Chapitre 13
Les jours s'enchaînent, rapides et longs à la fois. Les soirée défilent, routine déviée, sournoise. Les répercutions sont lourdes pour Zhan. Une nouvelle résignation s'installe, visible dans chacun de ses gestes, hors caméra. Et ce changement de comportement est loin de passer inaperçu auprès de son partenaire qui décrypte toujours aussi bien les émotions sur son visage.
Chaque jour, Yibo redécouvre son regard terne, teinté d'un épuisement bien différent de celui dont il souffrait, avant de commencer à re-fréquenter son ex. Cet état de renoncement est le total opposé du Xiao Zhan qu'il connaissait, courageux et positif. Ce silence-là est douloureux. Même lorsqu'il lui lance une pique ou un regard accusateur, Zhan ne réagit plus. Comme s'il avait perdu en chemin toute l'impétueuse énergie partagée avec Wei Wuxian. L'homme indompté qu'il était il y a quelques semaines encore n'existe plus. Le contraste est affligeant. Une part de lui s'est éteinte.
Pour comprendre ce qui se trame derrière cette nocivité, il décide de changer de méthode. Malgré son amertume, son état l'affecte plus qu'il ne l'imaginait – quoiqu'il en dise. Il s'est attaché à cet homme, il ne peut plus le nier. Et il accepte, à présent, de ne pas pouvoir lutter contre.
Tandis qu'ils patientent tous deux dans l'eau froide pour la scène de la grotte, Yibo fixe son collègue avec attention. Il relève ses manches trempées et l'éclabousse. Zhan lui jette un regard froncé en voyant les gouttes atterrir sur son script ,mais ne semble pas plus secoué que cela. Aux grands remèdes les grands moyens. Yibo imbibe à nouveau ses manches.
— Arrête, mes pages vont être mouillées.
— Je continuerai jusqu'à ce que je sois satisfait.
— De quoi ?
De nouvelles gouttes asperge la longue perruque de Zhan.
— Eh, qu'est-ce que tu veux ?
— Que tu sois toi.
— Que... quoi ?
Lorsque l'eau éclabousse son visage, la mâchoire de Zhan se décroche. Il plisse un regard accusateur sur son cadet et celui-ci le provoque d'un air hautain.
— Wei Wuxian !
Les yeux de Zhan s'écarquillent. Est-il vraiment en train de le taquiner ?
Sur une impulsion, il anticipe son prochain mouvement et décide de lui renvoyer la pareille à coup d'eau.
— Lan Zhan !
La douce nostalgie de ces mots les touchent tous les deux. Une fine joie se dessine sur les lèvres de Yibo. Zhan redécouvre alors cet adorable sourire enfantin, presque effacé de sa mémoire. Comment a-t-il pu l'oublier ? Son cœur se réchauffe d'une peine suave. Comme s'ils ne s'étaient pas retrouvés depuis bien longtemps, ils se fixent durant un long moment, coupé du monde. Toute rancune a disparu, loin derrière eux. Car rattrapée par des sentiments bien plus profonds. Absorbés l'un dans l'autre, leurs sourires s'adoucissent pour prononcer un silence plus parlant que mille mots.
Tu me manques.
Yibo s'éclaircit la voix, la lèvre mordue. Regrettera-t-il ce qu'il s'apprête à dire ?
— Est-ce que... tu serais libre ce soir ?
— Tu... tu parles d'après la soirée avec l'équipe ?
— Oui. On pourrait profiter du fait que le planning soit tranquille demain matin pour se retrouver au calme. Enfin, je veux dire...
— J'aimerais beaucoup.
Yibo ouvre de grands yeux surpris ; sa joie est impossible à cacher. Toutefois, cette réponse ne sonne pas comme une réelle confirmation.
— Mais ?
Les lèvres de Zhan se froissent. Il tourne la tête, fuyant. Yibo comprend. La réponse à ce mais est évidente.
— Mais tu le vois.
— ... Comme tous les soirs.
— Si tu tiens à ce qu'on se retrouve, tu peux annuler au moins pour ce soir, non ?
Si seulement c'était si simple, il le ferait à coup sûr – ou pas ? A vrai dire, aujourd'hui, il ne sait plus vraiment ce que le vrai lui ferait. Il n'endosse plus qu'un seul rôle depuis quelques temps, celui de Wei Wuxian. Le masque de Xiao Zhan n'est plus qu'un rictus fade qui ne trompe plus personne. Fort heureusement, chacun ayant ses soucis, l'équipe ne s'en préoccupe pas, bien qu'en ce qui le concerne, ses ennuis sont bien plus préoccupants qu'une contrariété du quotidien. Même ses chaleurs interminables sont passées au second plan, depuis quelques temps. Tout comme l'homme qu'il était. Celui qui maîtrisait sa vie et qui s'est égaré, dans le vice.
