VI
<< On peut découvrir en soi, et autour de soi, les moyens qui permettent de revenir à la vie et d'aller de l'avant tout en gardant la mémoire de sa blessure >>, Boris Cyrulnik (De Chair et d'Âme)
<< Cacher ses sentiments pour les oublier, les faire disparaître dans un sourire, mais les faire réapparaître dans un regard. Se cacher derrière son ombre parce qu'on a peur de l'amour, on a peur de souffrir >>, Anonyme
---Quelques jours auparavant---
Cela faisait cinq ans, maintenant. Cinq ans que Skylar était partie. Pendant tout ce temps, elle n'avait cessé d'espérer. Comment ? Comment avait-elle pu être aussi naïve ? Elle prit une grande inspiration avant de sortir de l'appartement. Sa décision étant prise, elle ne pouvait plus faire demi-tour. Elle n'avait jamais eu si peur, néanmoins il n'était pas permis de faire marche arrière ! Se reprenant, elle serra les dents et avança d'un pas décidé dans la rue poussiéreuse. Je n'ai pas le droit de faiblir !
Le déclic, elle l'avait eu la veille. Se réveillant en sursaut, elle murmura un nom : John Caffey. Qui était-il ? Pourquoi lui était-il ainsi apparu ? Ce que Sky savait en revanche, c'était qu'il lui fallait le rencontrer. Sa vision ne lui avait pas appris grand-chose, si ce n'est qu'elle n'était pas seule : ce mystérieux homme était également doté de pouvoirs psychiques. Ainsi, peut-être l'aiderait-elle à retrouver ses parents biologiques ? Skylar avait le sentiment que tout ce que sa tante lui avait raconté n'était su'un tissu de mensonges. Et maintenant, à vingt-trois ans, elle avait vraiment besoin de connaître la vérité sur ses origines. Qui étaient ses parents ? Étaient-ils décédés ? Pourquoi l'avait-ils abandonné ? Était-ce réellement à cause de sa magie ?
Ses pouvoirs, elle les maîtrisait pleinement, désormais. Elle était capable de contrôler la douleur physique (la sienne et celle des autres). Par exemple, elle pouvait créer des illusions parfaites où sa cible s'imaginait mourir. Dans ce cas, elle parvenait à faire en sorte que la sensation paraisse tant réelle que, si elle décidait de faire payer à sa victime le tribut du feu, cette dernière se voyait consumée par les flammes ardentes. Bien sûr, l'hallucination ne fonctionnait que sur la personne visée. Tout autre témoin assistait donc impuissant et pantois à ses soubresauts hystériques et cris de douleur.
La souffrance, Skylar pouvait aussi la faire disparaître, apaisant les gens qu'elle touchait. En elle-même se confrontaient le Bien et le Mal, le chaos et l'harmonie, le Yin et le Yang. Il lui avait fallu du temps avant de complètement apprivoiser son don. Empêtrée dans un tourbillon de sentiments contraires, la jeune femme se questionnait parfois sur la justesse de ses choix.
Un lien invisible semblait la relier à cet homme du nom de John Caffey. Elle n'avait aucune information le concernant. A quoi pouvait-il bien ressembler ? Était-il grand ? Gros ? Maigre ? Elle n'avait aucun indice sur lui, mis à part un nom et la forte intuition qu'il avait toutes les clés en main afin de faire émerger la vérité.
2
Elle s'était donc levée, ce matin, avec l'unique ambition de rencontrer cet homme. Un problème persistait, cependant : Il serait là. Percy. Il serait là, et elle n'aurait aucun moyen de l'éviter. Elle serait alors obligée de faire comme si de rien n'était. Je dois me concentrer sur Caffey, se rabâchait-elle sans grand succès. Me concentrer sur mon but... Faire l'impasse sur... Je ne dois pas montrer... Oublier que je...
Cette chose sur laquelle Skylar ne parvenait pas à mettre les mots, cette vérité qui la faisait tant souffrir, c'était la source même de son malheur. Depuis le tout début, Il avait toujours été là pour elle; à ses côtés, elle n'éprouvait pas le sentiment d'être différente. En réalité, elle était amoureuse de lui dès son plus jeune âge, elle n'avait simplement pas le courage de se l'avouer. Comment allait-il réagir, après tant d'années ? Skylar tremblait, appréhendant le moment fatidique des retrouvailles.
3
La manière dont John Caffey avait opéré avec la souris de Del en laissa plus d'un bouche bée -et pour cause ! La blonde n'en revenait pas. Son cœur battait à tout rompre : la voici, la preuve qu'elle attendait tant ! Elle en était sûre désormais : le prisonnier mettrait la vérité en lumière, et elle saurait enfin tout. Elle saurait qui elle est vraiment. Et elle ne serait plus jamais sous le joug de sa tante.
Mais elle allait devoir patienter avant de s'entretenir avec le géant. Primo, ce n'était pas le jour des visites (le dimanche). Deuxio, elle n'avait rien à faire ici. Et enfin tertio, comme l'avait si bien fait remarquer Harry Terwilliger, "ce n'est pas un endroit pour une femme". Hormis la vieille secrétaire Miss Hannah, aucun membre du sexe faible n'arpentait ces lieux. Seule exception : les exécutions étaient ouvertes à tous -du grand fun pour toute la famille ! Bien sûr, Sky s'accordait ces droits -être la sœur de Percy avait de sérieux avantages !-, passant outre le règlement.
