Chapitre 14

Grâce à un léger surdosage ponctuel, Zhan peut profiter en toute tranquillité du dîner et de leur soirée en équipe. Il sait que cette entorse médicamenteuse ne se renouvellera pas de sitôt, mais il ne pouvait se permettre de refuser une nouvelle invitation, ce soir. L'entente entre collègues fait partie inhérente de son travail, et les réflexions des directeurs ne cessent de pleuvoir. S'il doit augmenter les risques sur sa santé de temps à autres, il se doit de le faire.

Les effets du surdosage commençant à se dissiper, Zhan fait comprendre à Yibo qu'il est temps pour lui de se retirer. Ainsi, après cette agréable soirée passée au karaoké, les deux garçons décident d'aller prendre un verre dans un bar, tous les deux. Comme deux simples amis – ou presque.

Dans la rue, ils échangent des regards complices. Certainement le souvenir de ces moments lorsque, chacun leur tour, ils prenaient le micro pour chanter et que leurs yeux se croisaient d'une manière bien singulière. Différente de tous les regards qu'ils avaient pu échanger jusqu'à présent. Car ce n'était plus qu'une simple rencontre visuelle, c'était tout un monde qui s'offrait soudain à eux. Tout un univers qui se dessinait autour d'un fil rouge invisible. Une galaxie aux nuances de velours qui leur était destinée à eux, et à eux seuls. Chatoyant sous l'éclat d'une émotion nouvelle. Un lien unique les unissait malgré la distance qui les séparait. Douce flamme de tendresse. Ils auraient pu continuer à se regarder ainsi toute la nuit, si seulement elle n'avait pas eu de fin. Juste se perdre l'un dans l'autre dans un instant hors du temps. Au-delà des jugements, des œillades curieuses qui pouvaient bien dévier sur eux. Au-delà de la Terre entière.

L'ambiance du bar lounge dans lequel ils pénètrent s'annonce chaleureuse. Malgré l'élégance des lieux, la clientèle est composée de gens lambdas, sans grande prétention. L'atmosphère parfaite pour se retrouver en toute simplicité.

Yibo laisse Zhan commander, trop occupé à le contempler derrière ses manières nonchalantes. Il pourrait passer des heures à le regarder. A l'admirer comme une œuvre d'art mystérieuse dont le sens demeure insaisissable. En cet instant, dans la contemplation de ce garçon aux traits angéliques, il trouve son bonheur.

Les deux acteurs baissent leurs masques afin de siroter quelques bières. Quelques futilités telles que les habitudes agaçantes de leurs collègues et ils partent rire comme deux vieux amis, éloignés depuis un temps interminable. Presque deux mois se sont écoulés sans qu'il n'y ait plus un seul réel échange entre eux, hors caméra. Le cœur de Zhan se réanime, quand celui de Yibo sort doucement de sa coquille.

—  Je reviens, signale Zhan.

—  Tu vas où ?

—  Toilettes.

—  Hm. Je sais que tu n'aimes pas te le faire rappeler mais, tes phéromones...

Zhan lève les yeux au ciel avec un balaiement de la main pour lui faire signe de l'accompagner.

—  Il va bien falloir finir par l'admettre, tu sais.

—  Je sais. Mais ça veut pas dire que j'en suis satisfait. Et puis, pourquoi est-ce que je ne pourrai pas me défendre seul ? Je suis plus grand que toi après tout.

—  Wow. Toutes mes excuses. De combien déjà ? Trois centimètres trois quart ? Ah non pardon, quatre centimètres exactement.

Zhan le gratifie d'un coup de coude arrière dans le ventre.

—  Tu peux râler tant que tu veux, tant que tu ne fais rien d'imprudent.

—  Bon, tu vas quand même pas m'accompagner à l'intérieur, si ? s'exclame Zhan en roulant des yeux. Je reviens.

Adossé contre un mur, Yibo s'égare dans ses pensées les plus confidentielles. Finalement, ce ne sont pas tant ses chaleurs qui sont difficiles à supporter ou à ignorer. Ce sont ses yeux de biches, pétillants de vie. Ce sourire radieux, plus lumineux qu'aucun astre. Ses éclats de rire chantants et sa voix mélodieuse. Son cœur est en émoi au moindre de ses gestes. Cet homme précieux l'a capturé par sa force fragile, plus brave qu'une centaine d'alphas réunis. Pour toutes ces raisons, dissimuler l'amour qu'il porte à cet être extraordinaire devient la tâche la plus pénible. Mais il se doit de garder secrète sa passion. Car pour rien au monde il ne désire le brusquer et voir ses bribes d'espoirs partir en fumée. Il attendra, le temps qu'il faudra.

