Chapitre 52

Ce soir, dîner en amoureux. Les réjouissances sont annoncées. Zhan en trépigne d'avance.

Comme promis, Yibo a pu mettre un terme à son contrat avec DDU (les co-animateurs étant des amis fort compréhensifs). Ainsi, depuis plusieurs semaines, leurs rencontres se multiplient, bien que furtives. L'automne arrive bientôt à sa fin, moins d'une année doit encore s'écouler avant que les chaînes tombent.

À la télévision, un reportage sur Taiwan. Ses yeux n'en décrochent pas. Ce pays est celui où les gays ont la vie la plus paisible. Pourraient-ils fuir là-bas ? non loin de leurs familles et gratifiés de tant de libertés ? Ce choix serait le plus logique. Un endroit tranquille à distance raisonnable de leur pays natal. Il récupère un petit morceau de viande et le porte à sa bouche afin de goûter son hot-pot fait maison – pour Yibo, exit la sauce piquante. Par amour, il reconsidèrera sa décision de ne pas trop s'éloigner de la Chine. Tout quitter sera déjà bien assez difficile pour lui.

Trois coups à la porte. Vingt-deux heures. Son félin préféré est là. Pour lui faire plaisir, Zhan décide d'enfiler les oreilles et la queue blanches de chat du kit coquin que son homme lui avait offert pour son anniversaire. Il parachève sa tenue aguicheuse d'un tablier moulant de la même couleur, bien serré autour de sa taille fine.

Nouveaux coups.

— J'arrive !

La porte ouverte, son sourire s'envole aussitôt.

— Q-qu'est-ce que vous faites ici ?!

— Vous me permettez ?

Avec son habituelle sérénité, Tao pénètre dans l'appartement. Avec lui, une grande baraque pas commode... et Chris – qui examine d'un œil malicieux l'accoutrement de Zhan. Ce dernier retire ses oreilles et sa queue rapidement, les joues rosées. Il ne peut le nier, sa présence le rassure.

Tao fait quelques pas, hume l'odeur délicieuse en suspension dans l'air.

— Nous avons eu quelques soucis, monsieur Xiao. Quelqu'un en a trop dit au sujet de cette fameuse soirée.

— Fameuse soirée ?

— Le meurtre auquel vous avez assisté.

Ce désagréable souvenir revient en mémoire de Zhan ; il inspire un bon coup. À sa stupeur, son innocence semble évidente pour Chris, ce qui est loin d'être le cas de Tao. Il s'approche de l'acteur, les bras dans le dos. La tension devient électrique.

— Quel est le rapport avec moi ?

— Le rapport est que vous n'étiez que deux à avoir assisté à la scène. Que deux, aussi, à pouvoir faire une description de certains visages.

Zhan reste perplexe. Un silence qui déplaît fort à Tao. La patience n'est pas l'une de ses qualités. Son regard se durcit.

— Cette fille a quitté le pays il y a déjà quelques semaines, et l'information vient de surgir il y a tout juste trois jours, quand vous êtes revenu à Beijing. Comment comptez-vous m'expliquer ça ?

— Mais quelle info ? s'exclame Zhan en reculant à mesure que lui avance. Vous me pensez assez stupide pour avoir parlé de ce soir-là ? Je tiens à ma vie !

— Vous êtes le seul à avoir pu le faire, monsieur Xiao !

— Et pourtant, je n'ai rien fait !

La porte s'ouvre à nouveau.

— Ge, désolé, je suis en ret...

La porte close, Yibo se fige, son casque de moto sous le bras. Chris attire discrètement son attention avant qu'il ne prononce un mot pour l'inviter à ne rien dévoiler sur leur entrevue. Il referme la bouche, au secret. En revanche, la prestance et la chevelure opaline du personnage qui se tient face à son amant suffisent à décliner son identité.

— Tao...

— Exact. Enchanté, Wang Yibo.

Le regard de Yibo se noircit. Il dépose ses affaires et rejoint son homme pour faire front à ses côtés. Le cœur de Zhan se réchauffe.

— Bien, maintenant que vous êtes là, nous allons peut-être avoir quelques réponses.

Un signe de tête au molosse qui l'accompagne, puis celui-ci assène à Yibo un poing dans l'estomac.

— Vous êtes fous ?! s'épouvante Zhan en le rattrapant dans ses bras. Qu'est-ce qu'il vous prend ?!

— Vous ne voulez pas parler, je vais donc vous pousser à le faire, déclare Tao en se promenant dans le salon.

— Je n'ai rien dit ! Je vous le jure ! s'écrie Zhan, coupable malgré lui du prochain coup qui s'abattra sur son ami.

