Popcorn salé et cacao

Il est 22h00.
Elle aurait du être la à 19h30. Ça fait deux heures et demie qu'elle aurait dû être là. Où est elle ? Pourquoi est ce qu'elle n'est pas là ?

Toutes ses pensées m'assaillent de doutes, je commence à me ronger les ongles et à tapoter la table d'un geste nerveux. Je regarde mon téléphone pour la troisième fois en vingt secondes.

Pourquoi est-ce qu'elle ne répond pas ?!

Ça sonne dans le vide. Elle n'a pas répondu non plus aux messages que je lui ai envoyé.

Oui chérie, c'est maman...C'est pour savoir si tu venais toujours ce soir à la maison comme c'était prévu. Voilà, rappelle moi s'il te plaît.

Tous les vendredis une semaine sur deux ma fille rentre à la maison et avec des popcorn, du chocolat chaud et un bon film nous restons là dans les bras de l'autre.
J'essaie de me souvenir si elle m'avait dit qu'elle resterait à la fac aujourd'hui. Je crois que non... je ne sais plus ...
Le popcorn et les chocolats chauds sur la table basse me narguent.

La personne que vous tentez d'appeler n'est pas disponible. Vous pouvez lui laisser un message après le bip sonore.

Mais merde qu'est-ce qui ne va pas ?
Je m'inquiète sûrement pour rien, elle doit réviser donc préfère ne pas venir et elle a peut-être plus de batterie. Oui c'est sûrement ça...
Je plonge la main dans les popcorn encore chaud, pour essayer de me changer les idées et en ressort une bonne poignée que j'engloutis.
Ce sont des popcorn salés, me rendis-je compte en les avalant. Je fus encore plus démoralisée comme si rien dans cette soirée ne pourrait être bien. Tout le monde sait que les popcorn sucrés sont meilleurs.

Je suis comme un lion enragé en cage, je ne sais pas quoi faire, je ne sais pas ce qu'il se passe et si il se passe quelque chose. Je me lève, je me rassois, je range un livre, je le reprends, je m'abrutis pour surtout ne pas rester là sans rien faire et donner la possibilité à mon cerveau d'imaginer des choses.
Je suis impuissante, totalement impuissante.

Où est ma fille ? Où est Eléonore ?

Doucement, sournoisement, l'idée que je ne la reverrai plus s'infiltre comme un poison dans mon esprit. Et cette idée ne me quitte plus. Elle rythme chacune de mes inspirations, chacun de mes gestes que j'effectue dans le but de ne pas devenir folle.

Et cette sonnerie qui sonne toujours dans le vide.

....

Eléonore,

J'avais 17 ans quand tu es arrivé dans ma vie, comme ça, sans un bruit, sans prévenir.

Que j'étais enceinte de toi, je ne l'ai su que quand tu es née. Avant, être enceinte à mon âge me semblait incongru et impossible. Cette idée ne m'a pas quitté quand tu as respiré pour la première fois.

J'ai accouché chez moi sans savoir que j'accouchais, c'est ta grand-mère qui m'a trouvé et qui a appelé les pompiers. Je ne voulais pas être enceinte alors mon corps me l'a caché.
Ta grand-mère m'a énormément aidé: quand tu es née elle a dit : "Le choix de garder cet enfant te reviens et il n'y a que toi qui sait, mais sache qu'il fera toujours parti de toi."
Ton père, il ne se voyait pas être parent, il m'a dit qu'il était désolé, que si j'avais besoin d'aide il serait là mais qu'il ne pourrait pas endosser ce rôle.
Je lui en ai voulu, beaucoup, je ne me voyais pas te garder seule. Puis je me suis dit que si moi j'avais le choix de te garder ou non alors pourquoi pas lui ? On devait respecter son choix comme on respectera le mien. Je ne te cache pas que ça m'a pris longtemps avant de l'accepter. Malgré tout quand tu étais petite il venait parfois m'aider une heure ou deux.

Je ne savais pas si je voulais te garder, je ne savais pas comment être mère, je ne savais pas comment t'aimer.
J'avais 17 ans et je ne me voyais pas endosser ce rôle si important.

Un soir je t'ai regardé dans ton lit, j'ai regardé tes yeux bruns qui m'implorer, j'ai regardé ton duvet brun sur la tête, j'ai caressé tes petites mains, si minuscules qui se perdaient dans les miennes. Tu semblais si fragile pour ce monde, si vulnérable. Tu pleurais alors je me suis allongée à côté de toi et j'ai pleuré aussi.

J'ai pleuré la vie que je venais d'abandonner et celle que je venais de gagner. Je pleurais cette certitude qui venait d'exploser dans mon cœur : Je t'aimerais toujours et je ferais tout pour te protéger. Je crois que c'est à cet instant là que je t'ai aimé pour la première fois.

Quand j'ai annoncé à ma mère que je te gardais, que je ne savais pas si je serai une bonne mère mais que j'avais envie de l'être, elle a seulement sourit. Je crois qu'elle savait, les mères savent toujours tout.

Ma petite Eléonore qui n'est plus si petite, j'ai eu tellement peur d'être une mauvaise mère et cette pensée ne m'a jamais vraiment quitté. Un jour quelqu'un m'a dit : être mère c'est faire de son mieux. J'ai fait de mon mieux ma chérie, je te le promets, j'espère que ça a suffit.

...

La tête entre la main, le tic tac de l'horloge  qui me rappelle que tu aurais du être là, mon téléphone est posé à côté de moi et je me retiens de peu d'appeler la police. Le bol de popcorn est vide en face de moi et les deux tasses de chocolat chaud ont été englouties.
On toque à la porte. Je me lève si vite que je suis prise de vertiges et ferme les yeux quelques instants. J'ouvre la porte et elle est là. Eléonore est là, un sourire penaud sur le visage et sa main dans celle de quelqu'un d'autre.

- Désolée maman, j'ai eu un empêchement et je n'avais plus de batterie. M'offre-t-elle comme seule excuse.

Je ne dis rien, je ne fais rien, mon cerveau a arrêté de fonctionner. 

- Je te présente Louise. C'est ma copine maman. Me dit elle en me présentant la jeune fille blonde à côté d'elle qui m'offre un sourire timide.

Ma fille me regarde un air de défi dans le regard mais je vois qu'elle appréhende ma réaction.  Elle attends que je réagisse ou dise quelque chose mais la seule chose que je suis capable de faire c'est de la prendre dans mes bras et de la serrer très fort.

La sonnerie a arrêté de sonner dans le vide.

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