Chapitre 41

Lorsque Yibo soulève Zhan pour le déposer sur le lit, celui-ci refuse, affolé, et s'agite pour rester au sol.

— Non ! Pas sur ce lit ! Pas ce lit !

— Ge, je reste près de toi...

— Non ! Ne me force pas à aller !

À peine reposé, Zhan recule avec ses pieds contre le chevet et ramène ses genoux contre son torse. Yibo se pince les lèvres. Voir son amour dans un tel état de choc ne s'était encore jamais produit. Lui qui a toujours su camoufler à merveille ses fragilités derrière ses sourires radieux... Toute endurance a une fin. Bien qu'il soit arrivé avant le drame, son âme soeur n'est visiblement plus en mesure d'en supporter davantage.

Il s'agenouille et le prend entre quatre yeux.

— Ge, tu dois t'allonger, tu es faible...

— Comment tu peux me dire ça avec lui à côté ! s'étrangle Zhan, une main sur sa gorge douloureuse.

Les larmes inondent ses joues. Comment Yibo peut-il lui infliger une telle chose ? laisser cette abomination vivante avec eux ? Tout le temps que son monstre demeurera dans la même pièce, il ne pourra respirer et décrocher de son cauchemar. La raison s'enlise dans les méandres de ses différents supplices.

— Wang Yibo, grimace-t-il... ça t'amuse de prendre ta revanche... Tu te fous de moi...

Yibo le dévisage, confus. Il ne reconnaît plus Zhan, son esprit s'est littéralement fait happer par sa tourmente. Toute cette folie doit se terminer. Vite.

Il retire sa propre veste, chaude, afin d'en recouvrir son torse frissonnant. Ses doigts rencontrent sa joue salée dans une caresse délicate et apaisante.

— Ge Ge, je t'aime, susurre-t-il en prenant son visage entre ses mains. Ça va aller.

— Il est là, il va le faire, il va le faire... bredouille Zhan, le regard bas, fixé sur l'horreur. Derrière toi. Derrière toi.

Yibo se retourne et pose les yeux sur le corps toujours inerte de Yu Huang.

— Ge, il ne te fera plus rien, murmure-t-il en s'installant sur le sol, à ses côtés. C'est fini. Je suis là.

Il enfouit la tête de son amour dans son cou et couvre son visage exposé de l'autre main pour l'empêcher de regarder. Bercé au creux de ses bras, envoûté par son parfum, Zhan s'assoupi lentement, une fois ses sanglots atténués. Mais chaque fois, le faciès défiguré de son démon revient le hanter et le tire de son repos.

Puis, son grognement brise la sérénité du silence.

Yibo braque ses yeux sur lui. Ses sens s'affutent.

Les grommèlements de l'estropié se noient avec le sang qui coule dans sa gorge dans un gargarisme répugnant ; un porc étouffé. Comme un pantin aux traits difformes, Yu Huang se relève, maladroit et à moitié aveugle sous ses globes tuméfiés. Yibo cache davantage encore la tête de son protégé dans son cou. Son regard se rembrunit, vigilant.

L'autre se rue sur la porte verrouillée puis, piégé, se lance à la recherche vaine du pass en tâtonnant quelques meubles vides près de l'entrée. Mais bien vite, il comprend. Une seule personne détient les clefs. Il se tourne avec lenteur vers son jeune opposant et fait un pas vers eux.

— La carte, s'il vous plaît, Wang Yibo...

Immobile, Yibo foudroie l'ennemi d'un regard noir, suffisamment menaçant pour le dissuader de s'avancer davantage. Pourtant, le coupable n'a pas d'autre choix, car c'est sur lui que l'étau se refermera bientôt.

— Vous comptez attendre la police, articule Yu Huang, la bouche empâtée. Mais vous savez qui il est, maintenant...

Les yeux de Yibo se baissent un instant sur le sommet de la tête de son oméga. Ses doigts glissent dans ses cheveux.

— Je le sais depuis le début. Pauvre con.

La surprise de Yu Huang est à la hauteur de l'hilarité qu'il ne peut exprimer tant son visage le fait souffrir. Il porte une main à sa bouche sanguinolente, meurtrie par le rictus qu'il ne peut brider.

— Donc vous savez ce qu'ils vont lui faire, mais vous comptez prendre ce risque pour me faire enfermer pendant quelques jours ? Ha !

Zhan remue sous le menton de son protecteur. La réalité devient plus forte, émergeante, à travers cette voix atroce qui retentit à nouveau, et le flagelle.

Sans jamais quitter la menace des yeux, Yibo resserre son étreinte. Face à son assurance silencieuse, la nervosité de Yu Huang augmente. Il doit fuir. Sans plus attendre. Contraint à affronter le garçon qui lui a déjà réglé son compte (malgré son avantage physique), il rassemble tout son courage et réduit la distance entre eux. La lèvre de Yibo se retrousse, dévoile ses dents serrées.

— Faites un pas de plus et c'est à la morgue qu'on vous retrouvera.

— Le pass.

— Va chier.

Les phéromones hostiles qui émanent du corps de son alpha poussent Zhan à relever la tête. Il ouvre les yeux et s'horrifie. Son souffle se coupe. Yibo anticipe ses craintes et lui murmure quelques paroles inaudibles à l'oreille tout en cachant son visage d'une main.

Le rictus douloureux de Yu Huang se redessine. Son appréhension s'estompe.

— Wang Yibo, la protection de ton oméga passe-t-elle après ta vengeance ? crache-t-il, forçant la provocation. Tu sais ce que je lui ferai après t'avoir rendu ton K.O, hein ?

