Chapitre 28

Nous retirons tous nos combinaisons de combat et les cachons dans un trou derrière un gros rocher avec nos armes. En dessous, nous portons des uniformes scolaires d'Altalie, pour ne pas nous faire repérer. Thomas nous donne quelques dernières instructions et nous ouvre la même porte d'il y a quelques mois plus tôt, lorsque j'avais mis toute ma volonté pour l'ouvrir. Et je me demande comment aurait continué ma vie si elle ne s'était jamais ouverte.

Je ne me serais sûrement rendue compte de rien et aurait continué de vivre banalement.

La porte en grillage s'ouvre dans un léger grincement. Une fois que tout le monde est passé de l'autre côté, Thomas referme la porte et nous ne voyons plus l'extérieur. Les plantes superficielles collées sur la porte empêchent de voir quoi que ce soit. J'entend seulement le bruit du moteur qui démarre et bientôt, plus rien. Lorsque je me retourne, tout le monde me fixe, attendant que je fasse un premier pas. Tout le monde doit se sentir perdu ici, même moi.

Rien à changer et pourtant, je me sens mal, pas à ma place.

Nous avançons dans les allées bétonnés, comme un simple groupe d'amis sortant du lycée. En passant devant ce dernier je ressens un pincement au cœur.

Le grand bâtiment aux murs rouges briques se dresse dans l'immense cour qui l'entoure. Des lycéens traînent devant la grande bâtisse, éclatant de rire. D'autres rentrent chez eux et d'autres encore s'en vont pour une après-midi chargée avec leurs amis. Par chance, je ne croise pas les miens.

Et dire qu'il y a quelques mois, j'étais une de ces élèves.

— Où on va ? demande Enzo.

— Suivez-moi, j'ordonne en ignorant sa question.

Je passe le portail noir menant à la cour et traverse celle-ci jusqu'à me retrouver devant les escaliers. Je monte les marches et pénètre dans l'établissement – qui était autrefois ma deuxième maison – le reste du groupe à mes trousses.

Personne ne semble prêter attention à nous, comme si nous étions un groupe d'élèves tout à fait normal.

Je me dirige vers la grande bibliothèque. Avant de pousser la porte de la salle, je m'arrête pour expliquer la situation au reste du groupe qui ne doit rien comprendre.

— Dans cette salle il y a des archives de la ville, des plans, des cartes. Je peux en récupérer, mais j'ai besoin d'une distraction pour la bibliothécaire.

— Laisse faire le pro, dit Enzo en se craquant les doigts.

Il s'avance vers la femme et se met à la draguer délibérément. Celle-ci paraît profondément ennuyée par ce qu'il raconte. Je me détourne de cette scène pathétique et m'avance dans les grandes allées d'étagères remplies de livres. Même si l'on prenait 20 ans de sa vie on n'aurait pas le temps de lire tous ces livres tellement ils sont nombreux. Et je suis bien placée pour le savoir.

— Si la bibliothèque fait trois fois la taille du réfectoire de l'Immeuble, je n'ose même pas imaginer ce qui en est du self, lâche Julie, visiblement impressionnée.

— Oh, j'aurais tellement aimé vivre normalement. Aller au lycée. Connaître de nouvelles personnes, marcher dans ces couloirs bondés d'adolescents. Pouvoir détester un prof et en aimer une autre, rejoindre mes amis à la cantine pour se raconter la journée exaspérante de cours et à quel point je détestes les maths autour d'un super repas. Écoutez les moqueries de mes potes parce que j'ai eu un zéro en art plastique et que c'est presque impossible mais moi, j'ai réussi. Puis ensuite, je rejoindrais l'équipe de football du lycée et je serais le mec le plus populaire. Toutes les filles me courraient après sauf que moi je n'aurais d'yeux que pour une, comme dans les films, Victoire. Elle tomberait sous mon charme parce que, c'est connu, je suis irrésistible, et on serait le plus beau couple de l'école, partage Théo.

Je lève les yeux au ciel en lui donnant un coup de coude. Je sais qu'il fait exprès de jouer le gros lourd pour m'énerver.

— C'est beau de rêver, se moque Laurie.

Erwan est complètement détaché. Il est trop occupé à contempler cette multitude de livres qui l'entoure. Ce doit être le paradis pour lui, qui adore lire.

— Comment était ta vie ici Vic ? demande Julie.

