CHAPITRE CINQ

JULES
« nos âmes hantées »

Une partie de moi doit aimer se faire du mal. C'est obligé vu la direction que je prends actuellement. C'est l'anniversaire du petit frère de Lina, Enzo. Vu qu'il adore les mangas, je me suis dit pourquoi pas lui offrir de nouveaux tomes. Mais de toutes les librairies présentes dans la ville, j'ai choisi une en particulier. Celle où travaille Margaux.

J'ai presque envie de me flinguer dans ces moments-là. J'ai passé presque cinq ans de ma vie en étant loin d'elle, et même si parfois je ressentais le besoin de lui parler, ne pas pouvoir lui envoyer de message car je savais qu'elle m'avait bloqué était une véritable torture, j'ai tenu le choc. J'ai tourné la page de notre histoire, j'ai refait ma vie, j'ai trouvé une fille géniale. Et...

Et tout viens de se casser la gueule.

Elle est là, toujours identique à mes souvenirs et pourtant tellement différente de la fille que j'ai laissé derrière moi. J'ai en même temps l'impression de la connaître par cœur et d'avoir à faire face à une totale inconnue. Je peux reproduire le son de son rire sans l'entendre. Je la vois bien, à travers la vitre, se marrer avec un jeune homme d'environ notre âge que je ne connais pas. Je sais qu'elle va faire ce petit mouvement de la tête qu'elle fait depuis le collège pour instinctivement remettre ses cheveux derrière ses épaules. Je ne suis même pas sûr qu'elle se rende compte qu'elle a cette habitude.

Et quand elle pause sa paume de main sur l'épaule de son interlocuteur, je me réveille de ma contemplation et décide d'enfin rentrer. La cloche sonne et elle donne un rapide coup d'œil vers moi. Je vois son sourire s'éteindre quand elle me reconnaît et elle chuchote quelque chose au jeune homme avant de s'approcher de moi.

— Bonjour, Jules. Tu as besoin de quelque chose ?

Une pensée intrusive fait son apparition et je lutte contre moi-même pour la repousser dans un coin de ma tête

Toi.

Toi.

Toi.

Sauf que ce n'est pas possible. Je ne peux pas avoir Margaux. Je ne peux plus l'avoir, et ça, ça me fait terriblement chier.

— C'est qui ?

Ces mots sont sortis plus vite que je n'ai eu le temps de penser. Et je vois très bien que ça la perturbe par la manière dont elle fronce les sourcils en gardant la bouche légèrement entrouverte. En quoi ça me regarde d'ailleurs ? Mais une partie de moi hurle que c'est totalement intolérable qu'elle ose me remplacer après tout ce qu'on a vécu ensemble, qu'elle piétine nos moments à deux.

— Je... Excuses-moi, je n'aurai pas dû demander, ça me regarde pas.
— Effectivement. Ma vie ne te regarde plus, Jules.

À la manière dont elle prononce mon prénom, de sa voix légèrement éraillée à cause du nombre de fois où elle l'a brisé, du nombre de clopes fumées, je sais qu'elle est énervée. Elle claque de la langue en terminant sa phrase, redresse ses épaules et elle me toise du regard. Margaux est l'une des filles les plus grandes que je connaisse. Je ne sais pas exactement combien elle mesure, mais je peux vous dire que du haut de mon mètre quatre vingt dix, je ne lui mets à peine plus qu'une demi-tête.

— J'aimerai que tu me dises ce que tu veux, sinon il vaudrait mieux que tu partes.
— Je sais, je...
— Tu quoi ? T'as une copine abruti. Arrête de faire de la merde et de me rejeter la faute dessus.

Dans un sens, elle n'a pas tord. La dernière fois que j'ai trompé ma copine avec Margaux, je lui ai rejeté la faute dessus. Je n'ai pas voulu admettre que j'étais faible en sa présence et j'ai préféré croire et faire croire qu'elle m'avait manipulé, utilisé et qu'au final, elle n'avait pas changé d'un poil.

— Je venais juste voir ton rayon manga pour offrir... Elle ne me laisse pas terminer ma phrase.
— Tu sais où il est, j'ai pas besoin de t'accompagner.

Son ton est froid et cassant. Je sais que je n'aurai pas un mot de plus de sa part, et elle me laisse là pour repartir dans la partie café de la librairie, parler avec le jeune homme dont je ne connais toujours pas l'identité. Pourquoi ça me saoule autant ?

Pourquoi lorsqu'elle est dans les parages, c'est la pire version de moi-même qui ressort. Jaloux, possessif, irritable, susceptible et j'en passe. Je déteste celui que je suis en sa présence. Je me déteste d'agir comme ça lorsque Margaux entre dans l'équation.

J'inspire un grand coup et je me décide d'agir en adulte. Je rejoins le rayon manga et je parcours les différentes collections des yeux, j'en prends certains en main, lis le résumé, je fais une recherche internet pour regarder les avis et je finis par me décider. Quand je me dirige vers la caisse, le jeune homme quitte la boutique et Margaux reprends sa place derrière le comptoir.

Ça lui va bien de travailler ici. Je n'imaginais vraiment pas mieux pour elle, sauf si, tenir sa propre librairie mais peut-être que ça arrivera plus tard. Finalement, elle exerce le métier dont elle avait toujours rêvé. Ou du moins, celui qu'elle avait de plus réalisable. Non parce que Margaux a rêvé de beaucoup de choses, mais certaines n'étaient destinées à ne rester que des rêves.

Comme nous.

Je dépose les mangas choisis devant elle, et sans me regarder, elle les scanne un par un, les yeux figés sur la caisse comme si elle allait lui répondre.

— Vous voulez régler comment ?
— Débloque-moi.

C'est bon, officiellement, je deviens fou. J'ai un grain c'est clair et net. Mais cette fille me fait perdre totalement les pédales.

Elle me dévisage quelques secondes, surprise, avant de secouer la tête, les sourcils froncés.

— Non. Dans tous les cas, je ne peux pas, toi aussi tu m'as bloqué.
— Alors on le fait en même temps. Elle secoue la tête. Pourquoi ?
— Qu'est-ce qu'on aurait à se dire, Jules ? Réfléchis bien à ce que tu me demandes et ce que cela t'apportera. Si toi, t'as pas eu ton compte, moi, j'ai assez donné. C'est définitivement fini.

Je baisse les yeux. Qu'est-ce que ça m'apportera ? Voir sa vie quand je veux. Pouvoir lui parler quand j'en ai besoin. Mais dans un sens, elle a raison. On s'est fait assez de mal et j'ai Lina. Je ne veux pas foirer avec elle.

— Par carte.

Elle me tend le tpe et je dépose mon téléphone dessus. On prends soin de ne pas se toucher, ne pas s'effleurer et elle finit par me tendre le sac avec mes achats. Et je repars de là encore plus perturbé que je ne l'étais déjà.

Je suis foutu.

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