Face à l'immensité du monde

"La douleur, elle m'est devenue familière."

-Tessa, After 3-


Une inspiration.

Une expiration.

Surtout ne pas oublier de respirer.

Inspirer.

Expirer.

Ces voix qui appellent. Qui viennent et qui repartent de cette chambre blanche. On murmure son prénom : Alice. Mais elle ne répond pas. De toute façon elle ne peut pas.

Inspirer.

Expirer.

Une jeune femme rentre dans la chambre. La même qu'hier, elle est belle avec son visage doux et son sourire en coin comme si elle connaissait quelque chose que les autres ignoraient. Alice la vit s'approcher du lit, passer une main sur les couvertures, vérifier le cardiogramme, regarder son pouls et fermer les rideaux.

- Bonne nuit Alice, lui chuchote-elle.

Mais dans la nuit Alice y est déjà.

Inspirer.

Expirer.

Et la douleur reprend, cette douleur qui pourtant ne s'est jamais arrêté depuis qu'elle est là, cette douleur fulgurante qui la brûle de l'intérieur. Celle que les anti-douleurs n'arrivent plus à mettre sous silence. Alice a envie de pleurer, mais elle ne pleure pas. De toute façon elle ne peut pas. Elle aimerait crier mais sa bouche est pâteuse et tellement lourde. Tout est si lourd en elle, tellement lourd que serrer la main de l'infirmière est une épreuve.

Inspirer.

Expirer.

Alice essaye de penser à autre chose que à cette douleur dans le dos, celle qui la fait flamber de l'intérieur mais même son esprit est trop lourd pour qu'elle puisse réfléchir.

Inspirer.

Expirer.

Elle aimerait bouger pour pouvoir soulager son dos juste une fois, mais ça non plus elle ne peut pas. Bientôt le soleil se lèvera et les visites, les vas-et-viens incessants recommenceront. Alice connaît l'ordre par cœur, trois semaines qu'elle est là dans cette chambre blanche sans pouvoir bouger. Seule avec sa douleur, seule avec ce dos qu'elle a finit par détester, seule avec son corps trop lourd.

Inspirer.

Expirer.

D'abord l'infirmière au sourire en coin, puis sa mère, le médecin, son père et des gens, des gens qui défilent dans sa chambre pour la voir, la plaindre : « pauvre petite » lui disent les gens. Quand ils disent ça en la regardant avec pitié elle a envie de hurler. Tout ce qu'elle veut ce ne plus souffrir, ne plus ressentir cette douleur continue qui lui donne envie d'abandonner juste une minute.

Inspirer.

Expirer.

L'infirmière entre, lui sourit, ouvre les rideaux et vérifie ses bandages et la pire question arrive : « Sur une échelle de 0 à 10 combien as-tu mal ? » Cette question chaque matin on la lui pose pour savoir s'il y a une amélioration sur sa douleur. Sur ses blessures quand on les voit on sait si celle-ci sont guéries ou pas mais quand la douleur est à l'intérieur, quand on ne peut pas la voir on lui demande ça. Et elle déteste. Elle, tout ce qu'elle sait c'est qu'elle a mal. C'est tout. Et c'est déjà beaucoup.

- Bonjour Alice lui lance-t-elle avec un sourire quand elle a fini de s'activer.

Pense-t-elle vraiment que ce sera un bon jour ?

Inspirer.

Expirer.

Sa mère entre, aucune mèche ne s'échappe de son chignon serré et aucun pli ne peut être aperçu sur ses habits. Alice n'a jamais vu sa mère déstabilisé sauf le jour de l'accident, sauf ce jour-là. Sa mère s'assoit et lui prend la main. Dans ses yeux froid Alice y décèle des excuses. Des excuses d'une mère qui dit : « J'aurais préféré que ce soit moi. »

Oui mais ce n'est pas toi, pense Alice, tu n'étais même pas là dans cette voiture. Alice ne dit rien, ne ressent rien, juste cette douleur dans le bas du dos, cette douleur qui lui rappelle que plus rien ne sera comme avant et que dorénavant elle souffrira, cette douleur qui la fait hurler en silence.

Inspirer.

Expirer.

Surtout ne pas oublier de respirer.

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Dans la vie, Alice ne le savait pas encore mais il y a un Avant et un Après. Il y a un évènement qui fait que l'on finit par se dire : "Là je suis dans la deuxième partie de ma vie." Mais ce moment qui change tout on sait que c'est lui qu'après. Pas une minute avant, une seconde ou une millième de seconde avant, et encore moins sur le moment, sur le moment souvent nous ne pouvons pas réfléchir.

Alors quand Alice est au volant de sa voiture, son portable sur le siège passager en haut-parleur pour parler à sa meilleure amie Héloïse et écoutant en fond de la musique, elle ne sait pas que sa vie va changer.

Vers les docks où le poids et l'ennui
Me courbent le dos
Ils arrivent le ventre alourdi
De fruits les bateaux

Pour le moment elle est heureuse, elle s'apprête à rejoindre son amie pour passer un week-end dans le sud où elle va enfin pouvoir se reposer. Deux jours où elle va tout simplement ne rien faire, elle a tellement hâte !

Ils viennent du bout du monde
Apportant avec eux
Des idées vagabondes
Aux reflets de ciels bleus
De mirages

Remettant une mèche brune derrière son oreille et plissant les yeux devant le soleil couchant qui l'éblouie, elle écoutait avec amusement ce que lui racontait son amie.

