Chapitre 31

Le lendemain, le réveil est bien compliqué. Le soleil qui tape contre la baie vitrée me fait plisser les yeux que je viens à peine d'ouvrir. Des bruits de couverts parviennent à mes oreilles, des voix, des rires, des placards qui se referment. Mais j'entends surtout un son plus proche. Comme... une brosse à dent électrique.

De l'eau se met à couler alors que je me redresse difficilement dans le lit. La porte de la salle de bain s'ouvre sur Erwan. Ses yeux croisent rapidement les miens, mais il détourne le regard avec empressement. Il vient vraiment de fuir mon regard ? On parle bien du même Erwan ?

Il quitte la pièce sans un mot, rejoignant sûrement les autres dans le salon/salle à manger.

Je finis par me lever dans un soupir, résignée. Cette journée a déjà commencé et il ne sert à rien de retarder le moment plus que de raison.

Je m'enferme dans la salle de bain et retire mes vêtements pour me glisser sous l'eau chaude. Il faut avouer que l'arrivée, ou plutôt, le retour, de Romain m'a fortement bouleversée. J'ai peur de ses réactions, peur de la manière dont il risque d'agir. Je n'ai pas envie qu'il subisse à son tour ce changement soudain. Il a une vie paisible ici, comme j'avais la mienne avant. Et l'arrivée de ces quatre garçons dans cette journée qui paraissait pourtant aussi banale que les autres a tout chamboulé. Si j'avais su que du jour au lendemain, je devrais tout quitter, j'en aurais sûrement profité un peu plus. Je sais, Altalie est une horreur à elle-même etcétéra mais j'aimais ma vie ici. Je l'aime peut-être encore plus à présent. J'étais heureuse. Avant, je ne me posais pas de questions, ma vie était banale, normale. Cours, sorties avec mes amis, restaurant en famille.

Maintenant que j'ai perdu tout ça, je me suis mise à idéaliser cette vie qui était autrefois la mienne.

Je quitte le doux cocon que m'offre l'eau chaude en me rendant compte que cela va faire dix minutes que je suis sous la douche. Nous avons rendez-vous avec Thomas, je ne dois pas nous mettre en retard.

Après m'être vêtu de ces vêtements que je trouve toujours aussi moche, – ça n'a pas changé – je rejoins la salle à manger pour prendre mon petit déjeuner. Je salue tout le monde avant de m'asseoir.

— Bien dormi la naine ?

Je lève les yeux au ciel alors qu'il ne peut que s'agir d'Enzo pour sortir une chose pareille. Sauf que, je ne suis pas d'humeur à supporter son humour noir aujourd'hui.

— Oui, répond-je simplement.

Mon regard croise alors celui de Romain. Son visage est fermé mais s'adoucit lorsque ses yeux rencontrent les miens. La tension est au plus haut entre ces murs, je le sens bien et j'ai maintenant hâte de sortir d'ici.

Quand tout le monde est prêt, nous quittons l'appartement et prenons la voiture. Nous repartons avec deux nouveaux passagers.

Nous arrivons bientôt vers chez moi, l'endroit qui a changé ma vie. Tout le monde descend après avoir vérifié qu'il n'y ai personne. Ce qui m'étonnerait fortement, cette rue est pratiquement inutilisée.

— Thomas, on est devant la porte, informe Laurie dans son oreillette.

Il lui répond quelque chose que je ne peux pas entendre et elle acquiesce, même s'il ne la verra pas.

— Qui est Thomas ? Encore des gens bizarres ? Et c'est quoi cette porte ?

Je me tourne vers Romain et lui offre un sourire se voulant rassurant.

— Ne t'en fais pas, tu auras tes réponses en temps voulu, le rassuré-je.

Sa paume rencontre la mienne et je suis surprise par ce contact soudain. Néanmoins, je presse ma main contre la sienne en lui offrant un nouveau sourire.

La porte en grillage recouverte de plantes s'ouvre brusquement, détournant mon attention. Thomas se tient devant nous, la clé de la porte en main. Nous nous empressons de sortir avant de nous faire remarquer, même s'il faut avouer que l'endroit est plutôt bien caché. Geoffrey est-il au courant de l'existence de cette porte secrète ?

Nous nous installons tous dans le blindé, l'ambiance est vachement moins cool qu'il y a quelques jours.

—Vic, qu'est-ce qui se passe ? C'est quoi cette voiture bizarre, et surtout pourquoi est-elle... verte ?

— Nous ne sommes plus à Altalie...

— Quoi ?

Je ne réponds rien. Je ne sais pas quoi lui dire. Je ne sais pas comment le rassurer, tout ce que je peux faire c'est remuer le couteau dans la plaie en lui délivrant toute la vérité.

Voyant que je ne dit rien, il reprend :

— Mais comment est-ce possible ? C'est ici que tu étais pendant tout ce temps ? Comment as-tu appris l'existence de cet endroit ? Qui sont ces gens ? Où nous emmènes-t-on ? Que font-ils avec le fils du dirigeant ? Pourquoi es-tu avec eux ?! Merde ma tête va exploser !

— Romain, je sais comment tu te sens mais tu dois te contrôler. Calme-toi, tout va bien se passer, tu n'as rien à craindre.

Il ne semble pas convaincu mais se calme tout de même, recouvrant un rythme de respiration plus régulier. Je me détourne et mon regard se perd un moment dans le vide. Je suis partagée entre la joie et l'appréhension. Je suis heureuse d'avoir retrouvé mon ami d'enfance, mais à quel prix ? Et puis, Erwan qui m'ignore depuis hier n'arrange en rien ma situation. J'ai besoin de lui pour surmonter cette épreuve. Pour surmonter les souvenirs. Pour surmonter cette envie d'ouvrir la porte de ce fichu blindé pour courir me réfugier à Altalie.

