Chapitre 34

— Ça suffit maintenant !

Enzo s'écarte en levant les yeux au ciel alors que je lance un regard désapprobateur à Isack. Il me fixe, le visage fermé et les poings serrés.

— Pourquoi tu as accepté qu'il vienne ? demande Enzo visiblement ennuyé par la situation.

— Tu vas finir par sérieusement la blesser si tu continues à te défouler sur elle de la sorte, reprend aussitôt le principal intéressé.

— Isack, je ne vais jamais progresser en restant allongée dans mon lit toute la journée, je finis par souffler en posant une main sur son bras.

— Il pourrait au moins y aller moins fort, dit-il en serrant les dents alors qu'Enzo avale une gorgée d'eau, complètement désintéressé par notre discussion.

— Écoute, si tu ne supportes pas de la voir encaisser les coups, il vaut mieux que tu t'en ailles, lâche Enzo.

Isack lui lance un regard noir et fini par se rassoir en se renfrognant. Il n'aime pas me voir souffrir, mais l'idée de me laisser seule avec Enzo est encore pire pour lui.

Mais alors qu'Enzo se remet en position, quelque chose attire mon attention. Non loin, un garçon frappe dans un punching-ball avec toute la rage du monde, écouteurs dans les oreilles. Un sweat noir dont la capuche couvre sa tête m'empêche de l'identifier, alors que son dos me fait face. Pourtant, je suis persuadée de le connaître.

Il frappe avec une telle hargne que je ne peux m'empêcher de sentir sa colère résonner en moi. C'est comme si elle m'appartenait, comme si c'était la mienne.

— Oh la naine ! m'interpelle Enzo.

Mon regard se pose à nouveau sur lui. Je suis en colère. Soudainement dans une colère noir. Parce qu'on m'en veut pour des raisons que je ne comprends pas. Parce qu'on me prend pour une petite fille sans défense. Je suis en colère contre Erwan, parce que son petit jeu m'énerve au plus au point. Je suis en colère contre Isack, car il me pense incapable de me défendre et d'encaisser seule. Je suis en colère contre Romain, pour m'avoir fait espérer pendant toutes ces années, pour finalement m'avouer maintenant ses sentiments. Je suis en colère contre Geoffrey, parce qu'il met constamment ma famille en danger, parce que c'est un grand psychopathe qui ne mérite qu'une seule chose : une mort lente et douloureuse. J'en veux à ma mère, car elle aurait dû se souvenir de moi. Même après qu'on lui ai effacé la mémoire avec leur machines bizarres, un enfant ne doit pas s'oublier aussi facilement. Une vie ne tombe pas dans l'oubli.

J'envoie le premier coup, dans une prise de confiance. Ma rage me guide, contrôle mon corps. Je veux pour une fois parvenir à le toucher, à le mettre à terre, qu'il cesse de faire le malin et de me rabaisser. Même s'il ne s'en rend sûrement pas compte. J'en ai assez d'être humiliée pendant nos combats et même ailleurs.

Mon premier coup atteint son nez, s'ensuit de sa mâchoire et je finis avec un coup de genoux dans l'abdomen. Il titube avant de poser un genoux à terre, une main sur son nez ensanglanté. Je m'apprête à le finir avec un dernier coup au visage. Mais je n'aurais pas dû penser être capable de le vaincre aussi facilement.

Sa main attrape fermement mon poignet, stoppant mon geste. Il tord mon bras sans se soucier du cri de douleur qui m'échappe. Je suis persuadée que toute l'attention est braquée sur nous, je sens les regards sur moi. Je viens à bout de mes forces lorsque son pied s'écrase durement contre mon mollet, me faisant perdre l'équilibre.

Je tombe à genoux. Je n'ai plus la force de me relever alors que Enzo me hurle de le faire. Mes cheveux cachent mon visage, m'empêchant de voir les gens qui se moquent autour de moi. Pourtant je les entends. Les moqueries, les rires fusent dans toute la pièce.

J'ai chaud, beaucoup trop chaud dans mon survêtement trop grand pour moi.

C'est trop. J'éclate en sanglots. Je me suis laissée guider par la haine et je n'aurais jamais dû la laisser faire. Je passe de la rage à une tristesse profonde.

— Victoire ?

Voyant que je ne me relève pas, Enzo s'accroupit pour être à ma hauteur.

Laurie avait raison. Je n'aurais jamais dû continuer. Je n'aurais jamais dû me penser assez forte pour y arriver. Je n'aurais jamais dû avoir tant confiance en moi.

— Qu'est-ce qu'elle a ? demande Isack en s'avançant dans ma direction.

— Rien, ça va aller. Il vaut mieux que tu ailles chercher Laurie.

— Vas-y toi !

Enzo doit lui lancer un regard meurtrier puisqu'Isack finit par s'éloigner et quitter la salle de combat, alors que je continue de sangloter silencieusement.

—Victoire ? Je t'ai fait mal ? Je suis...

— Pousse-toi, le coupe une voix masculine.

Une voix que je connais trop bien.

Je relève légèrement la tête et son visage fermé me fait face. Le sweat à capuche noir. Le type qui frappait avec rage, c'était donc lui.

Sans même que je ne m'en rende compte, sa main se glisse dans la mienne et me hisse sur mes deux jambes. Celles-ci sont prises de tremblements, peinant à supporter le poids de mon corps.