— Jin ! Tu me fais mal ! Arrête !
— Mais j'y suis presque !
— Non ! Je ne veux plus !
Au bord de la jouissance, Jin pose un regard ahuri sur son amant qui lui retire subitement son corps.
— Putain, tu fais quoi là ?!
— Je t'ai dit d'être moins brutal et tu ne m'écoutes pas ! C'est à peine si tu entends ma voix !
— Ha ! Crois-moi que je l'entends ta voix, quand tu prends ton pied. Tout comme les voisins d'ailleurs.
La colère de l'acteur laisse place à une gêne extrême.
— Ce n'est pas parce que je jouis que j'aime forcément ta façon de faire.
— Ah ! Donc maintenant je fais mal les choses... très bien.
— Ce n'est pas ce que j'ai dit...
— Si, si, j'ai compris. Le Jin qui te donne le bain, te fais des papouilles dans les cheveux, t'embrasse tendrement et te pénètre avec douceur, c'est ça le Jin que tu veux. En fait, c'est moi qui devrais tenir le rôle de l'oméga soumis.
Sans mots, Zhan se retrouve bouche bée. Comment se fait-il qu'il n'arrive jamais à se faire comprendre de son partenaire ? Pourquoi, lorsqu'il est en souffrance, a-t-il toujours cette impression de devoir marcher sur des œufs, au risque de le blesser ou le vexer ? Pour quelles maudites raisons les choses ne peuvent-elles pas être simples ? La peur de perdre sa sécurité, perdre le seul être sur cette terre à connaître le vrai Xiao Zhan, l'apprécier tel qu'il est véritablement. Il ne peut se détacher de cet homme. Que deviendrait-il sans lui, dans sa situation ? Le lien de leur première histoire, ainsi que cette crainte irrationnelle de le perdre, sont devenues un enchevêtrement de sentiments. Un tourment bien plus pénible qu'il ne l'aurait imaginé.
— Je n'ai jamais dit tout ça, soupire Zhan. Simplement que...
— Que je sois un gentil petit homme qui te cajole, et pas un alpha. Mais tu sais quoi, Xiao Zhan, je vais t'apprendre quelque chose : je suis un alpha. Et les alphas sont ainsi faits. Si toi tu as tes chaleurs, tu as également déclenché mon rut. J'en ai marre que tu essayes de me contrôler, de me façonner à ta guise sans te préoccuper de ce que je ressens.
— Mais... mais pas du tout, je me préoccupe de ce que tu ressens, Jin... !
— Non, tu essayes de me changer, de me faire ressembler à ce que tu voudrais que je sois. Pardonne-moi, je n'ai jamais su te satisfaire, se désole l'ex en se détournant, accablé.
Coupable, Zhan cueille son visage entre ses mains et plonge dans ses prunelles brillantes.
— Non, c'est moi qui m'excuse. Je ne souhaite pas te changer, Jin. Du moins, ce n'était pas mon intention. Je... je te laisserai faire, soupire-t-il en baissant les yeux.
L'alpha retrouve son sourire.
— Et moi, je ferai au mieux pour contrôler mieux mes pulsions, Chaton. Mais tu sais, j'essaye déjà de le faire...
— Je sais...
En vérité, non. Il n'en sait rien. Il suppose juste que jusqu'à présent, son ex ne lui aurait jamais fait de mal de manière intentionnelle. Pourquoi le voudrait-il ? Il n'a jamais lu aucune sorte de malveillance dans son regard. Ni dans son attitude, d'ailleurs. Ce sont des maladresses qui le heurtent, des gestes involontaires. Après tout, aucune relation n'est parfaite, il entend bien tout le monde le dire. Il ne doit pas tout gâcher pour « si peu », pour des exagérations injustifiée dues à ses état d'âmes, selon Jin. Sous le joug d'accusations subtiles, ses peurs s'assurent ensuite d'enchaîner sa « décision » de s'adapter à son partenaire. En toutes circonstances. S'adapter pour toujours mieux s'écraser ; s'oublier.
— Chaton, viens-là, murmure Jin en ouvrant ses bras.
Blotti contre son torse chaud, Zhan s'abandonne à son amant qui lui offre, pour cette fois, un peu de douceur. Douceur fielleuse et déguisée, pour une meilleure emprise. Pour piéger sa confiance entre les doigts experts d'une manipulation parfaitement aiguisée.
— Zhan ? s'inquiète Yibo en agitant sa main mouillée devant sa figure.
