7

Les deux semaines approchent grandement, et je n'ai jamais autant pris plaisir à travailler. Les femmes de Umoja ont tellement de choses à nous apprendre, leur force, leur courage et leur volonté de réussir.

Chaque soir, chacune d'entre elles nous racontent son histoire, toutes plus difficiles que les autres, et elles réussissent presque tout le temps à me mettre la larme à l'oeil.

Dû au rejet que Ethan a subi au tout début, il m'informe qu'il comprend à peu près maintenant ce que je ressens à Nice.

– Je ne savais pas que c'était aussi compliqué pour toi, Elena.

J'arrête de tapoter sur mon clavier et tourne ma tête vers lui, avec un air interrogateur.

– Tu dois te sentir très mal, surtout avec des personnes comme Mark.
– Je n'ai pas besoin de ta pitié, Ethan.
– Arrête un peu, ce n'est pas de la pitié, mais de la compréhension. Ça fait même pas deux semaines que nous sommes ici, et je me sens tellement oppressé quand certaines femmes me rabaissent car je suis un homme.

Je m'apprête à contester, qu'elles sont seulement sur la défensive, mais il me coupe :

– Et encore, parce que ce n'est pas tout à fait la même chose. Ces combattantes ont un rapport difficile avec les hommes, parce que toutes les personnes de sexe masculin les ont mal traité. C'est compréhensif qu'elles sont en retrait lorsqu'elles cohabitent pour la première fois depuis longtemps avec une personne du même sexe que leur bourreau. Tandis que chez nous...

Il soupire et pose ses mains entre son ordinateur. Je tente de dire quelque chose mais je m'abstiens. 

– J'ai une sœur, m'annonce-t-il soudainement. Elle a seize ans.

Mon voisin de table ferme ses poings et prend une grande inspiration.

– Je te garantis que si un jour, il lui arrive une seule chose de ce que ces Kenyanes ont enduré, je détruirai le monde.

Sa poitrine se fige comme la mienne.

– Les hommes banalisent tellement de choses, le viol, la violence conjugal ou même psychologique !

La peine qui coule dans mes veines parcourt, à présent, aussi les siennes.

– J'ai toujours dénoncé ce genre de comportements, j'ai toujours été ahuri des personnes qui faisaient subir cela, mais encore plus maintenant.

Je reste toujours dans le silence et l'écoute attentivement.

– Bizarrement, je n'éprouve même pas de colère envers le fait qu'elles me dévalorisaient. J'étais plutôt content de devoir subir ça, à la place d'une autre femme dans le monde. C'est peut-être con ce que je dis et inutile, mais je veux pouvoir empêcher ça.

Il lève la tête vers moi et plante son regard dans le mien.

– Je veux pouvoir empêcher ce qu'ils te font subir au travail, Elena. Et j'ai l'impression que tu trouves cela normal. Les remarques que les hommes font chaque fois que tu passes à côté d'eux comme si tu étais une bête de foire ou le fait qu'ils te prennent juste pour une belle "chose" à voir. Ou encore le fait qu'ils sont sûrs que tu remportes tous tes prix seulement parce que tu as de beaux yeux verts.

Irrité, il se replace sur sa chaise et ébouriffe ses cheveux.

– La vérité Elena, c'est que si tu es ici, c'est parce que tu l'as mérité, parce que tu t'es battue, pas pour les raisons pour lesquelles nos putains de collèges t'ont dit. Garde-toi ça en tête. Et même si on a toujours été en compétition tous les deux, je l'ai toujours pensé.

Il se racle la gorge.

– Je voulais juste te dire ça.

Je hoche la tête.

– Personne ne prend en compte les dégâts que ça peut faire par la suite.

Ses paroles me mettent des frissons.

En effet, dis-je seulement. Personne ne peut s'en rendre compte si l'on a pas côtoyé ça, malheureusement.
– Puis, la société n'en rajoute pas avec la misogynie, soupire-t-il.

Ses mains tremblent, mais je ne le lui fais pas remarquer.

– Mon beau-père battait ma mère lorsque j'étais petit.

Je déglutis lorsqu'il m'anonce ça de but en blanc.

– J'ai vu, par la suite, comment elle était. J'étais petit, je ne comprenais pas encore. Lorsque nous sommes partis de chez lui, j'ai vu son état psychologique se dégrader. Et je souhaite cela à aucune femme.

Il relâche la pression qu'il ressent.

– A aucune personne d'ailleurs.

