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Audric
La colère est sentiment dangereux. Elle peut être fugace, comme elle peut être tenace, chez moi c'est plutôt la deuxième option. Je suis un homme remplit de colère parce que j'étais un enfant plein de haine. Ce sentiment ne nous quitte pas comme ça, sur un claquement de doigt ou parce qu'on l'a décidé. Non, ce sentiment nous ronge de l'intérieur jusqu'à ce que l'on explose.
Pour extérioriser ma colère, j'ai toujours eu les mêmes technique : me battre. La première fois que j'ai joué des poings, j'avais six ans, c'était environ une semaine après le départ de mon père. Ensuite, je me souviens m'être encore battu après la mort de Jayden, mon frère. Et lorsque j'ai eu onze ans, me battre fut le seul moyen de faire sortir toute la colère que j'avais en moi. Pas très malin, mais très efficace dans mon cas.
A quatorze ans, après une vraie bagarre de rue avec des idiots d'un collège minable où je me trouvais, j'ai rencontré Stan. Ah, ce bon vieux Stan. Il avait dix-sept ans, une allure de mec de la rue et surtout un endroit où je pouvais me battre, et en plus de ça gagner du fric. Que demander de plus ?
Si j'avais su qu'après tout ça, j'aurai finis en garde à vue, puis chez Jenks et Jake, rencontrer Peyton et finir en prison par amour... franchement, j'aurai bien rigolé. Parce qu'il faut avouer, que c'est plutôt digne d'un livre pour ado mon histoire. Mais a dire vrai, si tout était à refaire... je referai exactement la même.
- Monsieur, vous comptez sortir de cette voiture un jour ?
Je quitte des yeux le bâtiment que je fixai depuis tout à l'heure et observe la petite nana qui tapote au carreau de la Mustang.
Je n'ai pas envie de quitter cette voiture mais pourtant, je suis venu ici bien déterminé à entrer dans ce foutu bâtiment qui me fait face.
- Parce que c'est un parking avec une durée limitée, donc, soit vous rentrez dans le bâtiment, soit vous quittez le parking.
Je hoche la tête et démarre la voiture, passe la marche arrière, sort de la place puis jette un œil à la façade blanche avant de pousser un soupir et de me garer à nouveau.
- Il faudrait vous décidez... soupire l'infirmière.
- Va chier... Marmonné-je en claquant la porte.
Fébrilement, je sors une clope de son paquet et essaie de l'allumer en vain, jusqu'à ce qu'une flamme jaillisse devant mes yeux. J'embrase le bâton blanc et hoche le menton en direction de l'infirmière devant mon nez.
- Ça va monsieur ?
- T'en as d'autres des questions cons ?
- Ok, d'accord...
Je soupire, ce n'est pas parce que j'ai les nerfs que je dois m'en prendre à la Terre entière... avisant un banc, je m'y installe et me penche, les coudes sur les cuisses puis fais craquer ma nuque.
- 'scuse, marmonné-je, les yeux baissés.
- Je peux m'asseoir ?
Je hoche une nouvelle fois le menton et me redresse, le dos bien calé contre le dossier. L'infirmière croise ses jambes et me sourit en allumant sa propre cigarette.
- Eléa.
- Audric.
Nous échangeons une poignée de mains, et elle se met à me fixer intensément. Merde, je lui ai même pas sourit, pourquoi elle me mate elle ?
- Audric Baker pas vrai ? Le mec qui est allé en prison pour sa nana ?
- Sans déconner... soupiré-je, t'es obligé de m'en parler ?
Je tire avidement sur ma clope alors qu'elle se marre, amusée pe je-ne-sais-quoi.
- J'étais une des infirmières de ta copine avant de finir ici.
- Sérieux ?!
Je la regarde choqué, elle s'est occupée de ma petite intello pendant son séjour à l'hôpital après la fusillade... elle hoche la tête et me sourit.
- Très sympa, sale caractère mais très sympa.
- Merci. Pour l'avoir soigner hein, pas pour le faux compliment.
Elle se marre encore puis se lève en tirant une dernière latte de sa cigarette. J'en fais de même et nous prenons la direction du bâtiment, l'hôpital spécialisé dans les troubles.
- Au fait, c'est Madame Baker que tu viens voir ?
- Ouais.
- Chambre 313.
Nouveau hochement du menton de ma part, un sourire de son côté et elle enfonce les mains dans les poches de sa blouse avant de partir, me laissant seul devant l'ascenseur.
Bon, si je suis pas trop con, c'est au troisième étage. J'entre dans la cage de métal et appuis sur le bouton marque du « 3 » puis me laisse aller contre la paroi froide et lisse. J'ai approximativement deux minutes pour me calmer.
Inspire. Expire.
Je souffle plusieurs fois, essayant de ralentir les battements anarchique de mon cœur qui semble s'emballer de plus en plus. J'ai besoin d'aller voir ma mère, mais je sais pas dans quel état je vais sortir de là, émotionnellement parlant...
Lorsque je m'avance dans le couloir c'est comme si le monde était flou autour de moi, un monde coton qui m'aspirer jusqu'à ce que je sombre. Je me laisse aller contre le mur et m'accroupis pendant un moment, jusqu'à ce que je sente mes jambes s'engourdirent, je reprends mon souffle, des exercices de respirations qui sont censés me calmer.
- Allez, Baker ! Secoue-toi ! Me dis-je à voix basse. Plus vite ça sera fait, plus vite tu retrouvera Peyton.
- Vous allez bien ?
Je mate de travers la nouvelle infirmière qui passe avec son chariot devant mon nez, qui me lance un regard bizarre, comme si j'étais cinglé.