— Banale, je réponds. J'avais mon groupe d'amis, on était pas les plus populaire – comme le voudrait Théo, mais on était heureux d'être ensemble. On se complétait les uns les autres.

— Parle-nous d'eux.

— Il y avait Shylay, une petite blonde très amicale et assez turbulente. Elle avait tout le temps des idées farfelues, des mauvaises idées la plupart du temps. Elle était tout le temps joyeuse et quand elle voulait quelque chose, elle faisait tout pour l'avoir, têtue comme une mule. Ah, et elle ne fermait jamais sa gueule, qu'elle ait tort ou raison. Ensuite il y avait Mila, elle était la seule personne à peu près normale de ce groupe. Calme, sage, une sagesse en tant que conseillère. Elle vivait pour les autres, pour les aider et pour les rendre heureux. Maël était à peu près normal lui aussi, ou alors, c'est qu'il était trop timide pour nous montrer sa folie intérieure. Il aimait les gens avec tellement de force que s'en était surprenant. Il ne voyait pas la mauvaise foi chez les autres, il aimait croire que le monde entier était bon et c'est sûrement pour ça qu'il s'entendait si bien avec Mila. Et le dernier, Romain. Celui qui attirait pas mal les filles. Les gens se demandaient souvent ce qu'il faisait avec des gens comme nous. Il était beau, même assez populaire, mais il n'a jamais eu d'autre amis que nous. Lui et moi, on se connaissait depuis la maternelle, on a toujours été les meilleurs amis du monde. Il y a eu des disputes, certes, mais elles n'ont jamais duré bien longtemps, car à l'époque, je n'avais que lui et il n'avait que moi.

— Et toi, tu n'attirait pas les mecs ? On ne peut pas dire que ce n'est pas le cas à Phandrès en tous cas... déclare Théo.

Julie lui lance un regard noir.

— C'est moi qui pose les questions, ferme-la, toi ! s'exclame-t-elle. Toi, qui étais tu ici ?

Sa question me surprend. Je ne suis pas vraiment habituée à parler de mon ancienne vie et de la moi d'avant.

— Différente, sûrement. Il y a des choses que je fais avec tellement de facilité aujourd'hui, mais que je n'aurais jamais osé faire il y a quelques mois. À l'extérieur, j'étais assez timide, je préférais éviter les problèmes et c'était pas facile parce que Shylay adorait ça. Mais avec mes amis j'étais à peu près la même. Et non, je n'ai jamais eu de copain, si c'est ce que tu veux savoir, Théo.

— Même pas ce Romain ? Pendant toutes ces années d'amitié il ne s'est jamais rien passé entre vous ? interroge-t-il.

Je ne réponds pas de suite. Je ne m'attendais pas à ce qu'on me pose cette question...

— Je crois que si... Enfin, on s'est embrassés une fois mais je lui avais dit que je n'étais pas prête à tenter quelque chose alors on n'en avait plus parlé.

— Oh, alors c'était donc lui le populaire qui n'avait d'yeux que pour une.

Je suis légèrement troublée par la réflexion de Théo. Est-il en train d'insinuer que Romain m'aimait ?

Erwan semble s'être soudainement intéressé par la conversation. Il me fixe, sans émotion, écoutant attentivement ce que je raconte.

— Ce n'est pas que l'ancienne vie de Victoire ne m'intéresse pas, mais je vous rappelle qu'on n'a pas toute la journée, on a du travail, nous signale Laurie.

J'approuve et nous nous remettons au travail. Je tire un rideau et découvre une longue échelle en bois. Nous grimpons et nous retrouvons dans une sorte de grenier. J'ouvre un gros coffre. Il y a plein de feuilles de papier blanches et quelque chose atire mon attention. Une feuille plus grande que les autres, enroulée sur elle-même. Je l'attrape, dépoussière un bureau en bois d'un coup de main et déroule le papier cartonné sur la surface plate.

Bingo.

Je fais signe aux autres d'arrêter de fouiller et s'approcher.

Malheureusement, sur le papier n'est dessiné qu'une partie de la ville. Celle du lycée, collège, école, supermarchés, restaurants et commerces en tout genre. J'en viens à une déduction simple ; il y a d'autres morceaux. Et si je ne me trompe pas dans mes déductions, il faut en tout quatre morceaux pour reconstituer la ville.

