Chapitre 1

Pour certains, la vie est un long fleuve tranquille. De fins pavés d'or ornés de privilèges et de rêves de grandeur. Un chemin destiné à une élite répartie injustement parmi les hommes.

Alors, lorsqu'on ne fait pas partie de cette élite, lorsqu'on a un corps naturellement doté de tout ce qui peut nous éloigner de la vie que l'on rêve de mener, que doit-on faire ? Dans quelle case doit-on ranger les êtres supposés rentrer dans le moule des hommes soumis et obéissants et qui, pourtant, refusent d'embrasser un autre destin que celui de leur cœur ?

Devant l'obligation de survivre dans un monde qui tente de vous écraser et de vous soumettre à sa domination, certains n'ont pas d'autres choix que d'aller à contre-courant ; envers et contre tout. Quoiqu'il en coûte. Parce que rien n'est pire que de vivre l'unique vie que l'on a dans le déni. Voir réduire à néant ce que l'on est réellement.

On a qu'une vie, une seule.


Une mèche se balance devant les prunelles maronnées de Zhan, voilées par la fatigue. Incapable de se concentrer sur son document, l'acteur finit par laisser son regard dériver à travers la vitre de la berline.

Chaque nouvelle personne qu'il rencontre, quelle qu'elle soit, est toujours un potentiel danger pour lui. Sa profession est déjà éprouvante en elle-même. Et ce nouveau partenaire alpha qui va briller à ses côtés sous le feu des projecteurs est un nouveau risque pour sa couverture.

Wang Yibo.

Lors de cette émission, leur première entrevue lui avait déjà laissé un sentiment de profond malaise, à la limite d'un accès de fièvre. D'un autre côté, dès que ses yeux s'étaient posés sur lui, il avait été captivé, et ce, malgré l'aura glaciale qui se dégageait de ce garçon, aussi froid qu'un glacier. Il n'avait jamais rencontré quelqu'un tel que lui, auparavant. A ce simple souvenir, un pressentiment lui noue l'estomac.

Si Wang Yibo était amené à découvrir sa vraie nature malgré les différents traitements qu'il prend depuis plus de dix ans, sa belle carrière serait anéantie en quelques heures. Finalité inenvisageable.

Après tous ces sacrifices, ces risques pour sa santé en ingérant depuis des années les susbtances les plus puissantes, il ne tolèrera pas qu'un petit jeune ruine sa carrière. Il s'est bien trop acharné pour imposer sa place. De plus, ce rôle sera peut-être celui de sa vie, qui sait : Xiao Zhan, acteur connu dans le monde entier, admiré pour son talent.

Il hausse un sourcil rêveur. Une chose est sûre, il a réussi à berner son monde jusque-là et a rencontré les meilleurs producteurs chinois sans éveiller aucun soupçon sur sa véritable nature. Alors, ce n'est pas un gamin de la vingtaine qui va venir tout fiche en l'air. Comment le pourrait-il de toute manière, du haut de son jeune âge, si ses aînés eux-mêmes n'en ont été capables ?

Non. Vraiment, cela n'arrivera jamais.

 — Nous sommes arrivés, Monsieur.

— Oh, déjà... Merci.

Il plonge la main dans son cardigan pour en ressortir une petite boîte de médicaments qu'il fixe avec attention. Doit-il prendre un autre comprimé, par précaution ?
Une longue hésitation, puis le jeune homme en avale un nouveau. Pour le premier jour, il préfère choisir une potentielle surdose. Prudence est mère de sûreté.

    

Pris dans les présentations avec l'équipe, Zhan en oublie presque ses inquiétudes et se détend enfin. L'ambiance est assez tendue, en ce premier jour, mais cette histoire d'alpha lui sort momentanément de la tête. Pause de courte durée, cependant.

Dès qu'il croise le regard de son partenaire, il décroche de sa discussion actuelle. Naturellement, Wang Yibo se dirige vers lui et Zhan fait de même ; du moins, il oblige ses jambes à s'animer. Cette fois, en le retrouvant, la première impression qu'il avait eue il y a deux ans se confirme bel et bien.

D'un regard aussi glacial que humble face à son aîné, Yibo s'incline devant lui avec déférence.

— Je suis vraiment honoré de partager cette expérience avec toi, Xiao Zhan.

Le concerné s'éclaircit la voix pour se redonner un peu de contenance. Il s'incline face à son cadet de six ans, penché plus bas que lui en guise de respect.

— C'est moi qui suis honoré, Wang Yibo. Ahem... Soyons plus familiers, maintenant, dit-il tout en peinant à articuler. Nous allons passer beaucoup de temps ensemble.