Face à sa sensibilité, mes yeux commencent à se gorger d'eau, mais je les ravale aussitôt.

– J'aurais aimé que ma mère se soit réfugiée chez Umoja.

Seule sa respiration saccadée est à l'écoute, et je me maudis de ne pas savoir quoi dire, je hoche juste encore la tête.

J'aimerai au fond de moi lui prendre la main et lui dire que je compatis avec lui, que je le comprends, mais c'est Ethan.

Inconsciemment, je reste vigilante, malgré le fait qu'il me montre cette facette de lui. Je le remercie alors seulement d'avoir cette façon de penser.

– Merci.

Ses pupilles jonglent entre les miennes, sa pomme d'Adam monte de haut en bas, je remarque sa gêne et le regret qui traverse son regard.

Je souhaite le rassurer, lui dire que c'est du passé et que maintenant, il faut aller de l'avant, qu'il ne doit pas regretter de m'avoir dis tout ça parce qu'il en avait besoin, mais je n'en fis rien.

Il se lève et sort du lodge sans dire un mot.

– Bravo Elena, me chuchoté-je tandis qu'une larme coule sur ma joue.

Je n'ai jamais été rassurée, je ne sais comment m'y prendre. Certains diront sûrement qu'il suffit juste de laisser son cœur parler, cependant lorsqu'on vous a contraint toute votre vie de toujours dissimuler vos émotions, c'est plus difficile.

J'essuie les larmes qui coulent sur ma joue et je me remets au travail même si mes pensées sont dirigées vers lui.

***

– Je n'ai pas mon appareil photo ! cris-je à Faith.

Je sors mon téléphone, déçue, mais Ethan me rejoint, essoufflé, il semble avoir couru, puis s'assoit à mes côtés.

– Tiens, tu l'as oublié. Vite, prends l'éclipse, tu la rajouteras dans ton dossier.

Je fixe l'instrument qu'Ethan tient entre ses mains, relève mon regard vers lui puis finit par le saisir pour m'exécuter.

La lueur solaire jette une palette de couleurs chaudes et douces sur le paysage. Le ciel prend rapidement une teinte oscillant entre le bleu profond, le violet et l'orange.

Le jour se transforme en une nuit où les étoiles scintillent, relevant un spectacle magique.

Je descends mon appareil photo, le pose entre Ethan et moi et regarde ce ballet céleste qui est à couper le souffle. 

Nous restons quelques minutes à observer cette incroyable éclipse lunaire qui nous ensorcelle, puis retournons avec les femmes autour du feu.

– Merci.

Je mordille ma lèvre inférieure.

– Je l'avais oublié.

Il émet un petit sourire.

– Je sais. J'ai bien aimé la partie que tu m'avais lue tout à l'heure sur le ciel, je suis sur que ta vidéo sera incroyablement bien placée.

– Pourquoi tu m'aides ? demandé-je en arrêtant de marcher.

Dos à moi, il prend quelques secondes à se retourner pour hausser les épaules et reprendre son chemin.

Je fixe ses jambes qui s'éloignent de moi et secoue frénétiquement la tête.

– Reprends-toi.

Ethan commence doucement à m'aider sur mon projet bien que je lui ordonne de ne pas le faire, car c'est une compétition. Mais il se fiche de cela, il veut juste passer de bons moments.

" – C'est la première et la dernière fois de ma vie que je viens ici, je veux penser à autre chose qu'à mon travail. Malheureusement, je passe mon séjour avec toi, alors autant en profiter complètement et s'entraider. " m'a-t-il dit.

Je lui ai répondu qu'il aurait sûrement d'autres occasions, mais il est sorti du lodge sans m'avoir répondu.

Je l'ai donc – en retour – aussi aidé sur certains points qu'il n'arrivait pas.

Je pose l'objet au lodge, prends mon carnet à la place pour bien décrire la fête et les rejoins autour du feu.

Certaines jouent de l'instrument d'autres apportent des plats traditionnels en dansant. Je souris face à cette ambiance chaleureuse.

Je m'assois près de lui, toujours les lèvres étirées. Une nouvelle survivante est apparue dans le village et il se trouve qu'elle soit la nièce de Faith, nous sommes tous réunis pour célébrer sa venue.

Je ressens le regard de Ethan sur moi, mais je reste concentrée sur le discours de la leader, en prenant des notes tandis que tout le monde applaudit.

Je vois la main de mon voisin s'approcher pour saisir mon cahier.

– Eh !
– Profite, Elena. Juste aujourd'hui.  