Elle n'avait pas toujours été comme ça (hautaine, froide, sarcastique, prétentieuse... -tous les traits d'une parfaite Wetmore !-). En fait, elle n'agissait de la sorte que dans l'espoir de se donner une certaine contenance. (Car qu'était-elle vraiment, sous ce masque, sinon une enfant brisée ?)
4
Perdue dans ses pensées, la blonde poussa un léger soupir. Dans la cour, derrière la grille, des forçats étaient massés, sifflant à l'attention de la jeune femme. Elle ne les entendait pas. Dean, qui passait justement à proximité, vint s'asseoir à ses côtés.
<< Comment vont vos blessures ?
- Hmm... ?, fit-elle avec désinvolture.
- Vous, euh... Vos mains...
- Oh... >> Elle déglutit en se remémorant les événements de la veille. Après un temps d'hésitation, elle dévoila ses paumes. Meurtries hier, sa peau avait à présent regagné toute son élasticité et sa douceur. Et plus aucune trace d'ongles. << Comment est-ce possible ? >>, le jeune gardien demanda, fasciné et confus. Skylar ne répondit pas. Se passant la main dans les cheveux, elle se mordilla l'intérieur de la joue. Se confier à quelqu'un n'arrangerait en rien sa situation ; et, de toute manière, pouvait-elle seulement lui accorder sa confiance ? D'un léger signe de tête, Dean la rassura : << Je comprends. Vous n'êtes pas obligée de me répondre. >> Elle sourit timidement, comme pour le remercier. C'est à ce moment que se pointa Brutus.
<< Dean, je peux te parler une minute ? >>, demanda t-il de sa voix rauque. Le blond se leva d'un bond et, sans même jeter le moindre regard à Skylar, rejoignit son ami, répandant à chacun de ses pas une mince traînée de poussière.
<< Tu comprends, je ne pense pas qu'ça soit une bonne idée qu'elle reste. Après c'que j'viens de voir avec John, je...
- Ecoute, Brutal. T'es pas le seul à avoir vu ce... (il hésita, chercha ses mots) ce miracle. Mais...
- Non, (il secoua la tête) c'est pas ça qui m'inquiète. Mais si ce gaillard possède d'la magie, pourquoi ce s'rait pas le seul type sur Terre ?
- Tu veux dire que... >> Il jeta un regard nerveux en direction de la fille. Brutal se contenta de hausser les épaules. Et de repartir.
5
Malgré les recommandations du malabar, la journaliste était toujours là, immobile et imperturbable dans sa contemplation du néant absolu. Le crépuscule venait de poindre à l'horizon ; elle n'avait pas bougé d'un pouce depuis ce matin. C'était comme si l'on eut affaire à une statue, seuls les yeux vacillaient, clignotant parfois.
Si personne ne semblait se soucier de l'état de Skylar, Paul Edgecombe se lança nonobstant : << Tu, euh... (il se reprit) vous êtes vraiment certaine de vouloir assister à ça ? >> Par "ça", l'homme entendait bien sûr l'exécution de Delacroix.
<< Je ne vois aucun inconvénient à ce que nous nous tutoyions, Paul >>, dit-elle, un rictus aux lèvres. Puis, ses iris gris-bleu se rivèrent sur le sol sablonneux. Elle ajouta : << Dieu est seul maître de notre destin. Si tel est son désir, nous mourons. Autrefois, Ed a joué avec le feu ; désormais, il doit en payer le prix. Rien n'est jamais gratuit en ce monde ; ce qui se sème se récolte toujours. >>
Les yeux écarquillés, Paul dévisageait son interlocutrice dans l'espoir d'y surprendre ne serait-ce qu'une once d'émotion. Au lieu de cela, sa voix placide restait en suspens ; impossible de connaître le fond de sa pensée. D'ailleurs, comment était-elle au parfum pour le pyromane repentit ? Encore un mystère qui demeurerait irrésolu.
L'heure fatidique arrive bien vite, et Skylar ne pouvait s'empêcher de fixer l'horloge murale. Les spectateurs étaient déjà tous là (ils devaient bien être vingt-cinq), confortablement assis sur leur chaise. Devant eux trônait LA Chaise, Miss 100 000 volts pour les intimes. Accrochée aux bras de son mari, une gonzesse ricanait. Plus loin dans la salle, un jeune couple roucoulait. Bref, l'ambiance était on-ne-peut-plus conviviale !
Un coup de tonnerre retentit. Les chuchotements devinrent de plus en plus forts au fur et à mesure qu'avançaient les secondes. Silencieux au milieu de toute cette foule, le directeur Moores ne quittait pas des yeux la Rôtisseuse. L'orage sévit encore, faisant craquer la charpente de la réserve.
Et, maître de cérémonie, parfait dans son uniforme bleu marine et surplombant l'assemblée, Percy.
________________________________________________________________________________Voilà ! Dîtes-moi ce que vous en pensez, je suis impatiente de connaître votre
avis ! :)
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