Chapitre 37

— Yu Huang, je peux vous aider ? siffle Zhan avec une cordialité forcée.

— En fait, oui. Je voudrais m'entretenir avec vous quelques minutes, est-ce possible ?

— Ma voiture sera là dans cinq minutes, je dois être à l'aéroport dans une heure.

— Ce ne sera pas long, lui affirme l'homme avec une étrange douceur.

Dans le but de se montrer conciliant, et surtout de ne pas attirer d'ennuis à Yibo, Zhan retient un profond soupir et acquiesce. Son téléphone affiche une nouvelle notification.

 
Bo Di : Qu'est-ce qu'il veut encore ce putain de connard !? Écoute pas ses conneries !


Zhan secoue la tête, ennuyé. Se montrer courtois avec le chef styliste est la meilleure solution, les réactions de Yibo en sont la preuve. De toute manière, envoyer paître les gens ainsi n'est pas dans son caractère.

Résigné, il suit l'homme dans le couloir et celui-ci ouvre la porte d'un bureau de réunion désert. Une surprise pour l'acteur, qui a un mouvement de recul et fronce un sourcil suspicieux.

— Nous n'avons pas besoin de nous isoler ici, de plus, je vous ai dit que je n'avais que peu de temps, pourquoi voulez-vous...

— Je vous assure que vous ne souhaitez pas qu'on entende ce que j'ai à dire.

Cet avertissement laisse Zhan interdit. Il jette un œil anxieux aux alentours où quelques membres du personnel s'activent encore, puis se résout à pénétrer dans la pièce. La lumière artificielle grésille et s'allume, dévoilant la longue table en forme de cercle. Son estomac se noue dès l'instant où la porte se referme ; son visage n'en laisse pourtant rien paraître. Dans son rôle, sa voix calme et assurée ne trahit aucune de ses émotions.

— Bien, je vous écoute.

Le faciès de l'homme s'étire. Face à son expression rieuse, l'assurance factice de Zhan ne fait pas long feu. Toute sa crédibilité s'envole avant même que le moindre mot ne soit prononcé.

— Vos baskets Gucci.

Perplexe, Zhan bégaye.

— Mes... baskets... ?

— Vous portiez vos baskets Gucci, l'autre soir.

— L'autre soir...

— A l'hôtel. Dans les toilettes.

Les toilettes...

Le visage de Zhan se décompose. Les toilettes, les deux hommes, ses chaleurs fulgurantes. Ses doigts partent s'agripper au bord de la table contre laquelle il manque de flancher.

Sa réaction amuse beaucoup le chef d'équipe.

— Trahi par ses propres chaussures ! Vous auriez dû penser que c'est la première chose qu'on voit, sous une porte...

Incapable de produire le moindre son tant sa gorge est serrée, Zhan se liquéfie sur place, son regard livide rivé au sol ; il ne peut pas y croire. Son sang est aussi glacé que ses mains moites. Les membres tremblants, il lève lentement les yeux vers celui qui le dévisage avec une décontraction railleuse. Il voudrait articuler quelque chose, mais rien ne parvient à sortir.

— C'est malheureux, soupire Yu Huang. Honnêtement, si Wang Yibo ne m'avait pas sauté à la gorge, nous n'aurions jamais eu cette discussion.

Le souffle de Zhan se raccourcit. C'est à peine s'il respire encore.

— D'autant plus que vous êtes l'unique responsable. Ce sont vos chaleurs qui ont déclenché mon rut.

L'acteur ne peut cacher son étonnement.

— Quoi ? Ça vous surprend vraiment ? Ha ! Vous devez avoir une parfaite maîtrise des choses, d'habitude. D'ailleurs, une question m'obsède toujours... Wang Yibo est-il au courant de votre petit secret ?

Zhan déglutit. Réprimant toute émotion traîtresse, il baisse un regard coupable et secoue la tête avec une fausse moue honteuse. S'il peut au moins couvrir son amour, il le fera.

— Hmm... Ma foi, je n'y connais pas grand-chose en hommes omégas, mais vous devez être sacrément bon pour l'avoir berné à ce point. Si je ne vivais pas avec une manipulatrice, j'aurais douté que ce soit possible. Mais ma femme est la première à me jouer des tours pour éviter d'avoir à faire son devoir conjugal. Elle m'a appris à quel point les omégas sont lâches et fourbes, crache-t-il avec un rire jaune. Tous ces médicaments, ces injections, ces mensonges... Tout peut se cacher de nos jours. Et ces minettes au travail... l'une va démissionner et l'autre a été déplacée dans un autre service, aujourd'hui. Étrange, n'est-ce pas ?