— O-oui, pardon...
— Dis-moi pourquoi tu ne veux pas reporter ? C'est bien toi qui décides dans l'histoire, non ?
Lui qui décide ? Oui, c'est vrai. Il décidait, au début. Mais décider de quoi exactement ? Il ne s'en souvient même plus. Aujourd'hui, tout est si flou. Il s'est enlisé sans s'en apercevoir. Ses peurs, les sables mouvants de sa perdition, et Jin, la raison de s'y noyer. Et d'y rester, de lui-même. Il choisissait encore lorsqu'il n'était pas encore prisonnier, qu'il avait toujours une entière confiance en son ex et que son estime de lui était encore intacte. Lorsqu'il n'était pas engourdi par la résilience. Si les choses en sont là où elles en sont aujourd'hui, c'est en grande partie par sa faute. Après tout, Jin, lui, n'avait rien demandé. Et malgré ses torts, il fait toujours ce qu'il peut pour se rattraper. Alors, pour quelles raisons se sent-il si mal ? Pourquoi a-t-il envie de pleurer chaque matin, devant son propre reflet ? Pourquoi a-t-il le ventre noué dès qu'il s'en va retrouver son ex ?
— Zhan, est-ce que je peux être franc, même si ça ne va pas te plaire ?
— Oui...
La mollesse de sa réponse surprend à peine Yibo.
— Tu ressembles à l'un de ces omégas soumis.
Ces mots ont l'effet d'une gifle. Zhan lève un regard choqué sur son partenaire. Mais en plongeant dans l'empathie de son regard chagrin, la gifle se transforme en poignard. Les larmes lui montent aux joues, étincelantes d'une criante lueur de désespoir.
Soumis. Lui, Xiao Zhan. Après avoir passé dix ans à lutter, à droguer son corps, à se battre contre lui-même, subir l'angoisse au quotidien... Avoir vécu dans le faux, chaque jour qui passe depuis bientôt dix ans... Et c'est ainsi qu'il se retrouve, à présent, soumis à un homme. Et ce, de son plein grès.
L'eau paraît soudain plus froide que jamais. Un vertige le fait tanguer.
— Eh, ça va ? Zhan, je suis désolé...
Incapable de prononcer le moindre mot, l'acteur se laisse toucher par la bienveillance de ce garçon qu'il aurait voulu avoir comme ami. Comme soutien. Fidèle confident. Et dans un autre monde, sûrement comme son égal. Et qui sait, peut-être même plus... ? Mais à défaut d'être ce plus dans la réalité, peut-être n'est-il pas trop tard pour devenir vrais amis...
— Ce soir, on passera un moment ensemble.
— Et ton ex ?
La gorge de Zhan se serre. La dernière fois qu'il a refusé de le voir, il y a trois jours, à cause ses nerfs à vif, c'est Jin qui s'est rendu à son domicile. Et ce souvenir a encore un goût de cendres dans sa bouche.
— Ouvre cette porte ! Xiao Zhan !
L'appelé sursaute en entendant sa porte d'entrée vrombir. Il sort de sa salle de bain, enfile un kimono de soie noire pour cacher sa nudité et se dirige vers la porte à pas de loup.
— Je sais que tu es là, Zhan. Ouvre-moi, s'il te plaît, je veux juste discuter...
— On a déjà assez discuté, Jin. Et tu l'as dit toi-même, on n'est pas ensemble pour ça.
Un silence se fait durant quelques instants derrière la cloison, le temps que Jin réalise les mots qui viennent de sortir inconsciemment de la bouche de son ex. « Ensemble ». Un sourire victorieux illumine son visage en même temps qu'il tente de tasser la colère qui monte en lui.
Il inspire un bon coup avant de reprendre d'une voix calme.
— Écoute, tu as besoin de moi et tu le sais. Qu'est-ce que tu vas faire ? Retourner boire pour oublier ta vie ? Coucher avec d'autres sales types de club en te droguant ? Je suis le seul qui te convient. Nous le savons tous les deux.
Jin poursuit avant même que son amant n'ait le temps d'ouvrir la bouche pour contester.
— Et tu es le seul que j'ai envie de toucher.
Zhan reste bouche bée durant le long silence qui suit. La confusion, encore. A nouveau, sa rancœur se fait étouffer par ces sentiments étranges que son ex arrive toujours à provoquer en lui ; indiscernables, incontrôlables. Et la même finalité survient : un désir de passer outre, encore une fois. Pour la énième fois.
— Bien, puisque tu ne veux plus de moi, je ne vais pas te forcer ni te courir après. Je te souhaite de trouver l'alpha qui te traitera mieux que moi, s'écrie le manipulateur en s'éloignant.
