Chapitre 4
Malgré l'angoisse terrible que ses chaleurs deviennent perceptibles par les autres alphas, cette nuit s'est avérée bénéfique pour Zhan. Tout en se faisant couler son café, le jeune acteur sourit, soulagé. Enfin, il n'a plus à se soucier de Yibo. Du moins, se soucier qu'il découvre son secret. Et mine de rien, ce poids était son plus grand soucis.
A l'entrée du studio, il perd vite sa joie. Des éclats de voix attirer son attention. Il s'arrête devant les portes et tourne la tête vers deux hommes, en train de chercher des ennuis a un plus jeune.
Et il n'est pas nécessaire de tendre l'oreille bien loin pour comprendre la raison de l'altercation.
— Espèce de merdeux.
— Laissez-moi tranquille, s'il vous plaît... supplie le stagiaire.
L'un des harceleurs envoie valser la masse de documents que le garçon avait entre les mains, puis éclate de rire. La victime contemple, épouvantée, le désastre de ses précieux documents, envolés partout autour de lui.
— Alors, tu crois qu'il va penser quoi Mr Guo ? sourit sournoisement l'un des gars.
— T'as cru que tu aurais la vie facile juste parce que tu as été pistonné par quelqu'un du milieu ? Un oméga comme toi a rien à foutre ici.
Les poings de Zhan se serrent, il lâche la poignée de la porte. Y aller ou ne pas y aller ?
Il ne peut rester insensible à ce harcèlement, impossible. De plus, sa position d'acteur principal lui permettrait de remettre les pendules à l'heure avec ces hommes sans s'attirer de problèmes. D'un autre côté, il serait mal avisé de tenter le diable dans sa situation actuelle, alors que son corps n'en fait qu'à sa tête.
— Tu vas dégager bien vite d'ici, gamin, lance un des agresseurs en crachant au visage du pauvre stagiaire.
Le garçon tremble de tous ses membres, essayant de retenir ses larmes pour ne pas se montrer faible.
— Oh, t'as vu ? Il va se mettre à pleurer !
— Mauviette d'oméga. Vous êtes tous pareils, renchérit le deuxième en le bousculant.
Le jeune se fait projeter au milieu de ses feuilles. Hors de lui, Zhan se dirige d'un pas vers eux.
— Tu vas voir si on est tous pareils...
Une main se referme sur son bras, et le stoppe net.
— Tu fais quoi là ? tonne Yibo.
Le regard de Zhan alterne entre les trois hommes et son collègue.
— Mais ils...
— Xiao Zhan !
Son rappel à l'ordre autoritaire décroche définitivement Zhan de la scène. Une agression devenue monnaie courante, banalisée dans ce pays, mais toujours aussi révoltante et difficile à vivre pour les victimes.
Le regard froncé de Yibo sur lui, Zhan laisse les plaintes du jeune garçon parvenir à ses oreilles. Un affreux sentiment d'impuissance lui retourne estomac.
Il baisse les yeux, mâchoire serrée, les cris de la victime lui perçant le cœur.
— Si tu n'avais pas été en chaleur et que je n'avais pas été indirectement concerné, tu aurais pu faire ce qui te chante. Mais là, prie surtout pour qu'en arrivant, personne ne te sente. Parce que ce mec-là, dans pas longtemps, ça pourrait bien être toi.
— Y'a pas à dire, tu es d'un soutien légendaire, Wang Yibo, pouffe Zhan en pénétrant dans le bâtiment.
Dès l'instant où ils croisent les premiers membres de l'équipe dans l'un des corridors ouverts, son expression maussade s'efface derrière un radieux sourire. Pour sa part, toujours aussi placide, Yibo le contemple s'extasier sur les gourmandises apportées par l'un de leurs collègues avec de grands gestes joyeux, empreints d'honnêteté. Même lui se perdrait à croire qu'il ne s'est rien passé, il y a tout juste trente secondes.
Il est fort. Ça, je ne peux pas le nier.
Les deux agresseurs – deux ingénieurs techniques – passent près du groupe. Leur conversation, vulgaire, retentit aux oreilles de tous. Yibo se crispe aussitôt, craignant que son collègue ne perde à nouveau son sang-froid.
— Non mais t'as vu son regard de chien battu, là... Pitoyable !
— Ha Ha ! Y avait même les couinements qui allaient avec !
Ils s'esclaffent en passant derrière Zhan. Celui-ci porte à cet instant précis une bouchée de gâteau à sa bouche, tout sourire.
— Ce soir, rendez-vous au Sanctuaire pour casser du fragile.
— Ouais, on va bien s'marrer, rétorque son complice.
— On finira ce petit con de stagiaire une prochaine fois.
Rivé sur son partenaire, Yibo appréhende sa réaction, mais rien ne se produit. Il reste bouche bée. Zhan ingurgite sa nourriture avec gourmandise, illuminé du même sourire.
Vraiment fort...
Attablé dans la salle d'étude du script, Yibo remarque l'absence prolongée de son collègue et décide d'aller le trouver aux toilettes, toujours aussi méfiant. La porte ouverte, il s'arrête net en l'entendant vomir. Après un moment sans bruit, Xiao Zhan se dirige vers l'évier pour se rafraîchir, les yeux larmoyants après l'effort.
Lorsqu'il s'aperçoit de la présence de Yibo, il se renferme aussitôt et reste muré dans son silence.
— Est-ce que...
— Ne dis rien. Par pitié, ne dis rien.