 

Zhan s'apprête à refermer sa braguette, le masque toujours sur le nez, quand une main se referme sur son avant-bras. La voix rauque d'un inconnu vient souffler à son oreille.

—  Toi, j'te veux.

Le cœur de l'acteur bondit dans sa poitrine.

—  Eh ! Lâchez-moi ! lance-t-il en repoussant l'homme.

—  Qu'est-ce que tu racontes, tous les alphas du bar t'ont senti. Tu fais ta sainte ni touche, hein, c'est ça ton truc ?

—  Je ne suis pas là pour ça !

L'étranger éclate d'un rire gras avant de le plaquer contre un mur et de plonger sa main dans son caleçon.

—  C'est moi qui t'aurais le premier.

Bien qu'il tente de se défaire de son emprise, la carrure épaisse de son agresseur l'écrase de tout son poids contre le carrelage. Ses protestations sont vaines. Les mêmes codes de conduite que ses semblables coulent dans ses veines. Il n'est plus qu'un morceau de viande offert gracieusement à la disposition du premier venu. L'homme semble même surpris par l'énergie que Zhan gaspille en luttant contre ses assauts.

—  Oh ! Calme-toi un peu ou je t'en met une ! Tu fais partie de ces p'tites salopes d'omégas en chaleurs qui courent les rues pour se faire baiser, mais n'assument pas et font les victimes ensuite, hein ?

—  Putain, va chier !

Piqué au vif, l'agresseur lui assène un uppercut dans le ventre qui lui coupe le souffle et le laisse plié en deux.

—  Je déteste les putes dans ton genre.

Alors qu'il déboutonne son jean pour libérer son érection, la porte s'ouvre sur un autre alpha, éberlué par la scène.

—  Qu'est-ce que tu veux toi ? grogne le premier, fixé d'un œil lubrique par le nouveau. Fais pas chier et attends ton tour !

Profitant qu'il soit à moitié retourné, Zhan le bouscule pour s'enfuir. Malheureusement, le second ne manque pas l'occasion de voler sa place à son rival et le rattrape par les hanches, ignorant éperdument sa révolte. Il tend une main crispée vers la porte close, derrière laquelle son ami l'attend. Sa voix se perd, étouffée par la musique assourdissante. Noyée dans le vacarme ambiant.

Les minutes défilent, temps anormal. Yibo décide d'aller chercher son partenaire. Lorsqu'il pousse la porte des W.C, sa mâchoire se décroche. Devant lui, face contre le carrelage, Zhan est sur le point de se faire prendre par un homme tandis qu'un autre le maintient fermement plaqué au mur. Son sang ne fait qu'un tour. Il se rue sur le premier à l'envie saillante et le projette au sol avant d'envoyer son poing dans la figure du deuxième.

—  Barrez-vous !!

—  Putain, tu fais la queue comme tout le monde, connard !

—  La queue... Putain, je vais vous tuer. Lui, vous le touchez pas ! C'est clair ?!

Le premier se relève, les pupilles toujours dilatées par le désir, et la frustration bouillonnant dans les veines. Yibo vient rhabiller Zhan, encore tremblant, tandis que l'autre alpha, dissuadé par son violent crochet, disparaît sans demander son reste.

—  Zhan... ?

—  Mon pote, c'est quoi ton problème ?!

—  Toi, gros porc. Si tu te casses pas, je te jure que je t'explose la gueule contre ce foutu urinoir jusqu'à ce que tu te noies dans la pisse.

—  Aiyo... O.K, O.K, se résigne l'autre. Vas-y, passe en premier...

—  Bordel ! Y'a pas à choisir lequel passe en premier ! Lui, il est pas à prendre !

—  Eh, mon pote, ce type, il est pas marqué.

Zhan se glisse dans le dos de son gardien et ferme les yeux, priant pour que le cauchemar s'arrête. C'est donc ce genre de choses que subissent ses congénères s'ils se risquent à aller dans des endroits trop fréquentés ou sortent seuls durant leurs périodes... Yibo avait raison. Il était dans le déni total.

—  Et pourtant, il n'est pas à prendre, articule le jeune alpha entre ses dents serrées.

—  ... Oh, je vois ! C'est le tien...

Un instant interdit, Yibo finit par prononcer avec assurance des paroles qui laissent Zhan stupéfait.