Il lâche un pouffement sarcastique tout en haussant une lèvre, mauvais. Zhan réussit enfin à ouvrir la bouche.

— Je peux... j'ai de l'argent.

— De l'argent ? C'est un bon début. Mais je pensais plutôt à vous faire une autre proposition.

Aux pas lents qu'il fait en sa direction, Zhan comprend que l'avidité de cet homme n'est autre que celle qui les anime tous. Et cette fois, Yibo ne devra pas être impliqué, ou ce sont leurs deux vies qui voleront en éclat.

Il se presse contre la table et comprime les bords en bois à s'en blanchir les phalanges. L'homme retire sa casquette et libère ses cheveux noirs en bataille qui arrivent bientôt à hauteur de ceux de Zhan. Si près de lui, l'odeur de son rut l'imprègne de la tête aux pieds ; effluves immondes. Il tourne la tête, fuyant. Les yeux de Yu Huang s'attardent sur l'entrebâillement de sa chemise blanche.

— Je ne compte pas révéler votre véritable nature. Du moins, si vous ne m'en donnez aucune raison, cet argument ne rentre pas dans mes plans.

L'incompréhension se lit sur le visage de Zhan.

— Non, en fait, si vous n'acceptez pas ma demande, j'irai porter plainte contre Wang Yibo. Moi aussi, je suis un excellent manipulateur. Et avec tous ces témoins, quoi de plus facile ! La promotion du drama sera ruinée, la carrière de votre ami en sera impactée et les efforts fournis par tout le monde pour la bonne réussite de ce beau projet seront foutus en l'air. Vous savez très bien à quel point la première impression est importante, dans le milieu. Et si l'image d'un acteur principal est à ce point entachée par la violence, avec une poursuite en justice...

Révolté, Zhan fronce les sourcils. Il est évident que cet homme exagère, son unique but est de l'impressionner. Et bien entendu, si Yibo était là, il lui dirait de ne pas céder à ce chantage, qu'il serait le seul à être affecté par les retombées médiatiques et que toute cette affaire ne ferait pas long feu. A son inverse, il ferait tout son possible pour dédramatiser les conséquences. Mais le succès du drama et leur travail à tous subirait forcément les dégâts d'un conflit, surtout avec un passage en justice, cela ne fait aucun doute. Cet individu est connu pour être la pire des vipères.

— Je vois que vous vous interrogez. Vous n'êtes pas un garçon facile, contrairement à ce que le laisse paraître votre petit minois.

Zhan se crispe dès l'instant où la main de l'homme lui effleure la joue. Il recule la tête et le dévisage d'un air écœuré, frémissant d'amertume.

— Pourquoi tant de dégoût ? Mon corps vieilli de quarantenaire n'est pas à votre goût ? Je peux quand même me montrer persuasif...

Les molécules qu'il relâche pétrifient Zhan sur place. Une bouffée de chaleur libère ses inhibitions et son sang commence à s'échauffer en direction de son bas-ventre. Ses membres tétanisés se mettent à trembler et il doit se cramponner pour rester debout et ne pas s'écrouler.

— Allons, pourquoi en faire tout un plat ? Les jeunes passent tous « sous le bureau », un jour ou l'autre. Omégas, bêtas... même les beaux alphas ne dérogent pas à la règle. C'est le prix à payer dans le milieu de la réussite, Xiao Zhan, dit-il en approchant son nez de son cou. Ne me dites pas que vous n'avez encore jamais fait ce genre de deal à vingt-six ans...

Dents au-dehors, Zhan résiste contre les phéromones qui lui sont imposées. D'ici quelques secondes, il ne sera plus en état de se défendre. Son instinct de survie ne lui laisse que très peu de temps pour agir.

Ses mains s'interposent entre eux et il le repousse avec force. D'abord surpris, Yu Huang le fixe ensuite avec un regard qui se charge d'une dangereuse animosité.

— Je... je n'ai pas pris ma décision ! Laissez-moi... laissez-moi réfléchir !

Le maître-chanteur froisse un air sceptique.

