Chapitre 33

Après l'épisode avec Romain, j'ai parlé avec Laurie. Ça m'a fait du bien, pourtant, ma peine persiste. Elle insiste pour rester enfouie dans le creux de ma poitrine. Elle est coriace.

Je ne lui ai pas raconté ce qui s'est passé avec lui. Ce n'est pas que je ne lui fais pas confiance, bien au contraire, mais si elle venait à en parler – ne serait-ce que par accident à Erwan, ce serait pire que tout. Je lui ai aussi parlé de son comportement. Elle était surprise que je n'ai pas remarqué. Selon elle, Erwan est jaloux de Romain et il faut dire que son affirmation tient la route. Elle a insisté sur le fait que « ça crève les yeux ». Quand bien même, d'accord qu'il soit jaloux mais est-ce une raison pour m'ignorer ?

Je prends une longue inspiration avant de rentrer à l'Immeuble. Je ne sais pas si je dois parler à Erwan, le rassurer sur le fait qu'il n'y a rien entre moi et Romain. Cela me semble irréel. Erwan qui éprouve de la jalousie, et en plus envers moi ? Je ne serais pas au bout de mes surprises avec lui.

Néanmoins, je décide de ne pas aller le rejoindre dans sa chambre, il faut avouer que cette pensée m'a traversé l'esprit pendant une demi seconde. Je me contente de retourner à la mienne.

Laurie est plongée dans un profond sommeil. Tandis que moi, je peine à le trouver. Trop de pensées se bousculent dans ma tête. Trop de questions sans réponses. Trop d'envies inassouvies. J'ai peur. Une peur qui me saisit les tripes. Peur de découvrir les plans de Geoffrey. Peur de mettre ma famille en danger. J'ai peur de cette guerre qui va éclater, peur que nous ne soyons pas prêts.

Je saisis le pendentif en forme d'astre solaire. Depuis que Lyla me l'a donné, il ne me quitte plus. Je me demande comment va la cité, j'espère qu'ils sont heureux avec leur dirigeante. J'espère qu'un jour, je croiserai à nouveau leur route.

***

J'ai du dormir grand max trois heures cette nuit. Je manque cruellement de sommeil, mais aujourd'hui, je suis décidée à ne pas me laisser abattre.

Levée à six heure et demi, après un bon petit déjeuner protéiné, j'ai fait appel à Enzo pour m'entraîner. Il ne s'est pas fait prier. Isack a boudé pendant quelques instants, il aurait voulu que je lui demande à lui mais je savais qu'il se retiendrait. Ce n'est pas ce que je veux.

Je pénètre dans la salle de combat en tenue de sport, une petite serviette sur l'épaule. Enzo qui s'échauffe non loin me fait signe. Je pose mes affaires dans un coin avant de le rejoindre.

Après nous être échauffés gentiment, nous passons aux choses sérieuses.

— Très bien la naine, première règle et pas des moindres, concentre-toi. Sers-toi de tes sens. C'est très important.

J'obéis. Ma tête se vide de toute pensées, de toutes questions. Je prends une grande inspiration. Mon esprit est entièrement concentré sur mes cinq sens. J'entends les râles de douleur de ceux ayant baissé leur garde devant leur adversaire pour ce combat simulé autour de moi, les coups, les corps qui tombent au sol, les respirations haletantes. Je sens l'odeur de la transpiration et du parfum de ceux qui sortent à peine de la douche après une lourde séance se mélangeant. Je touche mon front qui commence déjà à perler de sueur alors que le véritable combat commence à peine. Je n'ai pas d'arme, aujourd'hui c'est du corps à corps et cette idée m'angoisse d'autant plus. Merde. Je me reconcentre sur mes objectifs, refait le vide dans mon esprit. Je vois, Enzo qui se tient fièrement en face de moi. Il adore ça, le combat. Je sais qu'il n'hésitera pas, il ne se retiendra pas avec moi. Et enfin le goût. Je ravale difficilement ma salive alors que le stress se répand en moi. Allez Victoire, ce n'est pas le moment de se défiler.

Je reçois un premier coup dans l'abdomen. C'est violent, il y met toute sa rage, qui je sais, ne m'est pas destinée. Une vive douleur m'envahit et mes fesses rencontrent lamentablement le sol sous l'effet de surprise. Je retrouve rapidement un rythme de respiration régulier et Enzo me tend la main pour m'aider à me relever. Je l'attrape mais son pied s'écrase durement à l'arrière de mon genoux, me faisant vaciller et je m'écrase à nouveau au sol.

— Règle numéro deux, ne laisse jamais ton adversaire te déstabiliser. Reconcentre toi, lâche-t-il.

Je me relève avec difficultés, lâchant un grognement à cause de mon dos déjà endommagé. Je me remets en position. Les pieds ancrés au sol, les jambes fléchies. Concentration. Je souffle.

À peine ai-je le temps de me préparer que son poing frappe dans ma mâchoire, me faisant mordre durement ma lèvre inférieure. Le goût métallique du sang se répand dans ma bouche.

— Ce n'est rien, on reprend.

Je m'essuie sur mon propre vêtement avant de reprendre ma position initiale, pourtant persuadée qu'il me manque quelques dents.

Cette fois, c'est à moi d'attaquer. Il esquive habilement mon premier coup de poing, mais le coup de pied qui suit le déséquilibre légèrement.

— Ça devient interéssant, sourit-il de manière enfantine.

