IX
<< Toute existence connaît son jour de trauma primal, qui divise cette vie en un avant et un après et dont le souvenir même furtif suffit à figer dans une terreur irrationnelle, animale et inguérissable >>, Amélie Nothomb (Stupeurs et tremblements)
1
Ils étaient restés assis là sans mot dire, dans les bras l'un de l'autre ; et plus rien n'avait d'importance. Lui, pleurait silencieusement. Elle, souriait d'une façon peu naturelle, malgré l'angoisse, malgré le tonnerre assourdissant, malgré la colère aussi ; elle souriait d'une façon triomphale, comme si elle venait de remporter la plus haute distinction.
Elle sentit son cœur se serrer, ses yeux piquer. Elle versa une larme unique, une larme où se mêlaient soulagement et culpabilité, la larme d'un vétéran qui vient de livrer la plus éprouvante des batailles, heureux de sortir vainqueur, mais conscient des sacrifices et pertes inéluctables.
Les pupilles de Skylar se dilatèrent quelque peu, très légèrement ; néanmoins, son frère sembla s'en rendre compte par Dieu-sait-quel prodige, car il se leva d'un bond. Un éclair zébra le ciel, éclairant le visage de Skylar d'un halo de lumière blanche. Elle se redressa à son tour, plus jeune et divine que jamais. Percy déglutit et recula d'un pas. Sa sœur s'avança, l'œil brillant.
"Percy ?" Le concerné ne répondit pas. Sky prit alors son courage à deux mains, et...
2
Elle était si belle dans sa robe de satin rouge-orangé ! L'orage grondait, menaçant. Sa longue chevelure auburn flottant dans son dos, la jeune femme tournait sur elle-même. Resplendissante, elle faisait onduler son corps au rythme de la musique, son sourire chaleureux soulevant tous les cœurs. Réellement rayonnante, elle s'enivrait dans la danse, oubliant le monde autour. Au comptoir, tous la regardaient, hypnotisés par tant de grâce. Qu'elle était sublime ! Des étincelles dans les yeux, son mari l'enlaça. "Tu es magnifique", murmura-t-il. Elle ferma les paupières, l'embrassa et, l'espace d'un instant, la Terre s'arrêta de tourner.
C'est alors que Jason Morton fit une entrée littéralement fracassante -la porte se décrocha de ses gonds et alla frapper le mur si violemment qu'un gros bout de la poignée céda- dans le petit bar, hurlant comme possédé : "OU SONT-ILS ? OU SONT-IL, QUE JE LES BUTE ??!"
3
Les yeux ronds comme des soucoupes, le neveu du gouverneur retira brusquement ses lèvres de celles de Skylar, laquelle était à présent plus rouge qu'une pivoine. "Qu-Qu'est-ce que tu fais ?", s'esclaffa-t-il dans un cri étouffé.
Baissant la tête, la blonde murmura avec un petit rire nerveux : "Je t'embrasse, crétin".
4
Figés par la peur et la surprise, les clients du bar n'étaient plus qu'enveloppes vides. Après ce qui sembla être une éternité, le gérant se rua sur le téléphone -nouvellement installé- ; à peine eut-il le temps de composer les premiers chiffres que la barre de fer vint se loger dans son crâne. L'orage frappa ; tout ne fut alors que cris et débandade. Le balourd s'avança, fusillant du regard les deux amoureux. Puis, dans un rire dément, il exhiba ses dents pourries, hurlant. "SALOPE ! SALOPE, TU VAS CREVER !!!"
Sans se retourner, sa longue chevelure rousse courant sur ses épaules, la jeune femme fila vers la sortie. Elle n'avait que faire de la pluie ; tout ce qu'elle voulait, c'était fuir cette scène cauchemardesque. Son mari était encore à l'intérieur, à se battre contre cette espèce de brute. Qu'allait-il advenir de lui ? Et s'il mourait ? Et si...
La porte -ou ce qu'il en restait- claqua, l'ombre du meurtrier rampant sur les murs décrépis. Son arme, tachée de sang frais, luisait dans l'obscurité de la nuit. La femme haletait, se tordait les pieds sur les pavés. Elle continua sa folle course jusqu'à ne plus pouvoir tenir debout, et s'arrêta derrière une usine désaffectée. Collée à la paroi de briques, elle respirait à pleins poumons, ses côtés la faisant terriblement souffrir.
Garder le silence, pensait-elle. Surtout, ne pas sortir de cette cachette. Ne pas bouger, ne pas bouger.
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