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J'ouvre difficilement les paupières, la lumière du jour vient agresser mes yeux, un mal de tête se fait directement ressentir.
Je suis remplie de courbatures, j'essaye de m'étirer, mais quelque chose bloque mes bras. Je fronce les sourcils et descends le regard vers Ethan qui me bloque avec les siens.
Je ne tarde pas à le réveiller brusquement.
– Tu m'écrases putain.
Je tiens la manche de son pull avec dégoût et l'éloigne de moi, mais il ne bouge pas, ce qui me met de mauvaise humeur.
Je tente de me faufiler pour me sortir de son emprisonnement, mais il me serre de plus en plus en ajoutant sa tête sur mon épaule.
Je lance un cri désemparé, hors de question que cet homme soit plus proche de moi.
En utilisant toute ma force, je le pousse jusqu'à ce qu'il se réveille enfin et s'écarte. S'étirant avec un soupir de soulagement, il s'assoit, arborant un sourire, sans même me regarder.
– Qu'est-ce que j'ai bien dormi ! proclame-t-il d'une voix rauque.
Je me relève aussi, mes cheveux bruns tombant sur le visage, les lèvres pincées et les membres engourdis.
Je vais le tuer.
– Quelle belle journée ce sera ! se lève-t-il, excité.
– Belle journée ?!
Je me mets debout en me tenant le dos et en grimaçant de douleur.
– Tu m'as écrasée Ethan, je ne veux plus jamais dormir avec toi.
– T'as encore un mois, tu sais combien de femmes rêveraient d'être à ta place ?
– Oui, aucune, lui réponds-je, agacée.
Il s'apprête à rétorquer mais s'arrête lorsque nous entendons du bruit à l'extérieur, les kenyanes sont réveillées.
La fatigue est aussitôt remplacée par l'excitation, je vais rencontrer ces combattantes et survivantes.
Je lui ordonne de sortir pour que je puisse prendre une rapide douche, il ronchonne mais s'exécute.
Quelques minutes plus tard, je sors du Lodge avec les cheveux mouillés et une longue robe.
Je descends les marches, mon carnet et stylo en main, et suis impressionnée par la beauté du village dans la journée. Les maisons mettent en valeur l'utilisation des ressources naturelles et la créativité artisanale, elles favorisent un mode de vie harmonieux au sein de leur communauté.
Le soleil éclaire la tribu, les oiseaux chantent, des enfants courent dans tous les sens et des femmes habillées de tissus colorés et de motifs géométriques sont présentes.
Elles portent toutes des bijoux extravagants faits à la main. Elles ont utilisé du maquillage naturel pour souligner leurs traits, et il y en a même certaines qui arborent des tatouages traditionnels, je suis émerveillée par leur beauté.
Ethan qui se trouve à côté ne tarde pas à me pousser pour faire à son tour, son bain. Mary la cheffe s'approche de moi, les bras grands ouverts, et certaines femmes de la tribu m'encerclent. Elles me détaillent de la tête au pied, mais je ne me sens pas mal à l'aise, bien au contraire.
Mary me salue et me dit que nous allons attendre Ethan pour faire les présentations.
Mon concurrent sort aussi mais la réaction des Kenyanes est bien différente, elles sont devenues réticentes et mon coeur se comprime lorsque je découvre de la peur dans le regard de certaines.
– Elles ne t'ont pas vu, tout à l'heure ? lui chuchoté-je en français.
– Non, je me suis mis de côté par respect, je veux d'abord être présenté, pour ne pas leur faire peur, même si elles sont déjà au courant.
Je le regarde, étonnée puis me concentre sur Mary qui nous demande d'approcher au centre.
Toutes sortes de femmes sont présentes, leur âge varie, les enfants se cachent derrière les jambes de certaines et je souris tant ils sont mignons.
La cheffe de la tribu communique avec elles dans leur langue, une langue qui nous échappe, puis elle traduit en anglais pour nous expliquer qu'elle leur a dit que Ethan est simplement un journaliste, et qu'elles n'ont rien à craindre.