Mais Erwan me ramène contre lui, me maintenant fermement.

Je cale ma tête dans son coup en m'agrippant à lui, bien trop heureuse malgré moi de sentir à nouveau son odeur. Comment fait-il pour sentir incroyablement bon alors qu'il était il y'a quelques secondes en plein effort ?

Lorsqu'il s'écarte à nouveau, je vois que le manège autour de moi est terminé. Plus personne ne semble prêter attention à la scène.

— Je vais la ramener à sa chambre, lâche froidement Enzo, dans un ton qui me surprend.

— Non, je m'en occupe, s'oppose Erwan. 

— C'est bon je peux y aller toute seule, je m'exprime alors que ma voix est encore tremblante.

— Arrête de toujours tout vouloir faire seule.

Mes yeux rencontrent ceux d'Erwan.

— Je viens avec vous alors, accepte Enzo.

Soudain, la deuxième main de Erwan se pose sous mes genoux et il me soulève avec une facilité déconcertante. Je passe ma main autour de son cou dans un réflexe.

Arrivés dans la chambre, il me dépose au sol et j'attrape des vêtements propres dans mon armoire alors qu'ils s'installent.

Après une bonne douche chaude, je m'habille et ouvre la porte de la salle de bain. Mais j'entends leurs voix. Ils n'ont pas remarqué que la porte vient de s'ouvrir, bien trop absorbés dans leur conversation.

— Tu devrais arrêter de te comporter comme ça, souffle Enzo.

Erwan hausse les épaules, désinvolte, alors qu'Enzo lève les yeux au ciel, visiblement agacé par le comportement de son ami.

— Je parie que c'est à cause de toi si elle est dans cet état. Évite de lui donner de faux espoirs. Si tu ne t'intéresses pas à elle, arrête de jouer avec elle, parce qu'elle t'aime vraiment, continue celui-ci.

Ils parlent de moi.

J'attend la réponse de Erwan alors que mes yeux se sont perdus sur le parquet vieillot. Mais elle ne vient pas. Je relève la tête pour voir ce qui se passe et je comprends vite. Ses yeux sont plantés sur moi.

Mes yeux commencent à me piquer, humides. Non. Pas encore une fois.

— Vic ce n'est pas ce que je voulais dire...

— C'est bon Enzo. Partez s'il vous plaît.

Personne ne bouge. Je soupire en me glissant sous les draps de mon lit, espérant que ce geste leur fasse changer d'avis. Et j'ai raison.

J'entends la porte s'ouvrir dans un nouveau soupir, qui n'est cette fois-ci pas le mien.

Mais une fois seule, les larmes ne coulent toujours pas. Il faut dire que je maîtrise de mieux en mieux mes émotions. J'expire profondément, ne sachant quoi penser. Je me fais des idées depuis le début ? Erwan ne s'intéresse en fait pas du tout à moi ? J'ai dû mal à l'imaginer pourtant. Ses baisers paraissaient si réel... Nos moments ensemble...

Je sens mon lit s'affaisser, me faisant sursauter. Je me retourne et croise les yeux bruns de celui qui torture mes pensées. Pour la première fois, il semble aussi perdu que moi. Pour la première fois, je lis des émotions dans ses sombres pupilles.

— C'est pour toi que je fais ça, même si tu ne le crois pas. Tu ne peux pas m'aimer Victoire, je ne suis tellement pas assez bien pour toi. Je suis un danger dans ta vie.

Contrôle de mes émotions mes fesses oui. Les larmes ruissellent déjà le long de mes joues alors que je me suis redressée. Non, il est trop tard. Trop tard pour que je le laisse s'éloigner de moi. Trop tard pour qu'il ne souhaite s'écarter de mon cœur. Il est en plein dedans.

Je m'agrippe à son sweat dans un geste désespéré. Je ne réfléchis plus avec la tête mais avec le cœur.

Je pose mes lèvres sur les siennes avec empressement. Je ne peux pas le laisser filer, emporter mon cœur.

Mais il me repousse.

— Victoire je...

— Arrête de vouloir me protéger de toi ! C'est de toi dont j'ai besoin ! Cesse de penser que tu représentes un quelconque danger pour moi. Je ne te laisserais pas t'éloigner, pas encore une fois. À moins que tu ne m'aimes réellement pas, comme l'a dit Enzo, je lâche la voix tremblante.

La peur me broie l'estomac. J'ai peur qu'il s'éloigne de moi. J'aimerais comprendre, être dans sa tête ou pouvoir lire dans ses pensées.

Ses yeux ne me lâchent pas. Profondément ancrés dans les miens. Et après de longues secondes, il renonce enfin. Ses lèvres rencontrent à nouveau les miennes, plus passionnément. Mon cœur s'accélère alors que ma main tremblante cherche la sienne. Il le remarque et sa main vient presser la mienne. Il bascule en arrière, suivant mon geste alors que sa main libre se balade sur la peau nue de ma taille, mon t-shirt s'étant légèrement relevé. Je lâche un gémissement de douleur lorsque mon dos rencontre le matelas. Foutu Enzo.

Lorsqu'il s'écarte de moi, ses yeux me fixent à nouveau alors que je me détourne, gênée.

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