Chapitre 43

Cela fait déjà plusieurs jours que les autres sont partis. J'ai dû traverser la moitié de la ville mais toujours aucune trace de ceux pour qui je suis ici. Je soupire en levant les yeux vers le ciel, portant la main à mon médaillon en forme d'astre solaire.

Je continue ma marche, mais une odeur vient chatouiller mes narines. Une simple gêne au début, indéfinissable ; une odeur rampante, douceâtre, qui s'est amplifiée, solidifiée. Je marche maintenant dans une puanteur aussi épaisse qu'un brouillard. Et puis mes yeux s'habituent progressivement à la mauvaise lumière des feux qui brûlent ça et là, en même temps que l'aube chasse la nuit, et je vois. C'est insoutenable. Partout, dans chaque recoin, en pleine rue même, des corps. Des corps tordus de souffrance ou raidis par la mort.

Au beau milieu de la rue, je  tombe à genoux, le visage entre mes mains. Comme je me sens petite, impuissante. Et puis... l'aurore, chassant définitivement la nuit, recouvre d'un voile rose le spectacle atroce, et lentement, je reprend espoir, reprend confiance en mon destin, me redresse. Je retrouve peu à peu ma détermination et reprend de plus belle ma marche, plus assurée.

Je me précipite vers la grande école destinée aux primaires et maternelles. Ou plutôt, ce qu'il en reste. J'espère de tout cœur y trouver ne serait-ce que mon petit frère. J'explore les lieux pendant de nombreuses minutes, mais rien. Aucune trace de vie.

Je me laisse tomber dans l'herbe entourant le grand bâtiment coloré. Cette fois, je ne sais plus où aller. Est-ce que les autres vont bien ? Est-ce qu'il y'a eu des morts de notre côté ? Je ne peux même pas les rejoindre, j'ignore complètement où chacun est allé.

J'entends un bruit en provenance de l'arrière du bâtiment et me redresse habilement en dégainant mon arme. Mon fusil pointé devant moi, j'avance avec méfiance jusqu'à la source du bruit.

Au moment où je me montre, je vois une silhouette disparaître au coin du mur. Je me précipite de l'autre côté pour tenter de la rattraper et tire à quelques mètres d'elle pour la forcer à s'arrêter. Mais la personne continue sa course effrénée. Je baisse mon arme pour obtenir plus de vitesse et continue de la poursuivre.

Elle finit par s'arrêter au bout de cinq bonnes minutes. Un cul-de-sac.

— Retournez-vous et levez les mains en l'air ! criais-je.

La personne retire sa capuche, laissant deviner de courts cheveux masculins noirs. Il se retourne lentement et j'ai un mouvement de recul, surprise.

— Romain ? Qu'est-ce que tu fabriques ?

— C'était amusant, non ? demande-t-il dans un sourire.

— Moyennement, je réponds en fronçant les sourcils.J'aurais pu te tirer dessus, et puis, l'heure n'est pas vraiment à la rigolade si tu vois ce que je veux dire.

— Je sais... désolé, j'aurais pas dû. J'étais si inquiet pour toi, qu'est-ce que ça me fait du bien de te voir Victoire.

Je brise la distance entre nous en lui souriant sincèrement et viens l'enlacer, enfouissant ma tête dans son cou.

— Je suis contente que tu sois vivant.

— On continue ensemble ? propose-t-il en s'écartant de moi.

J'hoche positivement la tête et le suis dans les rues d'Altalie. Comme au bon vieux temps.

Tiens, dit-il en me tendant son talkie-walkie. Les autres s'inquiètent pour toi, tu as oublié d'en prendre un.

Je lui souris sincèrement en attrapant le boîtier métallique et le règle sur la bonne fréquence.

— Andrew ? Si quelqu'un m'entend, Romain m'a trouvée, je vais bien, il n'y a personne dans cette partie de la ville. Nous nous dirigeons vers les quartiers de Geoffrey, terminé.

Je relâche le bouton d'enregistrement, et, après quelque secondes, l'engin se met à grésiller.

— Reçu la naine ! Je suis avec Erwan, on se dirige vers là-bas aussi.

Enzo. Évidemment.

— Des nouvelles d'Andrew, monsieur insupportable ?

