Chapitre 45
Cho Seungyoun : ne sois pas en retard tout à l'heure, les fraises chantilly n'attendent pas ☺️
Déjà ennuyé, Yibo range son téléphone dans sa poche. Les taquineries déplacées de son hyung sont agaçantes, mais ne l'atteignent plus.
Les bons moments qu'ils ont partagés semblent bien loin. Il n'est ni le premier à qui Seungyoun impose ses caprices ni le dernier. S'il avait su que son ami aurait évolué ainsi en si peu de temps...
Une maquilleuse revient peaufiner sa peau. Quel bonheur de ne pas porter de perruque pour ce drama-ci – un thème moderne, proche de la jeunesse actuelle –, mais quel ennui aussi sans son partenaire ! Aucune expérience ne saurait rivaliser avec The Untamed, c'est certain. Une idée rassurante, au final, car peu importe quel sera le succès qu'ils rencontreront, partir après cette réussite est la garantie que rien ne sera si beau. N'est-ce pas ?
La jeune femme déguerpit à l'ordre du metteur en scène. Pourquoi est-il en proie au doute, au fond de lui ? Sans l'admettre de vive voix, le futur l'angoisse. Il est celui qui a fait le choix de tout abandonner, l'an prochain, celui qui a fait cette promesse. Comment peut-il être confus, à présent ?
Son téléphone vibre dans sa poche. Encore le fauteur de trouble. Il est sûrement le responsable de son instabilité actuelle. Oui, c'est l'unique raison, il refuse d'y réfléchir davantage. Une autre réponse serait bien plus terrible.
« En place ! »
Dire qu'il va devoir se farcir son ex toute la soirée, si on peut considérer Seungyoun comme un véritable ex. Sa patience n'a pas fini d'être mise à rude épreuve. Devoir refuser des avances pesantes – ou plutôt un harcèlement grossier – avec calme n'est toujours pas dans ses habitudes.
Sur le seuil de la porte rouge maudite, Zhan s'annonce, masque et bonnet sur la tête, dans un élégant col roulé noir. La pluie menace le ciel assombri. La morsure de l'hiver le saisit même sous son long cardigan clair.
Il pénètre sur les lieux comme s'il était chez lui. Nul besoin de faux semblants ni de sourires forcés, ici. Chaque fois qu'il se rend au Dôme, il devient son propre opposé. Un homme habitué au sale dans un milieu sordide, dénué de toute douceur. La pire version de lui-même, sous une immense couche de glace et d'hostilité. Carapace prévisible, et justifiée.
Il abandonne ses affaires dans un coin de la grande loge vide. Pour son rendez-vous mondain, Tao fournit tenue et accessoires. Le seul avantage à participer à cette soirée est qu'il ne sera pas obligé de supporter l'humeur exécrable de son agente. Après avoir reçu le coup de fil de quelqu'un de fort convaincant, cette dernière l'a aussitôt libéré de toutes responsabilités jusqu'au lendemain. À quel point Tao est-il influent ? Il n'est pas certain de vouloir connaître la réponse.
Il jette un œil à son iPhone, aucune notification. Son sourcil se fronce. Cette soirée aura aussi le mérite de garder son esprit occupé. Bien qu'il ait entière confiance en Yibo, le savoir chez ce vicieux est loin d'être apaisant. Qui sait ce que ce type pourrait encore inventer ?
— Bonsoir, Xiao Zhan...
Une petite brune au carré court se courbe devant l'acteur.
— Bonsoir... ?
— Je m'appelle Mei. Je suis... la deuxième accompagnatrice.
Zhan ne cache pas sa surprise, il était loin de se douter qu'ils seraient deux.
Il gratifie sa camarade du moment d'un sourire chaleureux. Sous ses airs timides, la jeune trentenaire semble une simple étudiante. Et à en lire la gêne sur ses lèvres pincées et son regard bas, il n'est pas dur d'imaginer une fille au tempérament docile, facilement maltraitée par les plus malveillants.
— Enchanté de te rencontrer, Mei. Sais-tu où est Tao ?
— Apparemment, il est en réunion, nous partirons dès qu'il aura fini. Nous devons nous changer avec ces vêtements, informe-t-elle en désignant les deux tenues chics suspendues aux cintres.
Zhan examine la chemise blanche glissée sous le trois-pièces bordeaux de la marque Armani et part enfiler l'ensemble derrière un paravent tout en échangeant quelques banalités avec Mei pour détendre l'atmosphère.