— Vraiment ? Vous avez besoin d'y réfléchir ou bien de trouver un plan pour vous en sortir ? Ne me prenez pas pour un idiot, dit-il en s'avançant à nouveau.

Il désigne sa frustration dressée de ses deux index.

— Il est hors de question que je reparte comme ça.

— Je...

Sauveur tombé du ciel, le téléphone de Zhan se met à hurler dans sa poche. Il s'en empare et le plaque à son oreille. Soulagement sans égal.

— O-oui, j'arrive de suite ! Je suis dans le couloir F ! J-je descends !

Le chef d'équipe lâche un pouffement narquois et le regarde d'un œil bas.

— Sauvé par le gong, n'est-ce pas ?

Encore flagellant, Zhan se fait violence pour le contourner et marcher jusqu'à la porte. Une fois ouverte, l'air frais lui emplit les poumons ; le sentiment de délivrance est indescriptible.

— Nous restons en contact, Xiao Zhan...

L'ouverture de braguette qui suit soulève l'estomac de l'acteur. Les bruits poisseux qu'il entend dans son dos lui suffisent à comprendre que ce pervers commence déjà à se soulager. Sa révulsion lui fait aussitôt pousser des ailes.

Encore fébrile, il réussit à se traîner jusqu'à l'ascenseur de l'étage. Une fois seul dans la cabine, la pression retombe et ses forces l'abandonnent. Ses membres raidis se relâchent et il s'effondre le long de la paroi du fond. La descente de l'ascenseur est un long vertige.

— Xiao Zhan !?

Une voix affolée lui parvient en écho. Et bientôt, celles de plusieurs personnes, regroupées devant les portes.

Puis celle d'un garde du corps, enfin.

A moitié conscient, son corps se fait relever.

— Monsieur, répondez !

— Je vais bien... murmure-t-il en subissant sa fièvre. A la voiture, s'il vous plaît...

Un ultime effort devant le personnel qui observe la scène. Il doit le faire. Il doit se tenir debout. Le protecteur lui enfile un masque sur le nez tout en le soutenant sur son épaule tandis qu'un autre dépose sa veste noire sur ses épaules pour le couvrir. Les quelques mètres qui conduisent à la berline paraissent des kilomètres. A l'abri, il s'échoue sur la banquette, suivi de près par son premier gardien.

La tête ballant vers l'arrière, Zhan retire son masque et inspire profondément. Un frisson le fait trembler. Les grandes mains de Jun, l'homme à ses côtés, remontent sa veste sur son cou. Bienveillant, ce geste simple augmente néanmoins sa nervosité ; le moindre contact physique est un supplice.

— Monsieur, que s'est-il passé ?

— Comment vous sentez-vous ? s'enquiert l'autre, côté passager.

Épuisé, Zhan leur renvoie un regard voilé, mi-clos. Les molécules de cet alpha l'ont littéralement empoissonné.

Offrir son corps. Est-ce à ce point monnaie courante dans ce monde ? Est-il égoïste de vouloir se préserver au détriment de ceux qui sont ses collègues ou ses amis ? son âme-sœur ? Se donner à cet homme est une idée à laquelle il ne peut résigner. Non, pas un autre. Pas de cette manière. Pas encore. Ça ne peut pas se produire. Mâchoire serrée, il ferme les yeux ; la culpabilité les noie.

— Monsieur, doit-on contacter Monsieur Wang ?

— Non ! ... Non ! Surtout pas Yibo...

Il rouvre son regard embué sur ceux qui le dévisagent à présent d'une étrange façon. Les deux hommes échangent leur préoccupation du coin de l'œil puis lui renvoient un air compatissant.

— Monsieur, vous ne voulez vraiment pas parler... ?

L'acteur baisse la tête sur la bosse qui déforme encore son pantalon. L'humiliation lui empourpre les joues. Prostré par la honte, il presse une main sur son entre-jambe et marmonne quelques mots vacillants de larmes.

— Rien... Rien ne s'est rien passé... Il n'y a rien à dire...

Il remonte son masque pour couvrir les sanglots silencieux qui ruissellent sur ses joues.

— Je n'ai jamais rien à dire...

N/A

Mon wattpad bug pour changer, la publication ne s'est pas faite à l'heure pour votre dimanche, veuillez mexcuser. Prochaine lapidation pour Wattpad merci 🌹x)




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