—  Oui. C'est le mien.

—  Hmm... O.K. Alors, ne tente pas le diable et ne tarde pas avant de le marquer. Enfin, moi j'suis respectueux comme gars, mais la plupart, marquage ou pas, y s'gênent pas.

Tout en remontant sa braguette avec peine, l'agresseur lâche un sifflement blasé entre ses dents.

—  C'est pas correct de laisser les gens frustrés à ce point... Bordel, ces jeunes, ils s'foutent vraiment de tout.

Avant de disparaître derrière la porte, l'homme jette une œillade vicieuse à l'acteur qui le fuit aussitôt du regard.

Une fois seuls, les deux garçons abaissent leurs masques pour souffler et Yibo se retourne vers Zhan pour le prendre dans ses bras. Encore tendu, ce dernier a un mouvement de recul et remet bien vite de la distance entre leurs deux corps.

—  Il... ne faut pas.

—  Pourquoi ?

—  Tu vas... être comme...

Bien qu'il soit affecté par le fait de se faire toujours considérer comme un prédateur potentiel, Yibo lui renvoie un sourire rassurant. Subir ce genre d'assauts ne peut pas encourager la confiance en un autre homme.

—  Zhan, il y a une chose beaucoup plus forte que le sexe désormais qui me retiendra de te blesser. 

Mais ce n'est pas le moment de te le révéler.

—  J'ai fait mes preuves, tu t'en souviens ?

Zhan se mord la lèvre, en proie au conflit. Dès lors que son ami se rapproche de lui, il ne fait plus qu'un avec le mur.

—  S'il te plaît, n'oublie pas qui je suis... murmure Yibo en l'emprisonnant dans ses bras.

Contre lui, Zhan reste pétrifié durant de longs instants avant d'arriver enfin à se décrisper. Ses mains finissent par glisser dans son dos et, la tension redescendue, de chaudes larmes déferlent sur ses joues.

—  Je te raccompagne chez toi. A moins que tu veuilles toujours venir chez moi...

—  Non. J'ai besoin d'être seul... besoin d'être chez moi.

—  Je m'en doutais, le rassure Yibo. Mais sache que la proposition tiendra toujours.

 

Avant de le quitter, Yibo l'enlace affectueusement.

—  Si tu as besoin de quoique ce soit, n'hésite pas.

— Merci.

—  Non... surtout, ne me remercie pas.

Pourquoi le remercier ? Ce soir, il a bien trop honte d'appartenir à cette classe d'hommes – criminels.

Il disparaît dans le couloir après un dernier coup d'œil bienveillant, puis Zhan referme la porte et se laisse glisser contre elle, recroquevillé sur lui-même. Le besoin d'évacuer la pression de son humiliation se fait sentir. Cette soirée avait pourtant si bien commencé... A croire que dans ce monde, chaque moment de bonheur doit être châtié par la suite. Du moins, pour ceux qui ne sont pas nés privilégiés.

Lorsque la porte se met à bouger, il sursaute et bascule sur le côté. Serait-ce Yibo qui reviendrait pour une raison inconnue ? Son souffle se coupe en découvrant l'intrus dans l'encadrement.

—  J-Jin ?! Qu'est-ce que...

—  Surpris de me voir, Chaton ?

L'estomac de l'acteur se retourne. Un affreux pressentiment le saisit. Ses yeux se braquent sur son téléphone, glissé au sol. Mais dès que sa main fond dessus, Jin l'attrape par le bras et le lui arrache.

—  Qu'est-ce que t'allais faire, hein ? Appeler ton nouveau petit copain ? C'était lui ta raison de plus me voir ? C'est pour ça que tu m'as dit qu'on se voyait pas, c'est ça ?

Jin entre dans une fureur noire. L'idée que l'homme de ses rêves ait pu se détacher de son emprise alors qu'il avait enfin réussi à le récupérer est intolérable. Ce n'était pas à lui de le quitter pour la deuxième fois, pas à lui de le faire souffrir à nouveau. Haineux, il projette au sol le téléphone de Zhan et le brise en mille morceaux.

Ce type. Wang Yibo. Ce foutu chanteur de boys band, bien trop jeune. Il est celui qui l'a remplacé. Il devait se douter que son ex chercherait à rester dans les sphères de la célébrité. Lui, ne sera jamais assez bien. Il jette un regard noir à Zhan, assis au sol, effrayé. Avant qu'il ne puisse émettre le moindre son, il se jette sur lui et enserre ses mains autour de son cou.

