VII

<< Lorsque survient un chagrin ou une désillusion, on oublie qu'on oubliera. On le sait pourtant, mais on l'oublie. Tout serait beaucoup plus facile si on s'en souvenait >>, Françoise Dorin (Les lits à une place de Françoise Dorin)

Manifestement très stressé, le neveu du gouverneur lançait deçà-delà des coups d'œil furtifs -du moins, c'est ainsi qu'il voulait les faire paraître- à sa sœur adoptive, laquelle scrutait toujours le cadran. Delacroix entra dans la pièce, et l'atmosphère se fit deux fois plus pesante. La fille droite comme un "i", ne put réprimer un sourire. Elle porta sur le condamné un regard dur, empli de jugement. Certes, ce qu'il s'était passé la veille n'était en rien de sa faute -quoique l'esprit de Skylar était bien trop embrouillé pour se rappeler chaque détail-, mais le Cajun avait osé couvrir de honte Percy. Aussi, ne désirait-elle plus qu'une chose : le voir mourir. Elle avait jadis éprouvé de la pitié pour le pauvre hère, de l'empathie même, ne voyant en lui qu'une pauvre âme égarée tentant au mieux de se raccrocher à la vie via son compagnon de fortune, Mr Jingles. Elle l'avait véritablement pris en affection. Avant...

Enlisée dans sa spirale infernale, la blonde avait momentanément décroché, ne semblant plus qu'une simple enveloppe de chair dépourvue de vie. Ses cils clignèrent enfin, alors qu'elle revenait sur Terre. là-bas, sur le devant de la scène, les comédiens s'activaient dans leur macabre représentation. De sa voix criarde, Percy poussa un "Phase n°1 !" énergique, peut-être un poil trop enjoué. À cet instant, les lumières s'intensifièrent remarquablement, reflétant dans ses yeux exorbités des milliers d'étincelles qui trahirent le plaisir malsain qu'il prenait à faire souffrir autrui. Se reprenant, le jeune homme entama son monologue : "Edouard Delacroix, vous avez été condamné à mort par un jury populaire. La sentence a été prononcée par un juge faisant autorité dans cet Etat. Avez-vous quelque chose à dire avant que la sentence soit exécutée ?" Sur son trône, le forçat priait, pleurait. Et Percy de renchérir : "Edouard Delacroix, vous allez maintenant être électrocuté jusqu'à ce que mort s'en suive, selon les lois de cet Etat. Puisse Dieu avoir pitié de votre âme."


2


Un nouveau coup de tonnerre, bien plus assourdissant que cent cymbales. Et un nouveau bourdonnement atroce perforant les tympans de la journaliste. Bouffées de chaleur, migraine, brûlures, picotements... Tout semblait vouloir présager à Skylar l'horreur imminente du dénouement. Mais elle, figée sur place, n'avait aucun moyen d'y échapper. Y échapper, le voulait-elle seulement ? Au plus profond de son être, deux sentiments diamétralement opposés (la peur et la satisfaction) se livraient bataille. Et aucun des deux partis ne semblait vouloir abandonner le combat... Aussi, Skylar ne cessa de vaciller entre l'horreur et le plaisir durant toute la scène qui suivit. 

La mise à mort à proprement parler ne provoqua aucune réaction d'effarement au sein de l'assemblée -au contraire, certains rires résonnèrent dans la salle... La fumée s'échappant du corps du condamné, en revanche, ne tarda pas à en inquiéter certains.

" C'est normal ?, s'affola une dame.

- Oh, quelle odeur, c'est épouvantable !", reprit une voix. Puis, ce fut une véritable cohue. L'air venant à se faire rare, la blonde s'accroupit dans un coin de la pièce, manquant à plusieurs reprises de se faire piétiner par la foule en panique. Le visage de Del était à présent consumé par les flammes de l'Enfer. Dans son agonie, la jeune reporter fut témoin de la jubilation de son pire ennemi, Wharton. Ses yeux étaient maintenant révulsés, laiteux, fixant un point inexistant de l'univers. Et c'était John Caffey qu'elle voyait désormais, le visage crispé, hurlant de douleur. Et Mr Jingles qui, voulant fuir ce spectacle abominable, se faufilait entre les barreaux... Mais l'image la plus nette de toutes était la transe infernale de Billy The Kid, accompagnée d'un chant lugubre :

" Il est sur le Grill !

Ils sont en train de le cuire !

Ils en font une dinde rôtie !"

"Une dinde rôtie." Ces mots, elle les murmura presque inconsciemment, comme envoûtée par les incantations du forcené.


3


"Il est encore en vie !", s'épouvanta Paul. Sky reprit violemment conscience de la réalité. Ses prunelles s'ancrèrent immédiatement dans celles du coupable, lequel s'était figé sur place devant l'ampleur de son oeuvre. Il tournait le dos à sa victime, de peur d'affronter le démon qu'il venait lui-même d'invoquer. Choc, anxiété, effroi... on n'aurait su dire quelle était l'émotion dominante de Percy à ce moment-là ; ce qu'il n'éprouvait pas néanmoins était à coup sûr le remord.

Malgré la stupeur, les frissons, la migraine, le bourdonnement t incessant, Skylar demeurait étonnement calme. Ses forces vinrent à manquer, et c'est tout juste si elle entendit résonner la voix de Hal Moores : "Du calme, mesdames et messieurs, gardez votre calme !" Bien sûr, c'était peine perdue. Déjà, tout le monde s'était rué sur les portes, pressés de fuir ce cauchemar. Et le martèlement effréné de l'horloge... Trop. C'en était trop pour la pauvre fille. Encore une fois prise au dépourvue, incapable de contrôler la situation, impuissante quant à son don -ou, comme elle préférait le nommer, son maléfice-, elle se rendit enfin à l'évidence : canaliser la folie grandissante de son taré de frère relevait d'une simple illusion, d'une chimère irréalisable à laquelle elle s'était raccrochée dans l'espoir d'oublier sa propre névrose.

Une larme unique coula le long de sa joue gauche.

Elle s'évanouit sur le plancher.


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