– Je vois par leur comportement qu'elles ne sont pas à l'aise, dit-il d'une voix sérieuse. Ça me brise le coeur de les voir comme ça, je ne suis pas là pour qu'elles se sentent en danger, je suis désolé.
– Vous n'avez pas à vous excuser, le rassure Mary, vous avez une bonne âme.
Il baisse la tête et je me surprends à me poser des questions sur sa sincérité, où est donc l'homme arrogant qui se croit tout permis ? Il a fait place à un homme tendre, je le croirais presque tant sa comédie est bien jouée.
– Quel est le programme de la journée ? demandé-je en reprenant mon sérieux.
– Il est dix heures passé, nous avons déjà fait les repas pour la journée.
– Vous cuisinez ensemble ?
Elle hoche la tête et j'ouvre mon carnet pour inscrire cela.
– C'est notre tradition, oui.
– Je n'ai pas pu voir ce que vous avez fait ce matin, mais je me rattrape demain, je vous le promets, dis-je en grimaçant.
Satanée changement d'horaire.
– Pouvez-vous me décrire ce que vous avez fait exactement, s'il vous plaît ?
Je sens le regard persistant de Ethan mais je l'ignore. Mary, elle, émet un petit rire.
– Vous ne voulez pas d'abord visiter ?
– J'écris juste cela, s'il vous plaît.
– Très bien.
Les femmes s'attardent sur leur tâches et je me mets à les regarder, tout en marchant à côté de la cheffe et de mon adversaire.
– Le moment du réveil, le matin peut varier en fonction des habitudes individuelles. Nous nous levons toujours avec le soleil, et commençons petit à petit nos tâches pour la journée. Il y a celles qui se rendent dans le village voisin pour récupérer quelques produits frais pour leur marché. D'autres femmes se mettent dans les cuisines communes pour préparer les repas traditionnels de la journée.
Je hoche la tête et fais un tableau sur mon carnet en avançant. Ethan est derrière nous, mais je n'y prête pas attention, je me concentre seulement sur le projet, il le faut.
– Nous avons deux cuisines, je vais vous les faire visiter, puis chaque petit lodge pour chaque personne. Chaque femme ici occupe sa propre position. Nous avons les leaders, celles qui s'occupent des enfants, du ménage ou encore des repas. Umoja est un village relativement petit, nous essayons alors de mettre toutes la main à la pâte. Et c'est ce que nous faisons chaque matin pour que l'après-midi, nous soyons libérés de nos tâches.
– J'aurais une autre question.
Ethan me tire le bras et je fronce les sourcils.
– Elena, on a du temps encore, arrête.
Je me dégage de lui et reprends ma conversation.
– D'où viennent la plupart des enfants ?
On s'arrête devant un centre d'accueil où les visiteurs sont accueillis et informés sur leur communauté. Mary nous explique juste avant de répondre à ma question, que c'est un espace où des informations sur la culture sont partagées.
Je vais donc en apprendre plus, je suis heureuse.
Je le promets que j'emporterai ce concours.
– Pour revenir à ta question Elena, ça dépend. Il y en a qui viennent de refuge, orphelinats, donc ils sont adoptés. D'autres enfants sont issus de relations antérieures, certaines femmes les ont pris avec lorsqu'elles se sont séparées ou enfuies.
J'acquiesce et continue de noter. Puis je me tourne vers Ethan qui regarde chaque détail du village. Je roule des yeux, il n'écoute rien. Je gagnerais haut la main, s'il continue sur cette lancée.
Quelques heures plus tard, nous rejoignons les femmes pour manger. Assis sur des tapis colorés, nous formons un cercle, la bonne ambiance règne.
Ethan n'a pas prononcé un seul mot de la journée, il était ailleurs.
– Tu n'as même pas pris de quoi écrire, tu sers à quoi ? lui demandé-je, assise en tailleur.
– Je profite moi au moins, tu n'as même pas relevé ta tête une seule fois de ton carnet pendant la réunion.
– Tu voulais voir quoi ? Des femmes nous racontaient l'histoire alors j'écrivais. Je ne suis pas sadique à vouloir voir les gens pleurer.