Fin prêt, il s'assoit à la coiffeuse pour couvrir son grain de beauté sous la lèvre d'une bonne couche de fond de teint puis s'empare du loup pailleté qui trône sur le meuble. Mei finit par se dévoiler à son tour, moulée dans sa longue robe dos nu. Plongeant à la naissance de ses fesses, son échancrure défierait les regards des plus discrets. Zhan hausse un sourcil, loin de s'attendre à tant de glamour, mais se détourne bien vite pour ne pas se montrer gênant. Perchée sur ses hauts talons, la pauvre fille enfouit sa honte entre ses mains, aussi écarlate que son vêtement.
Compatissant à son mal-être – lui-même est d'une grande pudeur –, son compagnon de peine lui tend son masque, de la même couleur or que le sien, et elle l'enfile aussitôt, pressée de se cacher. Son visage camouflé, la jeune femme tente de se créer un soupçon de contenance. Zhan la fixe, soudain stupéfait. Comment une personne aussi fragile peut-elle se retrouver en pareil endroit ? à devoir supporter de telles circonstances ?
— Mei, personne ne vous reconnaîtra, sourit-il en tapotant de l'index son propre loup. Il n'y a rien à craindre.
Elle lui renvoie un rictus éprouvé. Enfin, la porte s'ouvre. Deux hommes se positionnent dans l'encadrement, prêts à les escorter. Oui, vraiment. De cette soirée, il n'y a rien à redouter.
Dans le long couloir qui mène à l'appartement de son ami, Yibo traîne des pieds, les mains dans les poches. Son large survêtement noir a l'air de tout, sauf d'évoquer un rendez-vous galant – de toute manière, ce dîner n'en est pas vraiment un. Lorsque Seungyoun lui ouvre, il reconnaît aussitôt le confort de ses tenues de danse et émet un pouffement. Taquin, il lui vole sa casquette.
— Tu comptes faire du sport, ce soir, Wang Yibo ? sourit-il, charmeur.
Yibo reste de marbre. Bien décidé à en finir au plus vite, il pénètre dans l'appartement sans se donner la peine de répondre à cette pique qui n'est que le début d'une longue, très longue série.
À la table, alors que son prétendant se tient face à son plan de travail, Yibo détaille ses habits du coin de l'œil. Bien entendu, son fessier est moulé à la perfection dans un pantalon noir, prêt à recevoir la fessée d'une main aguichée à n'en plus pouvoir. Son col de chemise, bien trop tentateur, est trop ouvert pour être innocent, lui aussi. De toute manière, rien chez ce garçon n'est chaste. C'est d'ailleurs l'une des raisons pour lesquelles Yibo a fini par s'éloigner.
— Rappelle-moi, Bo Di, qu'est-ce que tu as aimé le plus chez moi ? le questionne le cuisinier d'une voix sucrée.
Yibo soupire et s'avachit sur sa chaise, bras croisés.
— Des choses qui ont fini par m'ennuyer.
— Oh, aller ! Réponds...
— Hm. À l'époque, ton côté malicieux. Et tu étais mignon. Je dis bien étais.
— Et plus maintenant ? s'étonne Seungyoun en déposant divers petits plats et bols sur la table.
— Maintenant, il n'y a plus que ta tête qui aille.
— Ha Ha ! Venant de toi, je prends ça comme un compliment.
Tu prendras toujours mes mots comme ils t'arrangent, de toute façon.
Laisser couler. Tout ce que dira son ex ce soir, il le laissera couler. Cet idiot servira au moins à occuper son esprit pendant une heure au lieu de se faire trop de mouron pour Zhan.
— Donc, ça date de quand cet intérêt pour les garçons innocents ?
— Pas d'hier. Tu sais très bien que les gros pervers provocants, c'est pas mon délire.
— Ce n'est pas ce que tu donnais avant comme impression, rétorque Seungyoun en attaquant le plat de résistance. Sers-toi de la sauce, je l'ai fait exprès pour toi, pas pimentée.
— Avant, je me contentais de peu.
— Ah... je dois le comprendre comment ?
— Pas mon problème.
Seungyoun grimace. Être considéré comme un bouche-trou est loin d'être plaisant. Mais il sait pertinemment que leur intimité a été réjouissante, Yibo ne lui lance que des piques. Aucune raison de perdre son sourire, donc. Il restera doux comme un agneau. Car c'est ce qu'il doit devenir pour reconquérir son ex, un agneau. Même si cette image de pureté ne lui correspond plus depuis longtemps, il peut bien s'adapter pour séduire à nouveau cette tête de mule. Peut-être serait-il nécessaire de faire revenir certaines choses à la surface...
