CHAPITRE SIX
JULES
« j'essaie»
J'ai passé la journée à me prendre la tête et j'ai tout sauf été productif. J'me suis foiré dans mes calculs, dans mes tests, et j'ai sûrement retardé l'équipe. C'est ce genre de jour où il vaut mieux ne pas se réveiller, parce que de toute façon, elle n'apporte rien de bon.
Je suis rentré chez moi, et seul avec moi-même, je me suis rendu compte qu'au final, c'était encore pire que tout. Je ne faisais que tourner en rond en ressassant de vieux souvenirs que j'avais pris soin de ranger dans un tout petit coin de ma mémoire. Mais à force de les tasser, ils ont voulu reprendre leurs droits et je me suis retrouvé submergé.
En même temps, à quoi je m'attendais en essayant d'oublier treize ans de ma vie ? Enfin, si on enlève les cinq années où on ne s'est pas vu, nous ne sommes plus qu'à huit ans de relation plus ou moins bancale. Dès que je l'ai rencontré, j'en suis tombé amoureux. Mais je n'avais que douze ans, je ne comprenais pas, et je pensais que le meilleur moyen pour qu'elle comprenne, c'était l'embêter à longueur de temps. Mais elle était ma meilleure amie, ce qui a tout compliqué. Quand on est arrivé au lycée, tout a dérapé beaucoup trop vite. On s'est retrouvés séparés et au final, Margaux s'est mise à traîner avec ce groupe de gars pas très fréquentable. Elle s'est mise à fumer, clope et joint, sortait en soirée, se mettait toujours dans un état encore plus minable. Puis je l'ai vu commencer à sortir avec ce gars que je ne pouvais pas encadrer. Il se servait clairement d'elle. J'ai dû intervenir et comme un abruti, je n'ai pas su garder mes sentiments pour moi. Ils ont débordé face à la colère que je pouvais lire dans ses yeux.
— Mais qu'est-ce que ça peut te faire que je sorte avec Thibs ? me répétait-elle encore et encore depuis dix minutes que je tentais de lui expliquer.
— Il te change ! Mais regarde ce que tu es devenue !
— Mais toi, toi, qu'est-ce que ça peut te foutre de me voir changer ? Pourquoi Antoine, lui, ça ne lui change rien à sa vie. Dis-le !
— Tu comprends rien, ça sert à rien.
J'aurais du comprendre ce qu'elle cherchait à comment elle m'a retenu. J'aurais du comprendre à la manière dont elle me poussait à bout. J'ai appris bien après qu'elle cherchait juste à me faire dire ce qu'elle espérait entendre, ce qu'elle espérait être vrai. Et elle avait eu raison, et sûrement qu'elle avait ainsi gagné la première bataille.
Margaux m'avait attrapé par le col de mon pull et s'était rapprochée de moi. On avait l'habitude d'être tactile, pour moi, c'était banale. Alors je n'avais rien vu d'étrange dans la manière qu'elle avait de faire. J'aurais dû.
— Dis-le moi. Jules, dis-le.
— Te dire quoi ? Que je t'aime et que ça me fait chier de te voir t'auto détruire ? Ses yeux s'étaient illuminés. Je t'aime, depuis longtemps, mais tu n'as jamais rien vu. Ça sert à quoi que je te le dise aujourd'hui !
Elle souffla de soulagement. J'aurai dû comprendre que j'étais totalement pris au piège.
— Redis-le, chuchota-t-elle.
— De ?
Elle plongea ses yeux dans les miens et je me suis retrouvé perdu dans ses prunelles grises. Elle n'était plus qu'à quelques centimètres de mon visage et je n'avais qu'à me baisser légèrement pour enfin toucher ce dont je rêvais chaque nuit. Je n'avais qu'à me baisser légèrement pour enfin découvrir la sensation de ses lèvres contre les miennes. Je sentis sa main relâcher mon col pour se poser sur ma joue et de son pouce, elle traçait des cercles. Je fermais les yeux, tentant de reprendre mon souffle. J'avais l'impression que la terre s'éventrait sous moi, que j'allais tomber de plus d'une centaine de mètres. Ça m'en retourna l'estomac.
— S'il te plaît, Jules. Dis-le encore.
L'autre main de Margaux se posa sur l'arrière de mon crâne, s'emmêlant dans mes cheveux. Elle appuya légèrement, m'obligeant à poser mon front contre le sien. Nos nez se touchaient et je me disais que j'étais en plein rêve. Tout ceci ne pouvait pas être vrai.
— Jules, me supplia-t-elle.
J'ouvris les yeux et comme un con, au lieu de répondre, je déposais enfin mes lèvres contre les siennes. Une explosion de sens se bousculèrent dans mon corps. J'étais totalement incapable de dire qui j'étais et où je me trouvais. Il n'y avait plus qu'elle et moi.
Margaux et Jules.
Nous deux contre le reste du monde comme ça aurait dû l'être depuis longtemps.
Après quelques secondes qui me parurent une éternité, je décidais de nous laisser reprendre notre souffle. On resta ainsi, front contre front pendant quelques secondes, les yeux toujours fermés pour ma part. J'étais terrifié à l'idée de les ouvrir et de voir que je venais de tout gâcher entre nous deux. Et si elle ne ressentait pas la même chose que moi ? J'aurai alors jeté trois ans d'amitié à la poubelle.
Alors je n'osais plus bouger, les bras à quelques centimètres de son corps, ne la touchant pas pour éviter la moindre connerie.
C'est Margaux qui m'embrassa la seconde fois. Ses mains attrapèrent mon visage et elle se jeta sur ma bouche comme si j'étais sa dose d'oxygène. L'adolescente n'était pas connue pour sa patience, mais là ça donnait l'impression que c'était une question de vie ou de mort.
Et moi, je n'étais qu'un gamin de quinze ans, torturé par ses hormones alors je m'étais jeté dans la gueule du loup. Alors que nos lèvres s'entrouvraient, que nos langues commençaient à se chercher, je déposais une main dans le creux de ses reins et de l'autre je me glissais dans l'arrière de sa nuque, saisissant quelques mèches de cheveux entre mes doigts.
On s'était retrouvé dans notre endroit préféré pour traîner. C'était pas très loin de chez moi, un petit pont sous un vieux chemin de fer. Il n'y avait que des champs autour de nous. Instinctivement, je la poussais contre l'une des parois taguées du pont, la bloquant contre moi. Je découvrais l'envie de son corps alors qu'elle se cambrait pour qu'un maximum de millimètres de nos corps soient en contact.
Nous étions que deux gamins qui n'avaient jamais ressenti ça auparavant. Mais je venais de vendre mon âme au diable.
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