Il grimace.
– Mais qu'est-ce que tu racontes ? Je me connectais avec elle, je vivais leur histoire, tandis que toi, tu les écoutais seulement pour ton projet.
Je soupire et le regarde. Ses mains sont sur ses genoux repliés, les veines de son avant-bras sortent, et celle de son cou bronzé aussi.
– Nous sommes ici pour un concours Ethan, et rien d'autre.
– Tu es écoeurante Elena.
Offusquée, j'ai un mouvement de recul. Nous avons l'habitude de nous lancer des piques, mais je n'ai jamais entendu autant de sincérité de sa part.
– Tu es dans un autre pays, avec une autre culture, loin de tout, et là seule chose à laquelle tu penses est le concours.
– On est là pour ça, je te le rappelle.
Il souffle.
– Laisse tomber. Si tu ne sais pas réfléchir et profiter des petits moments de la vie, ce n'est pas mon problème.
– Exactement, donc garde tes réflexions pour toi. Si je ne veux penser qu'au projet, je le fais et toi, comme je te l'ai dis à Nice, tu fais ta vie. Tu ne sais rien de moi, donc je ne te permets pas de me parler de la sorte.
– Je sais juste que tu es idiote de penser de cette manière là. On ne sait pas quand la vie peut s'arrêter et la seule chose à laquelle tu penses, c'est ce stupide projet, alors que ça ne fait même pas un jour que nous sommes là. Profite un peu, tu me fous la rage putain.
– Mais t'as un problème, Ethan. Va te faire soigner, sérieusement.
Je me lève et m'assois entre deux femmes, plus loin de lui, pour tenter de continuer de manger, car il m'a fait perdre l'appétit.
L'ambiance entre lui et moi est toujours électrique mais se détend au fil des heures, on est restés longtemps autour du repas et je stresse à l'idée de me dire que j'ai beaucoup de travail et que je perds du temps.
J'ai fait la connaissance de certaines personnes qui m'ont raconté leur histoire personnelle, et qui m'ont touché. J'ai aussi joué avec quelques enfants, contrairement à Ethan qui est resté dans son coin. Aucune personne ne lui a parlé, sauf les petits.
L'une d'entre elles m'a demandé de danser avec elle, je me suis donc levée et me suis exécutée, lorsque j'entends une petite fille dire à mon concurrent qu'il est trop blanc.
Sans que je ne puisse me contrôler, je me moque de lui, la petite lui tente d'arracher sa joue.
– Elena, tu n'es pas en mesure de parler, tu es plus blanche que moi.
Je vérifie cela, et pince mes lèvres.
1-0 pour Ethan.
***
Durant la journée, la cheffe a décidé de nous faire visiter le tour des lodges. Ethan est resté pendant des heures, seul. Les mamans des enfants qui ont joué avec lui leur ont interdit de continuer, il s'est donc mis à contempler les personnes, assis en tailleur, telle une personne punie.
Je lui ai tiré la langue car contrairement à lui, j'ai fait quelques belles connaissances.
Casquette sur la tête et une gourde dans la main, je découvre l'endroit où nous séjournons.
– Ils ne m'ont pas calculé, je suis choqué, me dit mon voisin. Je me suis senti rabaissé.
– Tu vois ça fait quoi de travailler qu'avec des hommes maintenant ?
– Ce n'est pas la même chose.
– Non, tu as raison, c'est pire. Presque tout le monde est misogyne, je dois sans arrêt faire mes preuves.
Il me fixe longuement et je fronce les sourcils tant son regard n'exprime rien.
– Oui, mais là, je me sentais comme Ken dans Barbie.
J'aurais presque cru qu'il me comprendrait, du Ethan tout cracher.
Mary nous a laissé quelque temps pour nous, pour pouvoir prendre nos marques. J'ai pris mon appareil photo, de quoi noter, et je me suis dépêchée de visiter avant la tombée de la nuit.
Ethan est sur mes talons, il m'ordonne de ralentir.
– Va de ton côté Ethan, c'est un concours, je te le rappelle ! lui crié-je devant lui.
