Chapitre 8

La nuit est tombée. Nous avons installé un campement dans la forêt. Je suis assise avec Théo autour du feu qu'Erwan a allumé. Celui-ci est parti depuis quelques minutes déjà. Enzo, quant à lui, essaie de dormir.

Théo m'a raconté son histoire, cela fait plusieurs années qu'il est avec les rebelles et qu'il tente de s'échapper. Depuis sa plus tendre enfance, il erre seul dans la forêt, il n'a jamais connu ses parents, ni sa famille, du moins il n'en a aucun souvenir. Puis, à ses quinze ans, un groupe de rebelles l'ont trouvé et l'ont emmené avec eux. Et il est devenu ce qu'il est devenu.

Le feu qui crépite devant moi me donne terriblement chaud. Je me lève pour me diriger vers le petit lac à quelques mètres de là.

Erwan est assis sur la berge, le regard planté sur l'eau, les bras croisés. Il semble perdu dans ses pensées. J'hésite un instant à m'approcher.

— Alors la naine, on se promène ?

Dire que je crois mourir de peur sur place est un euphémisme. Je me retourne violemment, trop consciente de mes joues cramoisies.

— Enzo ? Non mais t'es malade de débarquer comme ça derrière moi !

— Et me priver de la tête ahurie que tu viens de faire ? Au contraire, je crois que ça va devenir une habitude !

— Tu as un vrai problème psychologique mon pauvre.

Enzo éclate de rire.

— Ouais, c'est aussi l'avis d'Erwan... Mais on sait tout les deux l'importance que j'accorde à l'opinion de mon cher ami...

— Tu me désespères !

— Et c'est pour ça que tu m'aimes ! Au fait, pourquoi parles-tu si bas ? Tu as peur de réveiller les bêtes sauvages ?

— N'importe quoi !

— Intéressant... Tu as l'air troublée. Cesse de rêvasser et allons nous coucher. Le soleil va bientôt se lever et nous devons prendre des forces pour demain.

***

Nous sommes rentrés à l'Immeuble et malheureusement, Erwan n'a pas pu aboutir à sa mission. Il ne m'a pas adressé la parole depuis que nous sommes rentrés, et son isolement m'inquiète un peu, même s'il est habitué à être seul. Je n'ai pas non plus eu l'occasion de parler à Isack, il est parti en mission le jour même où nous sommes revenus. Je ne sais pas quoi penser de notre baiser de l'autre fois et j'ignore comment ça va se passer quand il reviendra.

Je soupire et me lève pour rentrer.

J'observe une dernière fois le ciel étoilé avant de rentrer dans le bâtiment. Il faut dire que passer une partie de la nuit dans les jardins de l'Immeuble est devenue une véritable habitude pour moi !

Pendant le trajet jusqu'à ma chambre, mes pensées se concentrent sur Erwan. Ça me fait de la peine de le voir si seul. Et si j'allais lui rendre une petite visite ? Je ne sais pas vraiment si je suis la première personne qu'il aurait envie de voir. En plus, il doit être en train de dormir comme tout le monde à cette heure-ci. Mais qui ne tente rien n'a rien, alors, ni une, ni deux, je dévie de ma chambre pour m'arrêter quelques portes plus loin.

Je frappe deux fois à la porte et après quelques secondes, elle s'ouvre pour laisser place à celui que je suis venue voir.

Quand il croise mon regard, il souffle en s'appuyant contre l'encadrement de la porte, croisant les bras contre son torse. Je fais quelques pas dans la chambre alors qu'il guette mes moindres faits et gestes.

Ben quoi, tu ne m'invites pas à rentrer alors je m'invite toute seule.

— Je voulais savoir comment tu vas, cela fait plusieurs jours que personne n'a eu de tes nouvelles. J'imagine que tu te sens mal parce que tu n'as pas pu venger ton frère, mais tu sais, ce n'est pas de ta faute...

Il continue de me fixer en silence. Et alors que je m'apprête à reprendre il me coupe :

— Je n'ai pas besoin de toi. Tu ne sais rien de moi, n'essaie pas de me comprendre, reprend-il après quelques secondes.

— Dans ce cas, laisse-moi apprendre à te connaître, répliqué-je en faisant un pas dans sa direction.

Son regard change soudainement. Ses yeux sont désormais remplis de tristesse, cette image me brise le cœur.

Il attrape ma main et je suis surprise par cette proximité soudaine. Les traits de son visage se détendent, comme si mon contact le calmait. Paume contre paume, nos doigts s'entremêlent. Son geste est à la fois doux et possessif. Nos regards se croisent et je sens dans mon corps des fourmillements qui ne me sont pas familiers. Il lâche ma main et approche son visage du mien. Mon coeur bat la chamade, je me sens totalement sous son emprise, incapable de faire le moindre mouvement. Alors que nos visages ne sont plus qu'à quelques centimètres l'un de l'autre, il glisse doucement sa joue contre la mienne et murmure à mon oreille.

— Bonne nuit Victoire.

Je suis frustrée par la douceur de ses gestes. Erwan n'a jamais fait preuve de douceur envers moi, il a toujours été froid et désagréable.

Mais mon cerveau cesse définitivement de fonctionner lorsqu'il retire tout naturellement son t-shirt.

Du calme Victoire, si tu continues de le mater comme ça il va finir par croire que tu es une obsédée !

Il éteint la lumière et se glisse sous ses draps. Pourtant, je ne bouge toujours pas.