— Avoir un innocent dans son lit, n'est-ce pas un peu ennuyeux, à la longue ?
— Tu comptes vraiment parler de la façon dont je baise dans mon couple ?
— Aish... ne te fâche pas ! J'essaye de me mettre à ta place, parce que peut-être qu'une bonne partie de jambe en l'air sauvage va finir par te manquer...
Ses baguettes stoppées dans la bouche, Yibo le fixe avec un air désespéré. Il n'y a pas à dire, même lorsque ce garçon tente de se montrer détaché ou adorable, ses paroles finissent par le trahir. De plus, derrière son visage angélique, Zhan peut devenir un véritable petit démon, au lit. Il n'a rien à envier à personne.
— Je te connais, Di Di, tu as besoin de passion, que ça y aille fort...
— Est-ce que tu t'entends parler, sérieux ? Tu crois que ce genre d'attitude me plaît ? Que c'est en me parlant comme ça que j'vais te retomber dans les bras ? Aiyo...
Son regard se teinte de dédain.
— À quel point tu me connais mal, mec...
— Ah oui ? Pardon, mais je me fie au Wang Yibo que je connais, celui d'il n'y a pas siii longtemps, tu sais...
— Et ben, ça a changé.
— Toi, tu as changé ?
— Ouais, j'ai changé. Beaucoup, même.
— Et en quoi ? Je veux dire, qu'est-ce qui te plaît chez un homme ?
— Son esprit, sa sagesse. Qu'il soit mignon, attentionné, mais avec un fort caractère. Capable de me tenir tête. Sa grande douceur aussi... et un sourire adorable.
En citant ces qualités qui qualifient Zhan à la perfection, Yibo sourit, radouci à sa pensée. Son idéal, il l'a déjà trouvé.
— Il a l'air parfait ce Xiao Zhan, acquiesce Seungyoun.
— Il est parfait pour moi, en effet.
— Et tu es comblé.
— Oh ! que oui.
— Donc tu n'aimes plus que la douceur ?
— Ce n'est pas parce qu'on a de la douceur qu'on n'a pas aussi du tempérament à côté.
— C'est vrai, tu as raison. Au lit c'est pareil, d'ailleurs. Quand on a les deux, c'est cool.
— Ouais. Et là, c'est...
Un instant, Yibo lève les yeux et les fige sur son ami, le nez fourré dans son bol. Son regard se plisse. Il a déjà trop parlé. Il ne doit rien dire à ce fourbe. Toutefois, en le voyant engloutir son repas comme un enfant affamé, il se tranquillise. Il se fait peut-être des idées, après tout. Lorsque Seungyoun fait preuve d'impudeur, il le réprimande, mais quand s'intéresse à lui en posant de simples questions, n'est-ce pas là une chose plutôt normale ?
Perplexe, il se replonge dans son bol tandis que son hôte se lève pour amener la suite, toujours aussi pimpant.
— Tu sais, j'ai beau être un pervers – je sais que je le suis et je l'assume ! – j'aime les hommes stables. Et l'amour. Qui n'aime pas l'amour, de toute manière ? Je veux dire, j'ai beau n'être tombé que sur des profiteurs et me venger un peu sur le premier con venu, c'est l'amour que je cherche, un peu comme tout le monde, je suppose.
— Hm.
— Je pense qu'une fois que j'aurai enfin trouvé cet homme qui m'aime sincèrement, je serai calmé. J'arrêterai de m'autodétruire en faisant de la merde, poursuit Seungyoun en haussant les épaules.
— Ouais. Arrêter les conneries, ça serait pas con.
— Yah ! Tu en as bien fait, toi, et y'a pas si longtemps que ça, en plus. L'an dernier, par exemple !
En repensant à son passé proche, Yibo ne peut réprimer un sourire en coin. Il en a écumé des soirées entre amis, à coucher avec certaines personnes qu'il n'était pas censé approcher. À l'exception de ce stupide chantage, au final, le comportement libéré et libidineux de Seungyoun n'a rien de choquant.
Les fraises chantilly finissent par être déposées sur la table. Yibo lève un regard blasé sur son hyung. Ce dernier se pince les lèvres, à deux doigts de l'hilarité. Ce dessert est la blague qu'il ne pouvait s'empêcher de faire. Yibo secoue la tête – ce garçon est incorrigible – mais finit par pouffer à son tour.
— T'es con, putain.
— Wang Yibo, tu te souviens ces foutues fraises à la crème qu'on s'était tous jetées dessus ?