— La mémoire finira par vous revenir, j'en suis sûr.

L'autre redresse Yibo par le col, le poing prêt à rencontrer sa mâchoire. Zhan s'interpose entre eux et le repousse.

— Ge... écarte-toi.

— N'y pense même pas !

En proie au désespoir, il lance une œillade désemparée à Chris. Le malaise est lisible sur le visage froissé du bras droit. L'honnêteté de Zhan est incontestable à ses yeux.

— Boss, et si cette fille avait laissé des directives à ce flic avant de partir, par exemple en lui demandant d'attendre qu'elle soit loin pour publier son témoignage ?

Tao tourne la tête, les mains toujours croisées dans le dos.

— Pourquoi chercher la solution la plus compliquée ? dit-il en de dirigeant vers la petite bibliothèque. La plus simple est à notre portée. Viktor...

Zhan se crispe, mais reste campé devant Yibo – toujours plié en deux – pour le protéger. Sommé par son maître, le molosse lève le poing, prêt à frapper le malchanceux qui se trouvera en-dessous. Alors que le coup tombe, la poigne de Chris se referme sur son avant-bras. Sa main s'arrête net.

— Lui, tu le touche pas.

— Pousse-toi.

Viktor se dégage d'un geste vif et reprend son élan. Chris lui décoche un violent crochet dans la mâchoire. Le type tangue sur le côté, sidéré.

— Tao ! tonne Chris.

Soupir du mafieux. Il fait volte-face et observe la scène ; son gorille blessé au visage par son fidèle second pour protéger l'un de ses pions. Il pouffe, un sourire en coin.

— Ah, Chris, mon petit Chris... Il t'en aura fallu du temps pour t'enticher de quelqu'un...

Le principal concerné, ainsi que Yibo, affichent des mines effarées.

— Ce n'est pas ce que...

— Brown Chris, fais attention.

Cette menace, seul et unique avertissement avant que la confiance ne se brise, fait frémir l'accusé. Nier est inutile.

— Mes sentiments n'ont rien à voir là-dedans. Depuis quand vous blessez votre collection ?

— Ma collection ? Une personne qui me trahit une fois le refera sans hésiter. Quelle sorte de scrupule devrais-je donc avoir ? Mais soit. Puisque tu y tiens tant, occupe-toi de lui.

— Pardon ?

Tao se rembrunit. Ultimatum. Il fixe le couple avec un regard contrit, puis décroche Zhan de son amoureux.

— Non ! Lâche-moi ! Tu vas vraiment le laisser faire ?! Chris !

— Si tu ne parles pas...

— Mais tu sais que je ne sais rien !

— ... Je suis désolé.

Zhan cesse de se débattre un instant pour contempler son allié avec stupeur. Lui qui le pensait passé du côté des justes...

Le poing se lève à nouveau.

— Yibo !

— Encore une chance, monsieur Xiao, lance Tao en laissant traîner deux doigts sur le bord d'une étagère.

Un bout de papier attire son attention. Il tire dessus d'un geste discret tout en continuant à marmonner.

— Je ne tolère pas les traîtres ni les balances. Dites-moi la vérité, dites-moi pourquoi ce...

Il marque un temps d'arrêt. Ses yeux s'agrandissent. Il relève la tête, un mystérieux sourire aux lèvres, et fait volte-face. Toute rancœur s'envole.

— Je pense que nous n'avons plus rien à nous dire, messieurs ! s'exclame-t-il avec une joie qui laisse tout le monde pantois. Chris, Viktor, on y va.

Sur son ordre, Chris abandonne Zhan et court interroger son supérieur.

— Juste comme ça ? Vous ne...

— Xiao Zhan, notre contrat est rompu, rajoute Tao, à la porte. Nous nous arrêtons là.

Les deux garçons échangent un air médusé.

— Que... comment ça ?

— Dès lors que vous ne jouez plus franc-jeu, je vous raye de ma liste.

Plus perplexe que jamais, Zhan le poursuit jusqu'au pallier.

— C'est... c'est bien fini, alors ? Vous ne... vous ne me contacterez plus ?!

Tao tourne légèrement la tête dans le couloir, sans pour autant s'arrêter.

— Vous n'entendrez plus jamais parler de moi, monsieur Xiao.

Chris lance un regard confus à Zhan. Puis, aussi chagriné de couper les ponts que soulagé de voir son calvaire prendre fin, il lui sourit et s'efface dans l'ascenseur.

Yibo rejoint son homme, un sourcil haussé.

— Est-ce que tu comprends quelque...

— C'est fini... articule Zhan, ébahi. Fini...