Il fait un nouveau pas, trop proche. À présent, il les domine tous les deux de sa hauteur.

— Tu as beau m'avoir bousillé une fois, maintenant, c'est moi qui suis en position de supériorité.

Prêt à répondre à son assaut ou à recevoir un coup, Yibo se crispe. S'il doit se sacrifier et tuer cet homme ce soir, il n'hésitera pas. Peu importent les risques.

Le premier poing se dirige droit sur sa joue. Il le stoppe net dans sa paume, néanmoins, depuis le sol et son amant contre lui, il ne peut arrêter le suivant. Sa pommette se fait percuter de plein fouet, mais le crochet dans la tempe qui l'aurait conduit à l'inconscience a été évité.

Effrayé, Zhan s'écarte et se presse dans l'angle entre le chevet et le lit, libérant ainsi les bras de son compagnon qui parvient à saisir les deux poignets de son assaillant. Yibo se relève, sa dominance se mesure à nouveau à la sienne. Malgré sa carrure mince, le feu qui le consume jure qu'un massacre aura lieu ; et ce ne sera pas le sien.

Les effluves de sa haine fusent de son corps, piquent avec férocité les narines de l'agresseur, qui tourne de l'œil un court instant. Un instant furtif mais suffisant pour perdre l'avantage et se retrouver plaqué au mur, un poing planté dans l'estomac. Là, le félin se déchaîne. Les uppercuts font craquer ses côtes, teintent la graisse de son ventre d'empreintes violacées. Sa respiration se hache au rythme de la brutalité qui le cingle. Le dernier crochet du droit de son opposant éclate son oreille gauche et lui ôte son équilibre ; il manque de chuter. Ses doigts ensanglantés crissent sur la cloison blanche, y laissent leurs traînées rougeâtres. Dès l'instant où il baisse les yeux sur la moquette, sur son bout de porcelaine tranchante...

CLAC

Avant que Yu Huang n'ait l'opportunité de réagir, cinq individus en noir pénètrent dans la chambre, et en moins de temps qu'il n'en faut pour émettre un cri, une sangle s'enlace autour de son cou. Pétrifié, il s'agrippe au cuir étrangleur tout en se faisant tirer vers la porte, réduit au silence comme un animal capturé sous collet. Yibo fait quelques pas en arrière, les poings encore tremblants, puis, dès lors que les cinq s'écartent pour laisser entrer un nouvel homme, il se jette aux pieds de Zhan et l'emprisonne fermement entre ses bras pour cacher son identité au creux de son épaule. Cet homme-là ne doit pas savoir.

Tout de blanc vêtu, le sexagénaire avance dans la pièce, le nez couvert d'un mouchoir en soie écrue à l'inscription d'or. Lu Gao, alias le Tigre D'ivoire. Créancier le plus redouté, véritable faucheuse des pauvres téméraires assez fous pour s'endetter à son compte dans les contrées maudites des jeux d'argent.

— Wang Yibo, articule-t-il derrière son tissu.

Prudent, Yibo conserve sa froideur agressive et hoche la tête pour le saluer.

— Mon Dieu, alphas, omégas, ... vous sentez tous si fort.

Il baisse les yeux sur le clandestin de son jeune informateur et gratifie ce dernier d'un rictus désinvolte.

— Le Tigre D'ivoire n'oublie jamais une dette. Je vous en dois une.

Sur le départ, il fait volte-face puis s'arrête.

— Bonne nuit, Wang Yibo...

Dans l'angle qui cache la sortie, il se tourne très légèrement en direction des deux garçons. Une fine malice étire ses lèvres – le secret est évident. Stressé, Yibo reste rivé sur l'entrée. La porte se referme enfin, le silence retombe.

Il lâche un long soupir, profondément soulagé. Plus angoissé qu'il ne le laissait paraître, il abandonne sa tête un moment sur le rebord du matelas pour redescendre en pression. Ce jeu d'ombres était risqué, les contacts lui ont coûté cher, mais il gagné.

— Ge Ge...

Il baisse les yeux sur son amour et lui relève le menton. Muet par le choc, Zhan laisse son regard absent divaguer dans le sien.

— C'est fini, bien fini. Il est parti. Il ne te fera plus jamais de mal. À plus personne.

▪️

Réflexion personnelle.

 

Suite à vos (🌋NOM-BREUSES🌋) réactions enflammées, j'ai conclus au sujet de la fameuse question : pourquoi sommes-nous tant d'auteurs jugés "sadiques" à torturer nos personnages ?

❇️ Ma réponse (et sûrement sera-t-elle différente pour d'autres) est que nous faisons vivre des drames aux personnages que nous aimons le plus car ils sont la représentation inconsciente de notre cœur.

Leur douleur est en quelque sorte une manière d'extérioriser la nôtre, profonde, qu'elle soit différente ou similaire. Quand certains aiment la poésie, la photo en noir et blanc ou composer des chansons, d'autres sont comme nous. Nous qui retranscrivons nos failles à travers nos personnages. La résolution (ou non) de leurs problèmes reflétant ainsi notre état mental, et la fin heureuse que nous leur offrons étant celle, au fond, que nous aurions espéré pour nous...

Petite analyse un peu mélancolique🍂, mais je souhaitais apporter quelques lumières au sujet des auteurs qui sont dans mon cas. Ne culpabilisez pas (comme j'ai pu le faire énormément! pour Zhan, certaines savent), matérialisez vos sentiments et continuez à créer l'émotion, c'est une chose merveilleuse !

Et vous, comment vivez vous la souffrance dans un récit ❓

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