—  A-arrête... !

—  Deux fois, Xiao Zhan. C'est la deuxième fois que tu me jette. Sans aucun scrupule. Et tu penses que je vais encore fermer ma gueule ?

—  Je... comprends pas... articule l'oméga en s'agrippant à ses mains puissantes.

—  Tu comprends pas ? Ha Ha ! Putain, tu me fous encore plus la haine quand tu dis ça... grogne-t-il en resserrant ses doigts.

Les yeux de Zhan se ferment, les larmes perlent en leur coin. Forcé de relâcher sa prise, Jin finit par libérer son cou. L'acteur caresse son cou endolori, le souffle court.

—  Je ne perdrai pas mon temps à te fournir des explications que tu ne comprendras pas et qui ne t'intéressent pas, puisque tu te fous éperdument de moi. Donc, puisque tu m'as trahi une nouvelle fois, c'est moi qui vais te détruire.

—  Tu... tu vas me tuer ? s'horrifie Zhan.

—  Ha Ha ! Te tuer ? Pour être sûr d'aller en taule pour avoir assassiné l'adorable Xiao Zhan aimé de tous ? Je ne suis pas aussi stupide, Chaton, sourit-il. Non. Je vais faire mieux. Je vais t'abandonner à ton propre sort, t'humilier, tout comme tu l'as fait pour moi. Te rabaisser au rang auquel tu m'as rabaissé, il y a huit ans.

Sans même avoir le temps de se faire entendre, Zhan se retrouve traîné au sol par une cheville jusqu'au centre de son salon. Dès l'instant où son ex se jette sur lui pour arracher ses vêtements, il comprend. La panique lui retourne les entrailles.

—  Arrête !

—  Sinon quoi ? Tu vas prévenir les flics ? pouffe-t-il. Je vais t'apprendre où est ta place. Celle que tu mérites, tout comme tes semblables. Fini le petit oméga fragile qui se fait passer pour un dominant. Tu vas goûter à la véritable brutalité d'un alpha. Cette fois, je vais te donner des raisons de te plaindre.

Les bras croisés dans le dos, écrasé à plat ventre sur le sol froid, Zhan se débat tant bien que mal en hurlant, jusqu'à ce que son ex commence à le frapper pour le soumettre.

—  Je continuerai à te punir jusqu'à ce que tu sois devenu obéissant.

—  Je t'en prie, arrête... !

Sa victime dévêtue, Jin libère son arme et dérobe son intimité. Un cri de souffrance résonne dans tout l'appartement. La violence se déchaîne, implacable.

—  Voilà ta place. Tu ne seras jamais un alpha. Tu es et tu resteras toujours un oméga fragile. Un putain d'oméga fragile et soumis.

Le désespoir perle sur les joues de Zhan. A travers ses larmes, il supplie le ciel pour que tout cela ne soit qu'une atroce illusion. La douleur va bien au-delà de son corps meurtri. Elle s'immisce dans son cœur pour le broyer, le réduire en cendres tout comme son esprit rebelle se fait museler. Par les coups de reins destructeurs, sa volonté s'éteint elle aussi. Brisée. Anéantie. Il ferme les yeux. Dans l'attente de la fin ; cauchemar éveillé.

Jin enfouit sa tête dans son cou pour laisser les empreintes violacées de ses suçons.

—  Je vais rester en toi pendant un temps interminable et cette fois, tu ne pourras pas t'échapper. Imprègne en toi le fait que tu m'appartiens.

—  Je n'appartiens... à personne...

—  A partir de partir, si. Tu m'appartiens, Xiao Zhan.

Il ouvre la bouche, ses canines se plantent dans son cou. Zhan poussant un hurlement étranglé.

—  Aux yeux de tous, maintenant... murmure Jin en léchant ses lèvres colorées.

Littéralement sous le choc, l'acteur reste pétrifié. Ses coups de hanches le secouent tel une poupée de chiffon, mais il reste de marbre. Décorporé de son enveloppe charnelle, souillée.

Marqué. Il l'a marqué.

Une nausée lui soulève le cœur. C'est impossible. Tout cela ne peut pas être réel. Ses supplications se perdent vers les cieux, sourds à ses prières. Son âme s'éteint.

Une fois lassé, Jin remonte sa braguette et se relève. Depuis la porte, il jette son dédain sur sa victime, gisant encore au sol à moitié consciente.

—  Essaye de te remettre de ça.







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