Ses yeux écarquillés se reposent sur son compagnon. L'émoi invite ses larmes. Bien que la situation interpelle Yibo, il ne peut gâcher le bonheur de son amour et accueille son étreinte embrumée avec joie. La délivrance est sans nom. Le naufrage prend fin, son océan de cauchemars se retire. Aujourd'hui, il sort enfin la tête de l'eau. Les lèvres tremblantes, il tangue sous l'émotion. L'enfer est derrière lui.

— Di Di, embrasse-moi... murmure-t-il à fleur de peau.

Jamais Yibo ne l'avait vu en pareil état émotionnel. Et jamais non plus il ne pourrait refuser un tel ordre.

Il capture sa bouche et l'attire contre lui. Ses mains glissent dans son dos puis sous son tee-shirt, à la recherche de sa peau veloutée. Bien vite, leurs souffles s'accélèrent. Leurs lèvres rencontrent quelques coups de dents acérés et les caresses se font plus périlleuses, vers des contrées plus ardentes. Leurs corps se pressent l'un contre l'autre, ondulent jusqu'à faire se rencontrer leurs érections. Le désir les enflamme. Yibo lui retire son tablier à la hâte et arrache son vêtement avant de le plaquer contre le mur. Zhan laisse échapper une plainte, entre douleur et envie exacerbée. Gémissement exaltant, pour son félin.

— Bo Di, je veux que tu utilises tes phéromones sur moi.

Yibo le regarde, sidéré. Utiliser ses phéromones sur lui ? alors qu'il a déjà suffisamment perdu le contrôle dans sa vie sexuelle et subit des attouchements par ce moyen fourbe ? Pourquoi une telle demande ?

— Ge, je ne sais pas si c'est une bonne idée...

Zhan prend son visage entre ses mains et le fixe avec un désespoir fiévreux.

— À chaque fois, on me l'a infligé de force. Je veux choisir. Je veux reprendre le pouvoir sur ma faiblesse et l'apprivoiser. Et je voudrais aussi savoir ce que ça fait que d'aimer l'attribut d'un alpha...

Il enfouit le nez dans son cou afin d'humer son musc naturel.

— J'aime ton odeur. Elle est celle qui m'accompagne au septième ciel, me rassure et me transporte. Je veux m'y noyer. Je veux me perdre en toi.

Le cœur de Yibo s'emballe. L'angoisse de voir une chose mauvaise se produire le fait hésiter, mais lorsque Zhan se faufile dans son jean pour s'agripper à ses parties, la raison se dérobe.

— Toi...

Dents serrées, il emprisonne sa mâchoire entre ses doigts tout en se délectant de ce palpé divin. Son érection finit par être libérée de son vêtement, brandissant l'étendard de ses ardeurs.

— Je ne veux pas que ça soit pénible pour toi, marmonne-t-il entre deux soupirs.

— Fais-le, s'il te plaît... souffle Zhan en accompagnant sa masturbation de gémissements ô combien convaincants.

Sa voix de velours couche les derniers doutes. Yibo l'attire vers la table et l'y assoit avant de murmurer à son oreille.

— Je vais te faire du bien comme tu n'en as jamais eu.

Sur ces mots, une aura invisible de phéromones se déploie. L'effluve saisit Zhan au plus profond de son être. Chaque fibre de son corps se fait happer par un coton de sensualité, la bise chaude d'un gouffre de volupté. En son antre concupiscent, il sombre instantanément.

Il retombe sur la table, ralenti par les bras de son amant. La sensation de chute se répand dans tout son corps, embrasé par le goût exquis d'une seule obsession. Plus rien n'existe à part cette odeur merveilleuse, hypnotisante. Ensorcelante. Son regard se voile. A travers l'opacité de sa luxure, il fixe son homme, en train de lui retirer son pantalon et ses sous-vêtements. Ses doux murmures sont à peine perceptibles. Lorsque sa main se drape autour de son sexe humide, Zhan balance la tête en arrière et se crispe. C'est presque si l'orgasme surgirait d'un instant à l'autre, menaçant, tel la fragile caresse d'une aiguille sur un frisson, prête à injecter sa transe. D'ailleurs, seuls quelques mouvements suffisent à le faire imploser. Sa voix s'éraille dans la jouissance, incapable de s'élever car endormie par le sort.

Il tend une main molle vers son homme, penché vers lui à l'écoute de son bien-être. Les seuls mots que Zhan parvient à articuler se cotonnent de tendresse.

— Di Di, je t'aime... Je t'aime...

A travers le léger flou de sa vue brumeuse, il contemple le sourire de son homme. Son cœur s'embrase d'amour. Le bonheur du moment est égal à l'exaltation de son corps, encore vibrant de son orgasme.