- Mais tu imagines ? Genre le mec la trompe et après il fait genre il ne voulait pas... Mais assume quoi ! Je vais tout t'expliquer qu'il a dit !

Alice imaginait très bien son amie, son téléphone à la main, les joues rouges, remontée contre la gent masculine.

Traînant un parfum poivré
De pays inconnus
Et d'éternels étés
Où l'on vit presque nus
Sur les plages

Moi qui n'ai connu toute ma vie
Que le ciel du nord
J'aimerais débarbouiller ce gris
En virant de bord

Alice profita d'un silence pour parler.

- Au fait j'ai oublié mon maillot, tu en as deux j'espère.

- Ou on ira faire les boutiques, lui proposa son amie avec amusement sachant très bien qu'elle détestait ça. Et ça ne se fit pas attendre Alice protesta avec véhémence contre cette amie indigne qui osait lui proposer de faire les boutiques, elle détestait la chaleur et le monde dans les magasins et surtout elle n'aimait pas essayer ses articles.

Héloïse rit et les deux filles commencèrent à parler de leur week-end de rêve.

Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil

Dans les bars à la tombée du jour
Avec les marins
Quand on parle de filles et d'amour
Un verre à la main

Alors que le ciel se teintait d'une lumière orangée, elle se fit la réflexion que finalement la vie était belle quand on était simplement là devant le coucher de soleil à écouter son amie raconter n'importe quoi. Oui, finalement la vie était plutôt belle.

Je perds la notion des choses
Et soudain ma pensée
M'enlève et me dépose
Un merveilleux été
Sur la grève

Où je vois tendant les bras
L'amour qui comme un fou
Court au devant de moi
Et je me pends au cou
De mon rêve

- Oh et Héloïse rappelle moi d'appeler ma mère lundi, elle veut absolument savoir quand est-ce que je vais passer les voir elle et mon père.

- Pff, je te jure les parents... Soupira son amie.

Une notification arriva sur son écran d'accueil : Il ne lui restait plus que vingt pour cent.

Alice soupira de mécontentement, il lui restait une demi-heure de trajet et elle n'aimait pas ne pas pouvoir parler avec quelqu'un.

- Bon, Hélo il faut que je te laisse, je n'ai bientôt plus de batterie.

- Ok à toute !

- À toute !

Quand les bars ferment, que les marins
Rejoignent leur bord
Moi je rêve encore jusqu'au matin
Debout sur le port

Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil

Il suffira d'une seule seconde d'inattention, une seule seconde où Alice détournera les yeux de la route pour pouvoir raccrocher, d'une seule seconde pour que sa vie bascule dans l'après.

Alice ne verra que trop tard la voiture en face d'elle déraper et n'aura pas le temps de l'éviter, quand le choc se produisit elle ne sut pas non plus qu'elle souffrira par la suite, qu'Héloïse l'attendrait longtemps avant de recevoir un appel de ses parents, qu'elle allait devoir s'accrocher pour ne pas sombrer, et que son cœur s'arrêtera pendant quelques instants avant de repartir. Tout cela elle ne le sut qu'après. Pas une minute avant, pas une seconde ou une millième de seconde avant et encore moins sur le moment, sur le moment souvent nous ne pouvons pas réfléchir.

Un beau jour sur un rafiot craquant
De la coque au pont
Pour partir je travaillerais dans
La soute à charbon

Prenant la route qui mène
A mes rêves d'enfant
Sur des îles lointaines
Où rien n'est important
Que de vivre

Où les filles alanguies
Vous ravissent le coeur
En tressant m'a t'on dit
De ces colliers de fleurs
Qui enivrent

Je fuirais laissant là mon passé
Sans aucun remords
Sans bagage et le coeur libéré
En chantant très fort

Emmenez-moi au bout de la terre
Emmenez-moi au pays des merveilles
Il me semble que la misère
Serait moins pénible au soleil...

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 Allez tous vous faire foutre !

Elle hurle. Un cri. Un cri animal. Un cri qui résonne. Un cri qui défie le monde entier, qui le défi d'essayer encore de la mettre à terre. Rien à foutre, elle se relèvera. Et face à l'immensité, elle hurle ; qu'elle est vivante, qu'elle est bien décidée à emmerder le monde encore un peu. Dans ce cri elle y met toute sa rage, sa douleur, sa détresse, son pardon et ses excuses.

Mais elle ne s'excusera pas de vivre. Ça non. Jamais.

On n'a qu'une vie n'est-ce pas ? Alice l'a bien compris alors autant hurler à l'océan qu'elle vivra et tant pis pour ceux qui aurait voulu la voir crever, tant pis pour ceux qui voulait la voir souffrir et en dépérir. Oui elle souffrira mais elle sera là car cette douleur qui ne la quitte plus lui rappelle qu'elle est vivante malgré tout.

Quand son cri ne résonne plus, tout redevient calme et il n'y a plus qu'elle face à l'océan qui l'appelle. Les pieds encrés dans le sable, une larme glissant sur sa joue, une seule.

Je suis vivante hurle ses yeux, je vais me battre vocifèrent ses cheveux dans le vent, je gagnerai crie ses pieds dans le sable, ce n'est pas finit clame cette larme.

Non ce n'est pas finit. Au contraire tout vient de commencer.

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