui. Yibo lâche un profond soupir ; vaincu.

—  Viens, je te ramène chez toi.

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