— Insupportable ? Moi ? Tu me blesses Victoire. Nous l'avons croisé il y a quelques heures, il s'occupe des habitants restants. On se rejoint ?

— Ok.

Je rend son talkie-walkie à Romain et nous accélérons le rythme pour arriver à temps.

*

Lorsque nous arrivons devant l'imposant immeuble, il doit être aux alentours de 12h00. Tout autour de nous, les Terrilanéeins manient les armes à la perfection, s'occupant des hommes de Geoffrey qui tentent de nous barrer la route. Lorsque mon regard se pose sur Erwan, qui discute avec Enzo, non loin, les larmes me montent aux yeux et je m'élance dans sa direction.

Pendant ma course effrénée, je me sens pousser des ailes. Le voir là, au milieu de toute cette destruction, souriant – qui plus est – me fait l'effet d'un bonheur immense. Je suis heureuse de le retrouver, de voir qu'il va bien. Oui, il est bien là, devant moi. En un seul morceau.

Il n'a même pas le temps de voir que quelqu'un fonce sur lui, mes bras se nouent autour de sa taille et ma tête se pose contre son torse. Je ferme les yeux en humant son parfum qui m'a tant manqué et, passée la surprise, ses bras protecteurs viennent m'enlacer à leur tour. Sa bouche se pose sur le haut de mon crâne dans un doux baiser. Je ne veux plus jamais le quitter.

— Hum hum.

Je rouvre les paupières et m'écarte d'Erwan en levant les yeux au ciel.

— Et moi ? J'ai pas le droit à un câlin ? demande Enzo en sur-jouant un air triste.

— Je te déteste Enzo !

— Oh bah sympa. Je te signale que c'est moi qui l'ai sauvé ton mec.

Mon regard se remplie d'incompréhension et il poursuit :

— C'est une longue histoire, mais, pour faire court, il s'est fait tiré dessus en me sauvant la vie, explique-t-il en pointant du doigt le bras d'Erwan.

Mes yeux s'écarquillent en tombant sur le bandage autour du biceps de l'homme que j'aime. Romain, qui arrive enfin, s'apprête à prendre la parole mais je le dépasse.

— Oh putain, est-ce que ça va ? Erwan ! Encore ?!

— Effectivement, j'aurais préféré m'en abstenir, mais, vois-tu, je n'ai pas demandé à me prendre une balle, déclare-t-il, moqueur.

Je me calme instantanément. Il a raison...

Voyant que je me perds dans mes pensées, il s'empresse de reprendre :

— Ça va, ne t'en fais pas.

Malgré le sommeil et la fatigue qui se lit sur son visage, il est si beau. Je n'ai qu'une envie ; l'embrasser. Mais ce n'est ni le moment, ni l'endroit, encore moins avec Enzo et Romain qui ne perdent rien de notre échange.

— Bon, qu'est-ce qu'on fait ? demande Romain.

— On entre, répond Enzo.

— Et s'il a pris la fuite ? interrogeais-je cette fois.

— C'est sûrement le cas. Mais nous ne sommes pas là pour ça, explique Enzo, voyant parfaitement où je veux en venir. Nous devons récupérer la télécommande, celle qui contrôle le dôme. Cela m'étonnerait qu'il ait pensé à la prendre avec lui.

Je me contente de hocher la tête, suivant les garçons jusqu'à l'entrée du bâtiment. Enzo tire sans ménagement sur deux molosses qui s'avancent déjà vers nous, prêts à nous arrêter. Les deux corps tombent disgracieusement sur le sol, sous le regard pétrifié de la secrétaire qui se cache derrière son bureau. Enzo s'apprête à lui tirer dessus également, mais je l'arrête.

— Attends !

Je m'avance vers la femme qui tremble de peur, sous le regard plein d'incompréhension de mes compagnons.

— C'est une habitante comme les autres. Elle ne nous fera aucun mal. Il faut la faire évacuer.

— Elle a raison, déclare Romain.

— Ok. Victoire, occupe-toi en s'il te plaît. Nous montons, lâche Enzo.

Les trois garçons disparaissent derrière un couloir alors que j'aide la femme à se relever.

— Merci, murmure-t-elle en me fixant avec gratitude. Merci beaucoup...

Je lui offre un sourire rassurant en attrapant son bras pour la guider vers la sortie.

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