CHAPITRE UN
MARGAUX
« à mes risques et périls de t'aimer »
La librairie est vide depuis maintenant quelques heures. L'orage qui était tombé brutalement sur la ville a chassé les quelques visiteurs qui auraient pu s'engouffrer au sein de la librairie café. J'avoue que j'en profite pour avancer ma lecture actuelle. La livraison a été réceptionné, les différents ouvrages ont été insérés en rayon, j'ai envoyé un message aux clients qui ont reçu leurs commandes en magasin, j'ai tout nettoyé, rangé les livres bien alignés les uns par rapport aux autres. Je mérite bien quelques minutes de repos alors que je suis seule par temps d'orage. Michelle, la propriétaire de la librairie, m'a laissé seule pour le reste de la journée dès que la pluie a commencé. Il n'y avait personne chez elle, et elle avait laissé les fenêtres ouvertes pour aérer. Elle sait qu'elle peut compter sur moi pour tenir la boutique correctement.
J'ai postulé il y a un an maintenant dans cette jolie librairie de centre ville. J'avoue que j'y suis allée au culot, en lui disant que je pouvais lui permettre d'élargir sa clientèle puisque je suis d'une autre génération qu'elle, que je peux m'occuper des réseaux pour faire connaître son commerce, et que vu son âge, elle avait bien besoin d'une personne pour la seconder et la soulager. Soit ça passait, soit ça cassait. Et par bonheur, elle a accepté. J'ai créé plusieurs comptes sur les différents réseaux pour pouvoir toucher un public plus large, je me suis chargée de l'implantation d'un rayon manga, young adult, new adult et autres. En quelques semaines, nous avons vu une nouvelle clientèle venir, prendre un café, un dessert, tout en lisant avant de repartir avec quelques ouvrages sous le bras. Et j'avais gagné mon CDI ainsi.
Alors que je suis plongée dans une énièmes relecture de Percy Jackson, mon univers préféré, j'entends la porte s'ouvrir. Instinctivement, je relève la tête, prépare mon plus grand sourire et me redresse sur ma chaise.
— Bonjour, et bienvenue à l'Antre des Rêveurs.
Alors que je vais pour continuer mon speech, je reconnais ce visage. Heureusement que je suis assise, je pense que sinon je serai tombée comme une grosse merde. Ma main serre le stylo que je tiens toujours par pure habitude, mon souffle se coupe, et mon cœur rate un battement. Ça ne dure qu'une seconde pour que je me reprenne, forçant mon visage à rester souriant et je continue d'une voix posée.
— N'hésitez pas si vous avez la moindre question.
Mais malgré tout mes efforts, je ne peux détourner les yeux. Ce n'est pas possible. Je rêve. Ou je cauchemarde, au choix. Et je sais qu'il m'a aussi reconnu car il reste sur le pas de la porte, les bras ballants, les sourcils froncés et il me détaille du regard. Quand nos prunelles se rencontrent, je revois tous nos moments ensemble. Nos fous rires, nos engueulades, nos contacts. Ce mec est gravé sous ma peau, dans la moindre parcelle de mon corps. Mon cerveau se remémore exactement le grain de sa voix, cette façon dont elle se brise à la fin de ses phrases, son sourire en coin qui fait apparaître cette fossette pour laquelle je pourrais brûler en enfer sans hésiter un instant.
Mais nous sommes coupés par l'enfant qui l'accompagne, qui doit être âgé de dix ans tout au plus.
— Jules ! Regarde, il y a Naruto là !
Le gamin se précipite sur mon rayon manga et se met rapidement à parcourir tous les tomes d'un des shonens les plus vendus.
Jules.
Jules.
Je saisis d'une main tremblante la bouteille d'eau que je garde à côté de l'ordinateur et bois une grande gorgée, pour tenter de me remettre les idées en place.
Je ne pensais plus jamais le revoir. La dernière fois qu'on s'est parlé, on a décidé de couper définitivement les ponts, se bloquant l'un l'autre de partout pour être sûr de ne pas être tenté. Après ça, il était parti faire ses études dans une autre ville, et j'étais restée là, avec juste ma peine pour royaume. C'était il y a plus de cinq ans maintenant.
Il n'a pas spécialement changé. Il porte les cheveux légèrement plus longs, laissant ses ondulations brunes tomber sur son front, avec une légère barbe de trois jours. Il est plus musclé aussi. Il a toujours cette cicatrice sous l'œil droit, souvenir d'un cours de sport quand on était en quatrième. Jules ne ressemble plus à l'adolescent perdu qu'il était autrefois, fou amoureux de ma personne, alors que je l'ai tant fait souffrir. Il se tient droit, semble plus assuré, plus mature aussi. Et je culpabilise pour tout ce que je lui ai fait subir. Qu'est-ce que j'ai pu être mauvaise envers lui ! Je lui ai fait payer toute la colère que je ressentais envers le monde, parce qu'il avait été le seul à ne pas m'avoir lâché quand j'avais sombré. Je m'étais déchaînée sur lui pendant plusieurs années.
Je sais que je l'ai abîmé, que j'ai écorché son âme, que j'ai sûrement créé des peurs et blessures au plus profond de lui. Je le sais, je l'ai vu dans ses yeux la dernière fois qu'on a tenté de recoller les morceaux. Il gardait trop de rancunes envers moi, et il lui était impossible de me faire confiance.
J'ai été un monstre.
— Tu dis rien à Lina ! Elle va me tuer !
— Promis.
L'enfant se rapproche de moi, avec cinq mangas dans les bras et les poses sur le comptoir. Je tente de garder mes moyens et les scans un par un, tout en évitant soigneusement de croiser son regard. J'ai peur de ce que je peux y voir, et surtout ce que moi, je peux interpréter, qui peut être bien éloigné de la réalité.
— Trente quatre euros cinquante, s'il vous plaît.
— Par carte.
Je tends le terminal dans sa direction alors qu'il pose sa CB dessus, effleurant mes doigts. Je retire ma main brusquement, comme si sa peau venait de me brûler. Je me concentre pour ne pas trembler alors que je déchire le ticket de carte avant de lui tendre. L'enfant continue de parler alors que Jules ne réponds que par des onomatopées et que je me force à regarder partout sauf son visage. Mais je ne peux m'empêcher mes prunelles de se poser sur son dos alors qu'ils quittent enfin la librairie. Et quand la porte se referme derrière lui, il tourne la tête dans ma direction et me fixe à travers la vitre.
Vite, je fais semblant d'avoir quelques choses à faire dans l'arrière boutique et je me sauve de son regard. Il n'aurait pas pu ne jamais revenir ? Il me fallait encore du temps pour totalement l'oublier. Maintenant c'est foutu. C'est foutu...
Jules.
Jules.
Jules et Margaux, c'est pas une jolie histoire. Elle ne fera jamais rêver personne, elle n'est même pas digne d'être écrite dans un livre. C'était d'ailleurs sûrement trop intense pour deux gamins perdus comme nous. Moi je brûlais trop fort et il était trop près.
Putain.
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