Une main douce se pose sur la mienne dans un geste se voulant réconfortant. Une main douce et qui agit directement sur moi. Mes yeux se posent dans ceux de Laurie qui me fixent, un petit sourire en coin. Elle a senti mon trouble.

— Ça va aller.

Je lui sourie en la remerciant du bout des lèvres et je me mets à triturer nerveusement mes doigts.

J'aurais voulu pouvoir avaler une potion magique qui m'aurait fait sombrer dans un profond sommeil, jusqu'à l'arrivée à Phandrès. Mais à la place, je dois faire face au stress qui m'envahit petit à petit. J'ai l'impression que celui-ci est bien pire qu'il y a quelques jours, lorsque nous empruntions cette même route. Pourtant, nous avons mené à bien notre mission, nous rentrons enfin à la maison. Mais ce séjour à Altalie m'a bouleversée plus que de raison, ou peut-être est-ce la présence de Romain. Ou un tout réunit. Revoir ma famille – dont ma mère qui me prend pour une étrangère, retrouver mon ancien lieu de vie, mon ancien cocon, ma chambre. Parcourir les couloirs que j'ai le plus détesté de ma vie à plusieurs reprises. Romain, qui lui, se souvient de moi. Le fils de Geoffrey, que j'ai longtemps idéalisé et dont on parlait pendant des heures avec Shylay. Elle qui était dingue de lui...

C'est un tout qui m'oppresse, un tout qui forme une énorme boule dans ma gorge. Qui m'empêche de me détendre malgré la présence rassurante qu'essaie de m'offrir Laurie. Un tout que je ne contrôle pas.

J'ai l'impression de suffoquer dans l'habitacle. J'entends mon cœur battre dans mes tempes. J'ai la tête qui tourne et tente de m'accrocher à quelque chose, mais mes doigts se referment dans le vide.

Mon corps bascule sur le côté. Les bras de Romain s'enroulent autour de moi, me maintenant fermement, mais mon cerveau a déjà décroché. Il ne répond plus à mes commandes. Ma vue se trouble et le visage inquiet de Laurie est complètement flouté. Bientôt, mes paupières se font lourdes. Je n'entend plus les voix affolées autour de moi. Je sombre dans l'inconscience. Sans rêve, sans pensées. Le vide.

***

Lorsque je reviens à moi, mes yeux tombent sur un plafond blanc. Mon regard fait le tour de la pièce et je reconnais les murs roses pâles de ma chambre. Je suis enfin à Phandrès. Je reconnais aussi la personne qui s'avance vers moi en me souriant tendrement. Sa main se pose sur mon front dans un geste apaisant alors que je sourie à mon tour.

— Salut toi.

— Contente de te voir.

— De même, sourit-il.

— Que s'est-il passé ? je demande en me redressant légèrement, m'appuyant sur mes coudes – alors que mes souvenirs reviennent peu à peu.

— Tu as fait un malaise. Laurie m'a expliqué que tu avais l'air anxieuse et qu'elle a tenté de te calmer. Rien de grave, ne t'en fais pas, répond Isack.

— Où est-elle ?

— Elle est allée manger. Vous êtes arrivés il y a six heures déjà. Mais on dirait que tu avais bien besoin de repos.

Je capitule en hochant doucement la tête.

— Quelqu'un veut te voir. Je crois qu'il a quelque chose à te dire.

Isack quitte la chambre en me lançant un sourire. Quelqu'un entre à sa place. Enzo. Je fronce les sourcils, surprise.

— Purée, c'était pas facile de convaincre ce gars de me laisser te voir. On dirait un garde du corps qui protège sa star. Ou un chien de garde, c'est pas mal aussi.

— Qu'est-ce que tu fais là ? j'interroge en soupirant d'avance, manquant clairement de patience pour son humour à deux balles.

— Je... comment dire... J'aurais pas dû agir comme ça à Altalie. Je t'ai mis la pression avec mes blagues de merde et...

— Et ? j'interroge en savourant déjà ce qu'il s'apprête à faire.

— Et...

Je l'incite à continuer du regard.

— Et je suis désolé ! Voilà, j'aurais pas dû t'afficher de la sorte devant tout le monde, je m'excuse, dit-il en levant les mains en l'air.

— Oh, que c'est bon de te l'entendre dire. Ne t'en fais pas, je ne t'en veux pas.

— Tu viens de me faire me plier devant toi, je t'ai demandé pardon pour rien ?!

Je pouffe de rire devant son regard outré alors qu'il s'installe à côté de moi sur le lit. Sa main passe dans mes cheveux pour les ébouriffer et je lâche un grognement, mécontente.

— C'est qu'elle mordrait !

Je lui donne un coup de coude qu'il ne semble absolument pas sentir.

— Que s'est-il passé depuis notre arrivée ? demandé-je en reprenant mon sérieux.

— Andrew à parler à ton ami. Il lui a dit la vérité et depuis, on ne l'a plus vu.

— Tu sais dans quelle chambre il est ?

— Non, j'ai pas des vues sur lui pour l'espionner comme ça.

— Quoi, c'est ce que tu fais avec Julie ? Tu l'espionnes ? Je me demande la tête qu'elle va faire quand elle va apprendre ça !

Il me lance un regard noir et je ris de plus belle.

— Et les autres, où sont-ils ?

— Les filles sont au réfectoire, Erwan, t'imagines bien et Théo je ne sais pas, je l'ai pas vu.

— Ok.

— Tu veux aller manger ? propose-t-il.

— Non j'ai pas très faim, vas-y si tu veux.

— Ok, à plus, dit-il en se levant.

Il disparaît par la porte et je me réinstalle confortablement dans mon lit. Je manque encore cruellement de sommeil.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top