Rattrapé par les sables mouvants de ses peurs, Zhan se rue sur la porte.
— Attends !
Le trentenaire se retourne lentement en mordant le début de sourire qui naît au coin de sa bouche.
— Oui ?
— Je suis à bout, Jin. Moralement, je suis épuisé. J'ai l'impression que...
Jin se rapproche et glisse ses doigts entre les siens.
— Et moi, est-ce que tu es conscient du mal que tu me fais, Xiao Zhan ? soupire-t-il, affligé. Je prends tellement sur moi pour te satisfaire... Je voudrais t'offrir tant de choses...
Les lèvres entrouvertes, prêt à se perdre dans les mêmes vaines explications, Zhan referme finalement la bouche, tout espoir de se faire entendre envolé, pour ne pas changer.
La victime... Qui est la victime de l'histoire ? Plus rien n'a de sens. Tout ce qu'il ressent est la profonde lassitude de sans cesse devoir tout analyser, en vain. Il baisse les yeux, laissant ainsi la parole à son alpha aux doux yeux de biches. Et, comme une rengaine amère répétée en boucle, Jin scelle leurs lèvres dans un nouveau baiser de réconciliation dont lui seul apprécie la saveur. Puis, ses mains viennent glisser aux creux des reins de son oméga, pour ainsi dire redevenu sien. Encore.
— Jin...
La faible résistance de l'acteur s'éteint progressivement sous le joug de son poison, déjà infiltré en lui. Puis, ses caresses brûlantes achèvent d'endormir tout désir de lutte. La porte finit par se refermer, annonce immanquable d'un refrain nocif appris sur le bout des doigts. Alors, son esprit se met à nouveau sur pause, dans l'attente de la fin, tandis que son cœur se recroqueville toujours plus dans son suave cocon de souffrance.
Il doit reprendre le contrôle. Stopper ce manège malsain. Cette relation l'a dévié de sa trajectoire et par-dessus tout, de l'homme qu'il était.
— Je pense que... je vais déménager.
— Vraiment ? C'est le Dôme qui te pousse à...
— Non. Mon ex.
Yibo pose un regard étonné sur son collègue, toujours égaré dans l'eau trouble.
— Ton ex ? Zhan, que se passe-t-il réellement avec lui... gronde-t-il.
— Ce soir, si je ne le vois pas... je préfère ne pas rentrer chez moi.
En prononçant ces mots, son estomac se noue. Il vient déjà de poser un pied dans une zone inconfortable et méconnue. Et il lui faut se faire violence pour s'empêcher de changer d'avis.
— Tu sais, tu peux dormir chez moi si besoin.
Le poids qui pèse sur les épaules de Zhan se ressent dans son long soupir.
— Je suis si fatigué, Yibo...
— Ma porte sera toujours ouverte.
Zhan le dévisage, perplexe.
— Pourquoi est-ce que tu me proposes à nouveau ton aide ? Je pensais que...
— Ne cherche pas à comprendre, réplique Yibo plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.
Malgré sa froideur, Zhan lui adresse un doux sourire. A vrai dire, il n'a plus vraiment la force ni l'envie de se perdre dans un combat d'égos. Ce soir, il prendra le tournant nécessaire pour réorienter sa vie dans la bonne direction. Bien que ces clubs soient remplis d'hommes répugnants, il préfère reprendre le contrôle. Se battre, il connaît. Affronter de douloureuses épreuves et gérer le stress, il a appris à faire. Il a toujours eu le contrôle sur sa vie, toujours été indépendant. Les embûches, il les prenait à bras le corps. Le vrai Xiao Zhan préfèrera toujours le rude combat de sa vie à une mort lente et empoisonnée.
Après sa douche, Jin s'empare de son smartphone pour regarder l'heure. Vingt-deux heures. Son ex ne va sûrement pas tarder à arriver. Il en trépignerait presque d'impatience. Une notification vient éclairer l'écran, son sourire s'envole aussitôt.
XZ : Je ne viendrai pas ce soir. Je te dirai quand on pourra se revoir. Pour l'instant j'ai besoin d'une pause. Passe une bonne soirée.
L'alpha sort littéralement de ses gonds. Il se retient de projeter son téléphone au sol. Les poings serrés, il ferme les yeux. Les choses ne peuvent pas lui échapper. Il ne le laissera pas reprendre le contrôle sur la situation. Il s'empare d'un long blouson sombre à capuche puis claque la porte de chez lui.
— Si tu crois que je vais te laisser prendre le large... Non, pas cette fois. C'est moi qui aurai le dernier mot.
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