Derrière son beau sourire cordial, cette seule vérité suffit à le faire paniquer. Une chaleur intense envahit son corps et un vertige manque de le faire chavirer. Heureusement, personne ne l'a vu tanguer.

L'agitation générale s'estompe dès que les voix des réalisateurs retentissent dans l'une des cours du studio. Les lieux sont une véritable reconstitution d'un micro village traditionnel chinois. Chaque bâtiment – entrelacés par de longs corridors – est fidèle à l'atmosphère noble et épurée du drama. Tout le monde se tient debout, attentif aux consignes données. En ce qui le concerne, Zhan tente de comprendre ce qui lui arrive. Peut-être son état n'est-il qu'une simple attirance ? Ce qu'il se passe pourtant en ce moment dans son organisme prend une ampleur bien différente. Son médicament est-il en train de lui jouer des tours ? ou est-ce ce type qui le chamboule ? Non. Catégoriquement non.

Comment pourrait-il être attiré par un iceberg ? Tout ce qui ressort de Wang Yibo est « reste loin de moi ». Cela ne peut être dû qu'à cette maudite surdose. Il se sent tel un gosse de dix-sept ans en train de passer son premier casting. Il en vomirai presque, tant le stress le ronge. Et cette chaleur...

Au milieu de la foule qui compose la grande équipe, Zhan peine à se concentrer sur les directives des grands patrons. Rester debout, droit. Paraître un minimum à l'aise. Être naturel. Il a l'habitude de porter un masque solide. Aujourd'hui ne fera pas exception.

 

Après une journée fastidieuse dans un malaise constant, à écouter autour d'une table plus qu'à retenir quoique ce soit, Zhan sort s'isoler dehors, à l'abri des regards. Il inspire et expire profondément, les yeux clos, laisse la brise caresser son visage brûlant et soulager ses maux.

Seul. Enfin seul.

— Xiao Zhan ?

Cette voix.

Ses yeux se rouvrent brusquement. Les prémices de sa paix se font avorter. Vivement le moment où il se retrouvera enfin seul chez lui, loin de cet homme bourré de phéromones alpha. D'ailleurs, comment se fait-il qu'il puisse sentir son odeur naturelle à ce point ?

Yibo vient se poster devant lui et le dévisage, les mains dans les poches.

— Oui, Wang Yibo ?

— Tu n'avais pas l'air très bien aujourd'hui. Je voulais savoir si tout allait bien ?

— Oui, rien d'important. Merci de t'inquiéter, mais tout va bien.

Sa surdose le détraque et il fond littéralement en sa présence, mais oui, tout va bien.

— Hm. C'est normal, on doit compter l'un sur l'autre. Nous allons être tous les jours ensemble.

Dans la bouche de son partenaire, cette phrase électrise Zhan. Il se lève d'un bond, comme secoué par un réflexe de survie incontrôlé.

Yibo froisse un rictus amer.

— Ça doit être compliqué de travailler avec des personnes plus jeunes que soi, articule Yibo, quelque peu déçu.

— Oh, non, pas du tout ! Ne te fais pas de soucis pour ça. C'est... c'est moi. Aujourd'hui était le premier jour, demain tout ira mieux, assure Zhan avec un sourire forcé. Faisons de notre mieux, ensemble !

L'expression de Yibo se défroisse aussitôt et Zhan pose sa main sur son épaule, signe bienveillant. Geste qu'il regrette bien vit au vu de la sensation de malaise qui le saisit.

Après l'avoir gratifié d'un hochement de tête cordial, Yibo reprend le chemin vers la sortie du studio. Zhan déglutit. Il devoir subir leur collaboration durant toute une année.

Prêt à s'effondrer sur place, il inspire un grand bol d'air frais et s'en va saluer ses collègues, caché derrière son radieux sourire, habituel. Même si, au fond, son estomac est noué.

Toujours dans sa voiture, les fesses collées au fond de son siège depuis dix bonnes minutes, Yibo garde les mains sur le volant, le regard perdu dans le vide.

Que lui est-il donc arrivé ? Quel est ce frisson qui a traversé son corps lorsque la main de son collègue s'est posée sur son épaule ? Il n'avait jamais ressenti ça, auparavant. Cette sensation lui laisse un curieux arrière-goût, similaire à un autre genre d'émotions. Une sensation presque familière...

L'idée qui émerge de son esprit le foudroie sur place. Un rapprochement totalement illogique. Son regard dévie vers son nouveau partenaire qui se dirige vers la grosse berline noire destinée à le ramener chez lui. Il secoue la tête. Non, il doit se tromper. Comment aurait-il pu ressentir une telle chose pour un autre alpha ?

Il y a forcément une autre explication.

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