J'explique tout ça aux autres et nous nous remettons à nos recherches. Dans le même coffre, nous trouvons deux des mêmes feuilles de papier blanches.

Sur l'une ; les lieux résidentiels, parcs, usines et gratte-ciel de grandes entreprises de travail. Et sur l'autre ; les prisons, hôpitaux et laboratoires scientifiques publiques.

Il en manque donc une ; la partie de la ville destinée à Geoffrey et sa famille.

Bientôt, Enzo nous appelle dans l'oreillette.

— Violet. Je crois que je l'ai saoulée à mort, elle m'a clairement dit de dégager. Vous êtes où ?

— Toujours dans la bibliothèque, il nous manque une partie des plans, la plus importante, réponds-je.

— Ok, dépêchez vous, je crois que les cours vont bientôt reprendre et ce serait ultra bizarre de voir un groupe de six élèves dans les couloirs alors qu'on devrait être en train de galérer sur le théorème de Pythagore.

— Enzo, c'est hyper facile ça.

— Ah.


Nous avons fouillé toute la salle, mais, il fallait se rendre à l'évidence : la pièce manquante n'est pas là.

Quand la bibliothécaire prit une pause pour aller boire un café nous retrouvons Enzo qui s'était caché dans un couloir. On aurait dit un vrai lycéen en train de sécher les cours.

Nous sortons du lycée sans encombre et maintenant,  vient une question fatidique. Où allons-nous passer la nuit et pouvoir parler de notre plan en sécurité, sans que personne ne nous entende ? Il fallait trouver les pions d'Andrew.

— Andrew ? j'appelle dans mon oreillette.

La réponse ne se fait pas attendre, comme s'il surveillait nos moindres faits et gestes.

— Sur écoute.

— On a besoin d'un endroit pour la nuit.

— Rendez-vous près du café principal à côté du lycée. Commandez une salade tomate basilic et un double expresso.

Je ne vois pas comment commander un café et une salade dans un restaurant nous aidera à trouver un toit pour la nuit, mais je ne dis rien et obéis.

Lorsque je pénètre dans le café, des effluves de souvenirs me transportent. Rien a changé, la décoration rustique est toujours en place, les enceintes laissent échapper des musiques démodées des années 60 et pourtant, c'est l'endroit préféré des jeunes. J'aperçois un groupe d'adolescents de mon âge assis à notre table. On choisissait toujours celle-là car elle était placée près des vitres donnant sur la rue. Juste en face de la cuisine, ce qui faisait que dès lors qu'un plat se préparait, sa délicieuse odeur venait chatouiller nos narines.

Nous nous asseyons à une table et un serveur vient prendre notre commande.

Bientôt, il revient et dépose la salade et le café devant nous. Erwan s'empare de la tasse de café, voyant que je ne sais pas quoi faire. Il touille à l'aide de la petite cuillère et en sort un objet métallique. C'est une petite clé. Un mot y est attaché ou plutôt, une adresse.

45-03-al.

Je comprend de suite.

Quarante-cinquième appartement, troisième division, Altalie.

Dans la salade, nous trouvons une clé de voiture. En sortant du café, j'appuie sur le bouton qui débloque la voiture et un léger bruit se fait entendre. Elle est garée là.

Une voiture noire, pour les plus aisés.

Théo se place au volant, moi sur le siège passager pour lui montrer le chemin, et le reste du groupe se serre à l'arrière. Nous arrivons à l'appartement alors que la nuit commence à tomber.

Pas d'étoiles ce soir.

Je reconnais les rues. Shylay n'habite pas loin et mon ancien appartement n'est qu'à quelques rues du sien.

Lorsque Laurie ouvre la porte de l'appartement, je suis agréablement surprise. C'est complètement différent de mon ancien chez moi. Certes, les murs sont tous aussi blanc et le sol de même, mais il y a une décoration plutôt moderne. Des rideaux noirs aux vaguelettes blanches recouvrent une immense baie vitrée donnant vue sur les toits des autres immeubles. Un long canapé tout aussi noir est placé au centre de la pièce et un tapis blanc fait office de décoration. En face du canapé, un énorme écran télé occupe pratiquement la moitié du mur.

Alors que je m'aventure pour explorer les différentes pièces j'entends Théo crier :

— Les gars ! Y a trois chambres avec un lit deux places dans chaque ! C'est simple, je dors avec Vic et vous vous démerdez pour le reste !

