<< Le chagrin aiguise les sens; il semble que tout se grave mieux dans les regards, après que les pleurs ont lavé les traces fanées des souvenirs >>, Romain Rolland (Jean-Christophe)

1

<< Ouiiiiin ! >>, braillait le bébé, que le fracas du verre venait de tirer de son sommeil. le pauvre, terrifié, manquait de s'étouffer dans ses sanglots. <<Ouiiin, ouiiin ! >>, criait-il, chaque fois plus fort.

La femme n'eut pas la moindre réaction, se contentant de fixer le néant. Puis, prise de spasmes, elle se laissa choir au sol. Des deux, ce fut la petite qui agit adulte : elle sauta du lit, et quoiqu'elle comprit -une rivière de larmes maculait son visage-,gagna à grandes enjambées la chambre du bambin. Toute la nuit, elle resta à son chevet, le berçant, lui comptant des histoires. << Shhh... 'Faut pas avoir peur. Je suis là, tout va bien... >>, murmura t-elle de sa voix cassée.

Du haut de ses quatre ans, elle paraissait étonnement plus âgée; non pas qu'elle eut des rides, mais de par son exceptionnelle maturité, on lui donnait facile le double. << Ne pleures pas >>, avait-elle dit, ignorant au mieux la souffrance qui la rongeait. Elle glissa ses petites mains dans les cheveux fins de son protégé et entonna une comptine :

Petite lumière du matin,

Brille, brille au bord de mon cœur.

Petite lumière du matin,

Brille, brille dans mes mains.

Petite lumière du matin,

Brille, brille au bord de mon cœur.

Petite lumière du matin,

Chasse, chasse mon chagrin.

Et, ensorcelée par ses propres paroles, elle s'écroula sur le parquet.

Lorsqu'elle émergea de son sommeil, le sol lui sembla s'agiter, comme s'il allait bientôt se dérober sous ses pieds. La gamine se redressa (non sans effort) et se dirigea vers le lit du petit.

Vide.

2

Skylar s'observa dans la glace : un vrai monstre ! Elle avait tant frotté ses yeux qu'ils étaient devenus rouge sang, et sa tignasse en bataille ne lui laissait plus qu'un demi-visage. Elle s'aspergea frénétiquement d'eau fraîche. Encore ce maudit rêve...

Soudain, l'idée lui vint : elle devait connaître la vérité ! Et c'est ainsi, qu'espérant trouver un quelconque indice sur l'identité de ses parents biologiques, elle se mit à retourner la maison; le moindre tiroir, le moindre recoin. Ouvrant le buffet, elle sourit -mais pas d'un sourire béat et candide, non... d'un sourire nerveux empli d'appréhension. Ses yeux bouffis s'écarquillèrent de surprise : au lieu d'y trouver l'album photos escompté, rien. Rien que du vide et de la poussière. A coup sûr, ce salaud l'aura brûlé ! Elle serra les poings, enragée et morte de fatigue, laissant échapper un torrent de larmes. Comment pouvait-il se montrer si égoïste ?

Il la retrouva le matin suivant, affalée sur le canapé de la grand-salle. Elle semblait si crevée... comme si elle avait passé sa nuit à pleurer. Et c'était effectivement le cas, bien qu'il s'en moquât éperdument.

Il faisait les cent pas, répétant inlassablement le même refrain.

<< Edouard Delacroix... électrocuté (à demi-réveillée, elle ne saisissait que des bribes)...mort s'en suive...lois de cet Etat >>

Et sans prévenir, il gueula :

<<MERDE ! MERDE ! MERDE !!! >>

Il lui arracha des mains l'unique tirage qu'elle avait -après plus de deux heures de recherches intensives- réussi à dénicher. Sans explication, il le déchira et le jeta dans l'âtre.

<< Non ! Arrête ! , pleurnicha t-elle.

- Trop tard ! Oups... >>

Elle se retint de l'étrangler. Comment avait-il pu changer à ce point ? Lui qui était si gentil, si adorable, comment avait-il pu se métamorphoser ainsi en un être si sadique et imbu de lui-même ? Elle se remémora le bon vieux temps où Percy et elle étaient véritablement frère et sœur; quand ils jouaient à cache-cache ou à chat perché, qu'ils chipaient les pommes du voisin, qu'ils s'émerveillaient devant un arc-en-ciel... Ah, il était loin, le temps de l'insouciance !

Elle avait pourtant tenté de renouer le dialogue.

<< Et donc... tu travailles là-bas depuis longtemps ? >>, avait-elle demandé, n'obtenant en guise de réponse qu'un soupir dédaigneux.

La réalité la rappela vite à l'ordre.

<< Ne t'avises surtout pas de venir me déranger ! >>, jappa t-il en claquant la porte. Alors voilà comment il la voyait : une source de dérangement ?

Skylar fronça les sourcils. Elle ne se laisserait pas abattre si facilement ! Et elle comptait bien le faire savoir.