Ma raison me crie de partir maintenant, mais mon coeur, lui, me chuchote de ne pas le laisser seul encore une fois. Mon cerveau repasse cette scène en boucle dans ma tête, tentant vainement de comprendre ce qu'il vient de se passer. Les battements effrénés de mon cœur ne laissent pas de doute sur ma décision, puisque ma raison m'a misérablement lâchée.

Sans plus réfléchir, je m'incruste dans son lit et me blottis contre lui. Il semble surpris mais reste tout de même dos à moi.

Erwan fond soudainement en larmes. Je ne sais pas comment m'y prendre avec lui, il ne m'a jamais montré aucun signe de faiblesse.

Je passe délicatement ma main dans ses cheveux pour lui rappeler que je suis là, pour le rassurer.

Au bout d'un certain temps je n'entends plus ses sanglots. Il dort. Je quitte la chaleur de son lit pour retrouver ma chambre où le mien m'attend, tout froid.

***

Ce matin, c'est les rayons du soleil chatouillant mon visage qui m'ont réveillée. Et oui, pour la première fois depuis longtemps j'ai eu le droit à une grasse matinée.

Alors que je traîne dans mon lit, la porte de ma chambre s'ouvre brusquement.

Je me redresse rapidement, prête à attaquer.

Je souffle en voyant qu'il ne s'agit que Isack et me rassis sur mon lit, soulagée.

Ok, va falloir se détendre un peu Victoire.

— Quel accueil ! s'exclame-t-il ironiquement.

— Désolée, tu m'as fait une de ces peurs.

Il sourit tendrement et me prend dans ses bras. Je me blottis contre lui sans hésiter.

— J'ai appris ce qui s'est passé pendant la mission... Je suis vraiment désolé Vic, si j'avais été là, rien de tout ça ne serait arrivé...

— Ne t'en veux pas, ça n'aurait rien changé, le rassuré-je en m'écartant.

Il me sourit tristement.

— On va manger ? propose-t-il.

J'acquiesce et le suis dans le couloir. Je referme la porte derrière moi et aperçois Erwan qui sort de sa chambre au même moment. Il foudroie Isack du regard et passe devant moi sans un mot.

Et voilà, il a remis son masque...

Je m'apprête à le rattraper mais Isack me retient.

— Fais pas attention à lui.

Je n'apprécie pas vraiment sa remarque mais je me tais et fait semblant de rien. Nous descendons au réfectoire et je pars m'asseoir avec Julie et Laurie qui me font signe de la main.

Alors que nous mangeons, les discussions et les sons des couverts qui s'entrechoquent sont interrompus par l'arrivée d'Andrew dans le réfectoire.

— Bonjour à tous. J'ai une annonce à vous faire, mais avant tout, je voudrais féliciter Victoire pour tout le courage dont elle a fait preuve durant cette dernière mission.

Les regards se tournent vers moi et tout le monde se met à applaudir.

Oh mon dieu, la honte.

— Ce soir, une fête aura lieu ici même, bien évidemment, nous devons rester un maximum discret, et sur nos gardes. La fête sera faite en l'honneur de Dylan, qui nous a malheureusement quitté trop tôt.

— Une fête ? Vous êtes sérieux ? Il ne rentre pas à la maison, il est mort ! Et vous voulez fêter ça ?! intervient brusquement Erwan.

Mon regard se tourne automatiquement vers lui, comme celui de tous les autres ici présents. Il s'est levé et la main d'Enzo est encore posée sur son épaule, comme s'il avait tenté de l'en empêcher.

— Oui Erwan, c'est triste, je sais, mais ton frère n'est pas le dernier être cher que nous perdrons. Il faut continuer à vivre. Tu interprètes mal les choses. Je n'ai pas décidé d'organiser cette soirée pour fêter le fait qu'il ne soit plus parmi nous, je ne ferais jamais une chose pareille. Cette fête aura lieu dans le but de lui montrer que le manque qu'il a laissé ne sera jamais comblé, mais nous continuerons de nous battre en son honneur, jusqu'au bout.

Erwan quitte la pièce, furieux. Je m'apprête à le suivre mais Laurie me retient par le bras.

— N'y vas pas maintenant, je pense que tu commences à le connaître, il va tout te jeter à la figure. Attend qu'il se calme un peu avant d'aller le voir.

***

J'ai pris en compte le conseil de Laurie et ai attendu quelques heures avant d'aller voir Erwan. Je toque à la porte de sa chambre mais il n'ouvre pas et reste silencieux. Alors j'abaisse la poignée et entre. Il est allongé sur son lit, une main posée sur son torse nue qui se soulève au rythme régulier de sa respiration. Son regard est perdu sur le plafond et il ne détourne même pas les yeux, comme s'il s'attendait déjà à ce que je vienne.

Je m'assois timidement sur le bord de son lit. Ça me rappelle des souvenirs tiens...

— Tu sais, ce n'est peut-être pas si ma...

— Sors, me coupe-t-il.

Et voilà, de retour à la case départ. Il agit comme si notre altercation d'hier n'avait jamais eu lieu, comme s'il n'y avait eu aucun rapprochement.

En fait c'est le cas. Il n'y a eu aucun véritable rapprochement. Il ne s'est absolument rien passé de plus entre lui et moi alors pourquoi j'espère qu'il change de comportement ?

— Je...

— Victoire, vas-t-en.

Son ton froid me fait presque sursauter. Je me lève et, dans un dernier regard vers lui, quitte la pièce.

30/11/19

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