Yibo baisse la tête avec un air contrit tandis que Zhan essuie ses yeux, humides de haine. En le rejoignant à la porte, il le dévisage, lourd d'accusation.
— Ne me regarde pas comme ça, je n'ai jamais frappé d'oméga.
— Oh, non, c'est vrai. Tu allais juste détruire ma vie, dit-il en le foudroyant du regard. Tu es comme eux, à ta manière.
Yibo reste sans mot tandis que son partenaire pousse la porte. Dès qu'il se retrouve dehors, le visage de Zhan repeint sa joie. Toute trace de son profond mal-être littéralement envolée.
Face à la perfection de son masque, Yibo peine à y croire. Tout acteur doit relâcher la pression, personne n'est capable de tenir un rôle H24. Derrière les caméras, tous ont leurs petits caprices, des sautes d'humeurs qui leur sont propres, des émotions réelles ou un comportement naturel qui revient plus ou moins au galop. Agir de la sorte est à la limite de la folie.
Depuis combien de temps ce garçon porte-t-il un tel poids ? Depuis combien d'années prend-t-il sur lui au-delà de raison ?
A présent, pour Yibo, une chose est sûre : les omégas sont loin de tous mériter leur surnom dégradant de « fragiles ».
A l'heure du déjeuner, enfoncé dans son siège sous les rayons de soleil, Zhan porte ses écouteurs à ses oreilles pour se plonger hors de son masque quelques temps ; coupé du monde, en son for intérieur. Ces instants de silence où son double jeu d'acteur est mis en veille. Durant lesquels il peut se reposer, dans ses propres coulisses.
Bien entendu, toute paix a une fin. A un mètre de sa chaise pliante, deux hommes se mettent à humer l'air avec un air étrange. Zhan remonte rapidement le fermoir de sa veste Adidas jusqu'au menton et y rentre la tête en réflexe de protection. Il retire ensuite discrètement un écouteur sans décrocher son regard de son téléphone pour capter leur discussion.
— Si ! Je t'assure que ça vient de là. Ou peut-être d'ici...
L'homme tourne sur lui-même avant de se stopper, l'index brandi en direction de l'acteur. Celui-ci se garde bien de relever le menton. Les deux types le dévisagent, confus.
— T'es con de le viser comme ça... murmure l'autre. Nous attire pas d'ennuis.
— Me traite pas de con, abruti. Je te dis que ça vient de par là. Il y a un oméga ici et mes sens ne me trompent pas.
— Un oméga ? Y'a un oméga ici ?! lance un autre membre de l'équipe, interpellé par la discussion.
— C'est peut-être ce petit con de stagiaire.
— Non, il a pas cette odeur, s'entête le plus obstiné en se rapprochant dangereusement du concerné.
Paniqué, Zhan se pétrifie sur place. S'il bouge, il se fera remarquer davantage et peut-être même soupçonné de cacher quelque chose. Mais s'il reste ici sans rien faire...
— Ah ! Pardon, ça doit être moi !
La voix de Yibo... Il s'interpose entre l'accoudoir de la chaise de son partenaire et le fouineur.
— Wang Yibo ? C-comment est-ce que...
— Ah, c'est assez gênant à dire... grimace-t-il, en se reculant au maximum contre la chaise de son collègue pour masquer son odeur par la sienne. J'ai... fréquenté un oméga cette nuit et je crois que... enfin, vous voyez...
Les trois hommes restent ahuris, en même temps que Zhan contemple avec embarras les fesses de son cadet, à hauteur de sa joue gauche.
— Ha Ha ! Vous êtes du genre coquin, Wang Yibo !
Les ingénieurs s'esclaffent.
— Je ne vous pensais pas comme ça, c'est assez amusant !
— Je suis désolé, n'en tenez pas compte, s'il vous plaît, marmonne Yibo, atrocement gêné.
Rieurs, les trois repartent enfin à leurs tâches respectives. Tout danger s'écarte. A l'instant où Yibo se retourne vers lui, Zhan se fait tout petit sur son siège.
— Est-ce que tu crois que je suis ce genre de type ?
— Q-quel genre de type... ?
— Le genre qui se donne en spectacle et affiche sa vie intime !
Zhan déglutit, les lèvres pincées.
— Putain... Si jamais ma réputation en prend un coup dès les premiers mois à cause de toi...
— Mais non, ces gars sont juste des techniciens, ils n'oseront rien dire sur toi, ils ne veulent pas s'attirer d'ennuis.
— Mais toi, tu vas pas tarder à en avoir, des ennuis, crache Yibo en se retournant froidement.
Coupable, Zhan se lève et le rattrape par le bras.
— Attends !
— Lâche-moi...! A moins que tu ne veuilles relâcher encore plus de phéromones ?
A ce rappel, la main de Zhan se détache aussitôt. Le menton bas, il se frotte la nuque, contrit.
— Merci, Wang Yibo...
— Ne me remercie pas. J'ai dit que je ne le faisais pas pour toi. Mais si ça va trop loin...
— Ce soir. Ce soir, je m'en occupe...
Après un grognement rancunier, Yibo s'assoit de son côté pour entamer son déjeuner.
Il devrait le balancer, sans scrupules. Comme il l'a toujours été. Sa carrière est déjà une source de préoccupation considérable en elle-même sans pour autant devoir se rajouter un manque de concentration. Mais s'il dévoilait son secret, toute la production s'en verrait retardée. Voir même suspendue pour un temps indéterminé. Dans le pire des cas, annulée. Il est temps de prendre quelques dispositions au cas où il se verrait un jour entaché par les mensonges de cet homme.
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