— On avait tous de la purée rose sur les fringues, on en avait aussi éclaté sur la moquette. Yi Xuan en avait même eu dans l'œil.
— Ha Ha ! Oui, c'était dégeu, y'en avait partout et ça collait. On avait ravagé la chambre...
— ... Et on s'est fait démonter.
Ils ricanent.
— Mais on les a bien utilisées, ces fraises, déclare Seungyoun, en baissant les yeux sur la chantilly avec un air timide.
La fin de l'histoire revient en mémoire à Yibo, à la suite de leur chamaillerie. Les images, également. Il avait rejoint Seungyoun dans la douche et, ensemble, ils s'étaient ôté les traînées de fruits répandues sur leurs torses, jusqu'à l'entrejambe. Ensuite, sa langue avait dérivé. Le membre de son hyung dans la bouche, il l'avait plaqué contre la paroi carrelée et arraché quelques gémissements indécents. Sa voix résonne encore dans sa tête. Ils avaient même fini par attirer l'attention de leur manager, tant leurs ébats avaient retenti dans la salle de bain. L'érotisme de ce moment ainsi que la sensualité du corps nu de son aîné entre ses doigts reviennent irrémédiablement à la mémoire de Yibo, porté par une bouffée de chaleur.
Son visage se colore, sa gêne accentuée par la culpabilité. Il voudrait bien s'éventer, mais hors de question de suggérer une quelconque idée à son ex. Comment ce souvenir peut-il avoir un tel effet sur lui ? Xiao Zhan est la seule personne qu'il désire en ce monde.
Il serre les dents, soudain distant. Seungyoun le remarque, bien sûr. Et apprécie.
Il lâche un rire fluet.
— Eh, on peut juste les manger chacun à notre tour, dit-il en désignant les fruits. Crois pas que je vais te proposer quoique ce soit, ces fraises m'ont coûté un bras ! Mais si tu n'en prends pas, ça me gêne pas, ça en fera plus pour moi.
— Tss... espèce de...
Soulagé, Yibo fait abstraction des pensées bien imprégnées dans son cerveau et dérobe d'une fraise pour faire avancer les choses. Plus vite il partira, plus vite son esprit s'allègera. Même l'atmosphère paraît plus sucrée que d'habitude. Sa respiration s'accélère sensiblement ; quel genre d'appréhension est-ce là ? De son côté, Seungyoun continue à déblatérer. Yibo le dévisage, songeur. Il ne s'est pas montré oppressant, il se doit de le reconnaître. Chose étonnante. Vraiment étonnante.
Mais plus surprenant encore, cette chaleur qui électrise son corps. Et cible son bas-ventre. Fichus souvenirs. Il ne doit pas y accorder d'importance ni même y réfléchir. Il se frotte le front et attrape une deuxième fraise fraîche qu'il trempe dans la chantilly.
— Eh... Bo Di, t'as pas envie de te refaire les Fast and Furious ?
— Quoi ? T'es pas sérieux.
— Alleeeeer ! Comme au bon vieux temps !
— Je dois bosser en arrivant.
— Bah, bah ! T'as pu te libérer pour ce soir, non ? s'exclame joyeusement le maître de maison en se levant. À quand ça remonte la dernière fois que t'as maté un film entre potes ?
— Hyung, faut que je rentre.
— Pourquoi ? T'es attendu là ?
En repensant à la soirée de Zhan, Yibo se crispe. Est-ce l'angoisse inconsciente à son sujet qui lui noue les tripes ? Après réflexion, il suspend sa réponse. S'il retourne chez lui maintenant, seule une partie de son cerveau travaillera. Il finira alors rivé sur son téléphone à imaginer des scénarios tous plus obscènes les uns que les autres. La jalousie, la peur, la tristesse, l'estomac en vrac à chaque fois qu'il s'est absenté pour cet homme restent gravés au fer rouge.
— Bon bah, réfléchis bien, hein. Moi, je le lance, fais ce que tu veux, déclare Seungyoun en se jetant sur son canapé, d'ores et déjà dans son film.
Yibo le fixe du coin de l'œil, indécis, puis se laisse tenter par l'unique solution qui ne sera source d'aucun stress : avoir l'esprit occupé. Le vacarme des voitures et les effets spéciaux, dès les premières minutes, le captivent déjà. Happé par l'action, il part s'échouer à côté de son hôte, les mains dans les poches.
— Qu'un seul, après j'y vais.
Le sourire de Seungyoun s'élargit. Il se pince les lèvres et laisse glisser un regard de biais sur son ami. Tout se déroule comme prévu...
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top