VIII


<< La harpe des sentiments humains est ainsi tendue que, si un choc n'en brise pas à la fois toutes les cordes, il leur reste toujours quelques harmonies >>, Harriet Beecher Stowe (La Case de l'Oncle Tom)

<< Prends-moi la main, s'il te plaît ne me lâche plus jamais. Je voudrais te serrer encore et encore, jusqu'à ne plus savoir si je suis moi ou toi, me blottir dans tes bras sans baiser ni parole, oublier qui je suis et n'être plus qu'à toi >>, Anonyme



1



Une vaste masse auburn couvrant ses iris assombris par la peur et la nuit, la pauvre fille gisait à présent sans vie sur le pavé. Jason Morton, dont l'affreux sourire dissimulait mal la folie, se redressa de toute sa hauteur, pied-de-biche sur l'épaule. Il cracha un juron, essuya sa figure crasseuse de pochetron, et s'en alla d'un pas nonchalant, boiteux. "Je te le ferai payer, salope", avait-il déclaré deux ans plus tôt.


2


Skylar se réveilla en sursaut. A quelques centimètres, l'imposante face de Brutus Howell. "Dieu soit loué !", s'écria le bonhomme. La journaliste se releva d'un bond, scrutant les alentours. "Nous avons jugé bon de vous transporter à l'infirmerie", précisa Dean. Elle soupira longuement, la tête lui faisant l'effet d'une girouette. Il ne suffit que d'un regard pour que le jeune comprît ce qui la tracassait. "Il va bien, on ne l'a pas encore tué." La blonde n'eut aucune réaction apparente, se contentant d'opiner du chef. De toute manière, ceci n'avait plus d'importance.


3


Lorsqu'ils foulèrent les marches du perron, l'obscurité était totale. Plus de deux heures du matin, à n'en pas douter. Skylar bailla. Malgré tout, elle n'était pas fatiguée –ou plutôt, elle ne voulait pas l'être : comment pourrait-elle dormir après cette macabre soirée ? Elle réprima un haut-le-cœur et chemina vers la cuisine, où elle se fit une tasse de cacao tiède.


4


Le trajet s'était déroulé dans un silence de mort. Ce n'est qu'après avoir ruminé pendant suffisamment longtemps que la reporter s'autorisa enfin à exposer le fond de sa pensée :

"Tu savais aussi bien que moi que l'éponge devait être mouillé..."

Il ne répondit pas.

"Tu te doutes bien que ton acte ne restera pas impuni..."

Toujours rien.

Elle serra les poings, prête à exploser.  Il parla finalement :

"Tout ce que je voulais... c'était être en première ligne. Mais comme d'habitude, il a fallu que le destin s'acharne contre moi !" Au son de sa voix, Sky su qu'il s'apprêtait à pleurer. Le destin ?! La fille se mordit la lèvre pour s'empêcher de rire.

"Et puis, qui va me punir, hein ?!, reprit-il. Je n'ai qu'à prévenir Tonton pou qu'ils se la ferment tous !" Secouant légèrement la tête, Sky leva les yeux aux ciel. Elle avait l'impression que plus il s'énervait, plus Percy ressemblait à un gamin. "Et puis, qui va me punir, hein ?!" Il ne manquerait plus qu'il termine sa phrase par "NA !", tiens ! Cette réflexion lui faisant plus pitié qu'autre chose, la jeune femme croisa les bras en travers de sa poitrine.

"Peu importe que tu sois bien friqué ou non ; pedigree n'est en rien synonyme de valeur ;  un chihuahua n'en reste pas moins un chien !", siffla t-elle froidement.

Dès cet instant, on entendit les mouches voler tout le reste du voyage.



5


Les yeux vitreux de Ed –elle l'avait vu la fusiller du regard, malgré la cagoule, elle l'avait vu !, elle l'avait vu !– la hantaient, occupant la moindre de ses pensées. Et il reviendrait tourmenter son âme, Skylar en était convaincue ; il se pointerait devant son lit sous forme de spectre et sourirait de toutes ses dents pourries pendant que résonneraient, tambours battant, les Trompettes de l'Apocalypse. L'orage gronderait, annonciateur d'un destin funeste, et la jeune femme verrait s'élever autour d'elle un dôme de feu. Peut-être la trappe des Enfers s'ouvrirait-elle directement sous ses pieds. Peut-être Satan en personne lui rendrait-il une petite visite. Peut-être serait-ce William Wharton qui, s'évadant du pénitencier de Cold Mountain, viendrait lui régler son compte ; oui, c'était ça l'hypothèse la plus probable : il la violerait, lui arracherait les membres, lui cracherait à la figure, la re-violerait, lui crèverait les yeux, la violerait encore, foutrait le feu à la maison... et tout ça  en chantant : "elle est sur le Grill ! C'est une dinde rôtie !"

Peut-être bien que tout ne serait qu'épouvantables projections de son esprit, et qu'elle deviendrait complètement folle. Elle serait alors transférée à l'hôpital psychiatrique le plus proche, chez les cinglés. Ah !, quelle pub cela ferait : "l'ex-gardien sadique et sa sœur schizophrène ! Les Wetmore s'invitent à Briar Ridge." Cette image la fit ironiquement sourire et, sentant un creux se former dans son estomac, elle déglutit. Peu importe la forme que cela prendrait, il allait se produire quelque chose cette nuit, quelque chose d'affreux !

Nauséeuse, Skylar ferma les paupières et poussa la porte.


6


Quelque chose se produisit en effet cette nuit-là, mais rien que la blonde ne fût seulement en mesure d'imaginer.


7


Assis en tailleurs sur le lit, la tête dans les mains, Percy sanglotait en silence. Lorsque entra dans la chambre pour lui porter un cachet d'aspirine, la posture dans laquelle il était lui évoqua le gosse qu'il fut jadis, boudant dans son coin à la moindre broutille.

Skylar posa le médicament sur le guéridon en acajou massif, s'apprêtant à repartir. Avant qu'elle ne pusse faire un pas, une main tremblante lui retint le poignet. Elle se retourna : son frère adoptif, le teint cadavérique, levait sur elle de grands yeux suppliants. Ses lèvres étaient pincées, quasi-inexistantes, et c'est à peine s'il parvint à articuler ces mots :

"Ne pars pas, je t'en prie... Ne pars plus jamais."

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