Yibo relève ses jambes, les écarte, et s'enfonce en lui sans rencontrer de résistance car attendu et (tant) désiré. A l'instant où sa longueur durcie le pénètre et l'emplit, Zhan exprime sa langueur dans un long gémissement. Par son érotisme, Aphrodite elle-même s'en voit défiée. Ses membres se contractent. A chaque instant, les marées du plaisir déferlent. Le frisson jaillit, sans fin ; toucher d'un ange. Le divin inonde ses veines. Ses poumons se gorgent du parfum enivrant de ses rêves, jusqu'à ne plus faire qu'un avec. Jusqu'à ce que les voiles de sa raison aient quitté son esprit pour enfler jusqu'aux cieux, par-delà l'horizon d'étoiles. Le réel n'est plus. Cet être et sa magie, son unique univers.

Wang Yibo. Wang Yibo et son corps, le possédant. Son parfum, origine du monde et de sa foi en l'homme. Wang Yibo et ses vallons saillants, au gouvernail de son plaisir, livré aux flots de sa semence. Wang Yibo et sa voix enchanteresse, sournoise maîtresse de ses moindres frémissements, suave directrice de ses soubresauts de délice. Wang Yibo et ses lèvres, diablesses provocatrices de péché. Wang Yibo et son regard d'acier, créateur d'une obscurité dont nulle innocence ne peut réchapper. Wang Yibo, Adam de son cœur. Clef et fusion de son âme.

L'extase éclate, encore. Son corps implose à de multiples reprises, délivre de nombreuses fois son onguent de plaisir, sous les frappes du membre enflé de son amant. Car il enfle, et enfle encore entre ses chairs sensibilisées à l'extrême. Les sensations fulgurent, pulsent vers la perdition. Il en tremble. Les spasmes sont violents. La sauvagerie de son mâle l'embrase par le feu de son sexe, le transperce. Supplice addictif. Il laisse échapper un gémissement brisé qui trahit le cri véritable qu'il aurait voulu pousser, enflammé par un nouvel orgasme, puissant. Celui-là s'accompagne d'une presque douleur, fine et suave. Elle perfore avec délicatesse son point le plus fragile. Sa possession est entière, parfaite. L'assouvissement est total, par le nœud de leur union. L'instant est sublimé.

La torpeur de Zhan s'estompe lentement sous l'effet dissipé de l'aura. Il niche ses mains fébriles dans le cou de son amant pour l'attirer à lui. Yibo se hisse sur la table pour s'allonger sur son torse perlant de sueur. Tandis qu'il reprend son souffle, éreinté, il effleure quelques mèches de cheveux sauvages, ébouriffées sur son front brûlant. Nul besoin de mots lorsque tout se lit déjà dans l'éclat des yeux.

Leurs sourires se titillent et s'effleurent, puis s'épousent dans leur dessin. La confiance vient de gravir son échelon suprême.

 

 *

   

Dans la salle de concert, après la répétition intense d'une chorégraphie, Zhan répond à son téléphone tout en épongeant son visage. Dix appels manqués ?

— Wang Yibo, qu'est-ce qu'il se passe ?

— Il a osé ! Ce fils de pute a osé !

— Quoi ? De qui tu parles ?

— Seungyoun. Il a publié les photos.

Zhan manque de s'étrangler.

— Quoi ?!

Quelques camarades requièrent sa présence. Leur urgente insistance finit par l'interpeller.

— Xiao Zhan !

— J'arrive ! Deux minutes, s'il vous plaît !

— Non ! Maintenant ! Dépêche-toi !

Entre deux feux, Zhan accourt vers ses amis, assis en groupe sur les marches métalliques de la scène, et découvre leurs expressions blêmies. Sur les écrans de leurs téléphones, les photos, tout juste publiées sur Weibo. Et déjà un tollé. Il se couvre la bouche, horrifié.

— Ge ?

— Les mecs viennent de me montrer les photos...

Ses acolytes échangent une œillade surprise en réalisant avec qui leur aîné s'entretient.

— Pourquoi avoir attendu si longtemps...

— Cet enfoiré. Je vais le tuer. La correction qu'il a reçue n'a pas suffi.

— Tu as eu ton agent ?

— ... Oui. Et les directeurs de TU m'ont appelé aussi...

Zhan déglutit. Les conséquences ne vont pas tarder à se faire sentir.

— Et... et alors... ?

Le silence de Yibo en dit long sur le pire à envisager.

— Xiao Zhan.

— Oui ? Quoi ?

— ... Jusqu'à la promo, ils m'ont interdit de te revoir.

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