Ah ouais, parler tout seul dans un hôpital où il a une aile psychiatrique, c'est pas vraiment une bonne idée.
- Ouais.
Je me relève et secoue la tête en passant devant elle, cherchant des yeux la chambre de ma mère. Lorsqu'enfin je la trouve, je jette un œil par la petite fenêtre sur la porte et mon cœur se bloque dans ma poitrine. Elle est là, assise sur son lit, un jeu de carte devant elle, le visage inexpressif. Elle ressemble... elle ressemble tellement à la mère qui m'a abandonné que j'en ai le souffle coupé.
Soudain, elle lève la tête et me vois, toujours planqué derrière la porte et cette satanée vitre en plastique, résigné et acculé, je décide d'entrer.
- Bonjour, lance-t-elle joyeusement, vous êtes le nouveau médecin ?
Ah.
Je reste un instant silencieux, puis la regarde les sourcils froncés.
- Seulement neuf années sont passées et tu ne reconnais déjà plus ton fils ? Bravo...
Et voilà, la colère est de retour, plus forte que jamais.
- Audric ? Oh mon dieu, Audric ! Je... tu... tu as tellement changé.
Ses yeux se brouillent de larmes mais je suis comme anesthésié, ses états d'âmes ne me font rien, si ce n'est me mettre encore plus la haine.
- Toi pas du tout. Tu es toujours la même qui m'a abandonnée.
Waouh. Cela fait un drôle d'effet de lui dire ça, de lui balancer au visage qu'elle m'a laissé alors que je n'étais qu'un gosse.
Ses lèvres se pincent et elle me fusille du regard, comme quand j'étais môme et qu'elle allait me punir pour une connerie.
- Je suis malade, Audric, dit-elle sèchement, ce n'est pas ma faute.
J'éclate de rire. Je ne sais pas pourquoi, toute la colère et la haine mélangées à l'incrédulité de la situation je pense, mais je ris. C'est nerveux, je n'arrive à m'arrêter alors qu'elle râle dans son lit, me rappelant qu'elle était malade, qu'elle l'est toujours mais qu'elle se soigne.
- Tu avais déjà perdu un fils, dis-je une fois de nouveau neutre, tu ne pouvais vraiment pas laisser tomber la drogue pour garder ton autre enfant ?!
- Audric, tu comprends pas...
- C'est toi qui ne comprends pas. Putain... A cause de toi j'ai vécu des trucs horribles !
- Je suis tellement désolée... mais tu sais que je suis...
- Et voilà ! Toi, toi et encore toi ! Tu ramènes toujours tout à toi ! Tu ne t'es jamais souciée de Jayden, papa ou moi ! Dois-je te rappeler la baby-sitter ? Ou le point d'eau que tu aurais dû sécuriser lorsque j'y suis tombé ? Ou encore pourquoi papa est partit ?
- Ton père m'a quittée, Audric...
- Parce que tu l'y a obligé. Je le sais, ne nie pas. J'ai passé quelques temps à Rikers avec lui... tu sais, la taule où il est mort par amour pour toi ?
Cette fois, elle pleure vraiment mais je n'arrive pas à arrêter de parler, cela fait neuf putains d'années que j'ai tout ça sur le cœur, maintenant que je suis lancé... je dois continuer.
- J'aurais pu finir comme toi, tu sais ? Un junkie, un camé qui ne se fout de rien d'autre que de sa prochaine dose... mais non, j'ai préféré me bousiller la santé dans la rue, sur un ring à me battre pour canaliser toute la colère que tu as ancrée en moi.
- Audric, mon garçon... je t'en prie ! Je me soigne, je ne suis plus accro à la méth... et, dans un an je sortirai de ce centre. On pourra former une famille à nouveau.
Ma gorge se serre mais je ne peux plus reculer. Je ne peux pas la laisser m'attirer dans ses filets. Pas maintenant, pas alors que j'ai enfin réussit à mettre des mots sur tout ce qui me ronge depuis que je suis gamin.
- Non. J'ai déjà une famille. Putain, j'suis sûr que tu apprécierai la femme qui m'a recueillit, qui m'a donné une chance de vivre une vie correct.
- Tu ne veux plus de moi ? Mais je suis ta mère !
J'esquisse un sourire en coin tout en secouant la tête.
- J'suis désolé, mais c'est Karen, ma mère. C'est elle qui a fait de moi l'homme que je suis. Un type bien. Ah et, Peyton aussi.
- C'est qui celle-là ? Grogna-t-elle.
- Ma copine. Elle aussi a eu son lot de merdes dans la vie... bref, entre ces deux femmes, le mari et le fils de ma mère, dis-je en insistant bien sur le dernier mot, j'ai trouvé une famille. Et jamais tu n'en feras partie.
Nos regards se croisent un instant, puis je détourne les yeux avant de quitter la chambre triste et froide. Puis, je me met à courir.
Je cours dans le couloir, dévale les trois volées de marches, je cours sans m'arrêter. Dehors, le soleil semble avoir perdu son éclat, tout me semble un peu plus gris qu'avant mais plus je cours, plus je m'éloigne et plus je m'aperçoit que la suite seras meilleurs.
J'ai les poumons en feu, des larmes brûlantes qui coulent le long de mes joues mais je ne m'arrête pas pour autant, toujours plus vite, toujours plus loin, m'éloignant de toute la colère, de toute la haine qui faisait parties de moi.
Ty avait bien raison, je devais aller la voir, par pour elle mais pour moi.
Et bordel, même si ça fait mal, ça fait aussi un bien fou.
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