Je n'y fais pas attention et continue d'enchaîner les coups. Il les esquive tous. Je comprend rapidement qu'il est inutile de m'attarder sur la face de son visage, solidement protégé par ses bras. Mon poing change alors de direction, passant facilement sur le côté et rejoignant sa mâchoire dans un coup de poing crochet. Il est déstabilisé et le coup de pied dans les jambes qui suit le fait tomber pour de bon à terre. Je ne m'arrête pas pour autant. Je m'assois à califourchon sur lui, mes mains entourant ses poignets, bloquant ses mouvements.

Sa respiration est tout aussi saccadée que la mienne et des mèches de cheveux sont collées par la sueur à son front. Les rythmes de mon cœur se sont accélérés à cause de la rapidité de mes mouvements. Il me fixe et son visage prend soudainement son éternel air joueur.

— Dommage que tu sois mon adversaire, on aurait pu faire bien d'autres choses tous les deux.

Il sourit fièrement alors que je m'empourpre violemment. Évidemment, il profite de la situation pour reprendre le dessus. Ses bras se libèrent brusquement de mon emprise et il se redresse, me faisant tomber sur le côté. Il attrape mes bras, les bloquant fermement dans mon dos. Cette fois, c'est à son tour de se retrouver à califourchon sur moi.

— Tu ne gagneras jamais à ce jeu.

Je ne peux même pas répondre à ses provocations, manquant de souffle.

Il me relâche au bout de quelques secondes et je fais l'étoile par terre, complètement épuisée.

— C'était vraiment médiocre. On reprend demain, dit-il, un sourire idiot plaqué aux lèvres.

Je grogne de mécontentement alors qu'il attrape sa serviette.

— Ah au passage, beau cul la naine ! s'exclame-t-il en se dirigeant vers les douches, alors que mes joues ne peuvent pas être plus rouges.

Je lui envoie un doigt d'honneur comme toute réponse et il rit, moqueur. Je me relève à mon tour après quelques secondes supplémentaires. Je récupère mes affaires et rejoins ma chambre pour une bonne douche.

Lorsque j'ouvre la porte, Laurie me fixe avec de gros yeux, surprise.

— Tu t'es fait poursuivre par un dragon cracheur de feu ou quoi ? plaisante-t-elle.

— Presque, réponds-je dans un rire nerveux. Je me suis battu avec Enzo.

— Quoi !? s'exclame-t-elle en bondissant du lit sur lequel elle était confortablement installée. Pourquoi ? Mais il a définitivement pété les plombs ?!

— Du calme ! C'était un entraînement !

Elle semble soulagée, mais toujours légèrement crispée.

— Il aurait pu être moins violent quand même...

— Non, c'est moi qui lui ai demandé de ne pas se retenir. Lorsque je serais face à un véritable ennemi, il ne me fera sûrement pas cette faveur.

— Mouais.

Je me dirige vers la salle de bain et entre sans plus attendre dans la douche.

Une fois propre, je peux enfin mesurer la taille des dégâts. J'ai des bleus un peu partout sur le corps, ma lèvre est toujours en sang, mais je constate avec soulagement qu'il ne me manque aucune dent.

Laurie m'aide à nettoyer mes blessures en évitant d'en parler. Je vois clairement qu'elle est plutôt réticente à cette idée. Mais elle finit tout de même par aborder le sujet.

— Vic... Je ne pense pas que tu devrais continuer...

— Laurie, je n'ai pas de connaissance médicale, je sais à peine me retrouver dans cette forêt, il faut bien que je serve à quelque chose ! Si je ne sais pas me battre, je suis une proie facile. Je n'ai pas envie d'avoir besoin de quelqu'un pour me protéger toute la vie. Je dois apprendre à me protéger moi-même.

Elle se tait et finit de me soigner.

Nous rejoignons ensuite le réfectoire. Ce combat m'aura au moins ouvert l'appétit.

Nous nous asseyons à une table vide où Julie, Enzo, Théo et Isack nous rejoignent.

— Ouah, qu'est-ce que tu t'es fait au visage ? demande Julie, surprise.

Je lance un regard lourd de reproches à Enzo en remarquant d'ailleurs qu'il n'a pas une seule égratignure. À part une petite zone rougie près de la mâchoire. Elle suit mon regard.

— Mais t'es pas bien mon pauvre ?

— Bon on va mettre les choses au clair parce que sinon ça va pas le faire. C'est elle qui m'a demandé de ne pas me retenir ok, donc arrêter de me traiter de malade.

— T'es quand même malade, continue-t-elle.

— Et encore, t'as pas vu l'état de son corps, dit Laurie.

— Quoi, tu l'as vu toi ? demande Théo.

Laurie lui lance un regard noir avant de répondre :

— Non mais vu ce qu'elle m'a décrit, c'est pas beau à voir.

— Je peux vérifier si vous voulez.

Cette fois-ci c'est à moi de lancer un regard noir à Enzo.

— Mais vous êtes tous des obsédés !

— Peut-être, sourit-il, visiblement amusé.

— Ne me mets pas dans le même paquet, par pitié, se prononce enfin Isack.

— Où est Erwan ? demande Laurie après une courte pause pendant laquelle nous commençons à manger.

— Dans la chambre, répond Enzo, qui sait évidemment que cette question lui est destinée. Je ne vois pas ce qu'il trouve de si passionnant à faire là-bas pour y passer toute la journée.

Quelqu'un s'installe à notre table, coupant court à la conversation. Je me crispe automatiquement. Mais lorsque son regard croise le mien et qu'il me sourit tendrement, je me détends à nouveau. C'est à son tour de se crisper. Il perd son sourire et prend un air inquiet.

— Qu'est-il arrivé à ton visage ? demande Romain.

Tout le monde se dévisage pendant une seconde avant d'éclater de rire, alors que lui, est dans l'incompréhension totale.

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