Mes sourcils tremblent, je ne peux pas me laisser distraire, encore moins pendant cette cérémonie importante. Je refuse et continue d'écrire ma phrase en prétendant ne pas entendre son soufflement.

La soirée passe, nous mangeons et Ethan ne prend des photos qu'avec son téléphone.

– Je te l'ai dit mille fois, ça ne va pas te servir ça.
– Et moi, je te le redis, je veux prendre ces souvenirs pour moi. Je veux profiter, m'amuser, pas prendre des photos seulement pour le projet, c'est nul, dit-il en roulant des yeux.

Je hoche discrètement la tête, puis il m'annonce qu'il part aux toilettes. Ethan a sûrement raison, je ne m'amuse pas, je ne profite pas, parce que je ne pense qu'à ça.

Il m'a demandé une fois si demain ma vie s'arrêterait, est-ce que je regrettais de ne pas avoir levé le nez du cahier, j'ai répondu automatiquement non, mais je doute à présent de ma réponse.

Je prends donc la décision de le ranger derrière moi et de me concentrer sur ce qu'il se passe autour de moi, pour moi.

Quelques minutes plus tard, il revient et Faith s'avance vers lui, le regard sévère, un tissu en main.

– Oula, laché-je.

Elle tend ses deux mains vers lui avec la jupe blanche tendue.

Ethan rit nerveusement et je mordille ma lèvre pour ne pas me moquer ouvertement.

– C'est pour qui ça ? demande-t-il, paniqué en me regardant.

Je hausse des épaules.

– Pour toi.

A peine les paroles de la leader prononcées que je ris à m'en tordre le ventre.

– Hors de question.
– C'est la tradition, tu n'as pas le choix.

Sa tête informe clairement qu'il se fiche de ça et qu'il ne mettra pas cela, mais ses actions prouvent le contraire.

A contre-cœur, il se lève et elle lui ordonne de venir avec elle au milieu. Je ne peux m'empêcher de sortir mon téléphone portable de la poche de mon jogging pour filmer ce moment hilarant.

Les Kenyanes se moquent aussi de lui, et il enfile le tissu, la machoire contractée en me lançant un regard noir.

Elle prend le bras de Ethan et le soulève bien haut, les femmes l'applaudissent et éclatent de rire, je range mon téléphone et les imite.

– Ta jupe te va à ravir ! le complimenté-je en dansant.

Faith ne le lâche pas du regard, sous la musique, il me menace alors discrètement en gardant son sourire forcé aux lèvres.

– Ça n'a pas l'air d'être un vrai sourire ça, comment ça se fait, tu n'aimes pas ?
– Elena !
– Oui, Tarzan ? Ah non, Jane, devrais-je dire ?

Sans plus attendre, il se met à courir après moi, et je ne tarde pas à l'esquiver du mieux que je peux, amusée.

Les enfants s'y mettent aussi et la tribu crie mon prénom pour m'encourager.

J'ai mal au ventre tant je passe du bon temps.

Ethan finit par tomber à cause de la jupe et je lui tire la langue.

Je me mets à prendre une petite par la main et je danse au milieu avec elle, alors qu'il retourne s'asseoir.

Je ne laisse pas mes pensées m'envahir et savoure chaque petite seconde. Mes longs cheveux descendent en cascade, mes yeux sont plissés de bonheur et je ris de bon cœur en dansant lorsque j'entends un "clic" sur ma gauche.

Je me retourne vers le bruit et découvre que Ethan est en train de me prendre en photo avec son appareil.

J'écarquille des yeux et accours vers lui pour le lui retirer. Mais ses longs bras m'empêchent de l'atteindre, il le met loin de lui, et j'ai beau le tirer de toutes mes forces, Ethan en a clairement plus que moi...

– Efface-moi ça !
– Arrête de forcer, tu n'arriveras pas, se moque-t-il.

Je continue de le tenir, mais il le ramène soudainement vers lui et je finis par être projetée avec.

Je stoppe tous mouvements lorsque je sens son souffle contre le mien. Je retiens ma respiration, le temps semble s'arrêter. Mes yeux plongent dans les siens, et le feu fait briller ses pupilles noisettes. Pour amortir ma chute, il a posé sa main d'une façon délicate sur ma taille et ce simple geste embrase mon corps entier.

Je me relève rapidement en toussotant lorsque des femmes à côté de nous ricanent en cachant leur visage avec leurs mains.

Ce voyage prend un autre tournant et je me surprends à me détester d'aimer cela.

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Ig : Lynamimy

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