– Mais c'est pas possible ! Tu ne peux pas sortir de ton personnage, deux secondes ? Tu es insupportable.
Je m'arrête et me retourne.
– Quel personnage ? Et nous ne sommes pas en vacances.
– Non mais sérieux. Déjà que je suis rejeté par la tribu, n'en rajoute pas.
Je hausse les épaules et lui chantonne en reprenant mon chemin :
– Ce n'est toujours pas mon problème.
Fini de rire, je me concentre sur la beauté sur laquelle je marche.
Umoja évoque la beauté de l'harmonie féminine et de la solidarité. Son histoire rend le paysage encore plus beau.
Niché dans les vastes paysages du Kenya, le village est une toile où les couleurs de l'unité s'entrelacent pour former un tableau célébrant la puissance de la communauté qui s'épanouit sous le ciel infini du pays.
Je prends chaque colline en photo, les maisons, les petits dessins sur les murs et même des femmes qui acceptent d'être mes modèles.
Durant le diner, Mary nous informe que la deuxième leader surnommée Faith arrive, elle était dans le village voisin, et selon les échos, c'est une femme qui a du caractère et stricte.
Mais je ne fais pas attention à cette information, et continue de donner à manger à un bébé sous l'accord de sa maman.
De la musique résonne dans l'air, le ciel étoilé nous guide et la lune veille sur nous, je me sens apaisée, dans un havre de paix.
Je tourne ma tête vers toutes les femmes réunies, puis vers le seul homme présent. Dans un coin, il mange avec ses mains, comme la tradition, en observant chaque être. Je ressens une pointe de pitié de le voir si isolé mais je me reprends.
Faith arrive quelques minutes plus tard, aux allures dur, elle me salue, puis elle arrive devant Ethan. Il lui hoche la tête, mais elle le détaille de haut en bas d'une manière hautaine, puis se retourne vers les autres femmes, les poings serrés. Je suis sidérée par le manque de respect de sa part.
Il est certes un homme, mais pour une fois, il n'a rien fait de mal.
Faith entame une conversation avec les autres femmes dans leur langue maternelle, sa voix gagne en intensité et je ressens une tension en voyant Mary se troubler.
Je me dirige discrètement vers elle et Ethan.
– Qu'est-ce qu'elle dit ? demandé-je, curieuse.
– Elle n'accepte pas que ton collègue soit présent.
– Moi ? Mais pourquoi ?
Je tape la paume de ma main contre mon front.
– Parce que tu es un homme, réfléchis.
Il ne dit rien mais tout comme la leader, je le sens se crisper.
Je regarde Faith qui s'est placée au milieu du cercle, elle continue de crier et certaines femmes l'applaudissent en criant aussi.
Qu'est-ce qu'il se passe non de Dieu ?
– Toi ?
Je sursaute. Elle vient d'appeler mon voisin qui lève le regard froid vers elle.
Cette histoire va partir loin.
– Que tu fasses ton programme, ça ne me dérange pas, mais il est hors de question que tu dormes dans mon village, dans notre village, à côté de nous, tant que je serais en vie.
Mes yeux s'ouvrent largement, sa voix tranchante nous atteint comme des lames acérées. Faith lève la tête et s'approche d'elle comme si Ethan est une menace et qu'elle doit l'éliminer.
– Tu dormiras au bout du village.
Mary tente de la raisonner, mais des femmes s'en prennent à elle, Ethan dit alors quelque chose qui me surprend :
– Très bien, acquiesce-t-il. Je respecte.
– Ramasse tes affaires, lui crache-t-elle.
– Mais il dormira où ? demandé-je,perdue.
– En dessous d'un arbre, je ne sais pas, mais pas dans mes lodges, me dit-elle sèchement.
Un rire nerveux sort de ma bouche, malgré moi. Et il me lance un regard noir avant de se diriger vers notre lodge, du moins la mienne, maintenant.
– Sois content, me moqué-je avant qu'il ne parte. Tu n'es plus Ken mais Tarzan maintenant.
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Ig : Lynamimy
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