Je fais les gros yeux et rejoins les autres dans le salon.

— Hors de question.

— Pourquoi ? Au moins Enzo dort avec Erwan et vous les filles vous dormez ensemble, c'est pas un bon accord ça ?

Je lève les yeux au ciel.

— Tu rêves mon pauvre, si tu veux dormir dans la même chambre que moi ce sera par terre.

Il croise les bras sur son torse et fait mine de bouder.

— Enzo n'a qu'à dormir avec Julie, Erwan avec Théo et Victoire avec moi, propose Laurie.

— Non ! Protestent Julie et Enzo en même temps.

Je souffle. Je sens que cette histoire ne va pas être facile.

— Bah, je sais ! s'exclame Enzo. Je dors avec ce truc, dit-il en désignant Théo d'un geste du menton, Laurie avec Julie et Erwan avec Victoire, puisque vous avez déjà failli baiser ça ne vous dérangera pas.

Je m'étouffe presque avec ma propre salive et tout le monde se tourne vers moi. Je vire au rouge tomate et cherche de l'aide dans le regard d'Erwan. Lui, s'en contrefiche littéralement.

— Alors là, pour une surprise c'en ai une, déclare Julie.

Elle fait exprès de me mettre encore plus mal à l'aise ou quoi ?

— Je n'invente rien ! Le soir de la fête, je voulais voir Erwan après qu'il se soit disputé avec Isack, il faut dire que je ne m'attendais pas vraiment à ça.

Je foudroie Enzo du regard et je m'enterre six pieds sous terre.

Ah non, ce n'est pas possible.

— Roh allez, c'est bon, sois pas fâchée ! dit-il en me prenant dans ses bras mais je le repousse lourdement.

— Ça me va.

Pour la première fois depuis le début de la conversation, Erwan s'est prononcé.

— Et toi Vic ? me demande gentiment Laurie.

J'hoche positivement la tête voyant que je n'ai pas vraiment le choix. Bon c'est pas comme si ça me dérangeait vraiment, et puis je préfère que ce soit lui plutôt que Théo ou Enzo.

— Bah voilà, c'est réglé ! s'exclame Julie.

— Sérieux Vic ? Lui oui et moi non ?

Évidemment c'est Théo qui a parlé. Je lui tire la langue et vais m'installer dans ma chambre pour trois jours. Erwan me rejoint.

— Je peux dormir sur le canapé si tu préfères.

— Non c'est bon, ne t'inquiètes pas.

Il s'allonge sur le lit pendant que j'ouvre une armoire. Il y a plusieurs vêtements propres à Altalie. J'avais oublié à quel point ils étaient fades. Il y a aussi des serviettes de la même couleur, j'en attrape une et me dirige vers la salle de bain de la suite.

Après ma douche, nous nous sommes débrouillés pour préparer quelque chose à manger et sommes allés nous coucher, décidant qu'on s'occuperait de la mission le lendemain.

Je me couche dans le lit et bientôt, Erwan me rejoint. Je lui fais face, je meurs d'envie de le toucher, mais je me retiens, parce que j'ignore s'il y a vraiment quelque chose entre nous.

Mais c'est lui qui finit par céder.

Il pose une main contre ma taille et me ramène contre lui. Je suis complètement collée à lui et je me rends compte qu'il est torse nu. Ce qui me donne un peu plus chaud.

Je dessine la courbe de ses abdos du bout du doigt alors qu'il s'amuse avec mes cheveux.

— Pourquoi tu as dit ça ?

— Pourquoi j'ai dit quoi ? je demande perplexe.

— Que tu n'intéressais pas les mecs. Tu es si belle à l'intérieur comme à l'extérieur, comment est-ce possible ?

Mon cœur fait un bond. C'est probablement la première fois que Erwan me dit quelque chose d'aussi gentil.

Je hausse les épaules.

Nous profitons tous les deux de ce moment de tendresse, car demain, la réalité nous frappera à nouveau. Nous ne sommes pas là pour des vacances, nous avons une mission à accomplir.

Je relève légèrement la tête pour le fixer. Il me regarde intensément et je me perds dans ses pupilles sombrent. Mon regard finit par se poser sur sa bouche et je n'hésite plus. J'y dépose un long baiser auquel il prend goût peu à peu.

— Bonne nuit.

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